"Pour les filles de la maison, il n’y avait jamais de compliments": Dinah Musindarwezo (Rwanda) -1/4
/J'ai un peu honte de vous l’avouer, mais il m’a fallu des années pour mémoriser le nom de famille de Dinah Musindarwezo. Pas parce que ne le connaissais pas, ni je n’arrivais pas à le prononcer, ni parce que je ne la connaissais pas assez : ce nom, je l’ai lu et relu dans les dizaines d’emails que nous nous sommes envoyés lorsque nous travaillions dans des ONG partenaires. Mais dans ma tête, je l’appelais « Dinah de FEMNET », du nom de l’organisation de défense des droits des femmes africaines qu’elle dirigeait – l’une des plus influentes sur le continent. (Peu de temps après notre intervention, elle a été nommée directrice des politiques et de la communication de l’ONG Womankind Worldwide.)
Ça m’a pris du temps, mais j’ai fini par être intriguée par les expériences personnelles de Dinah – et celles de toutes ces militantes que je ne côtoyais jusqu’alors que comme des collègues. Je voulais tout savoir des expériences dans lesquelles s’ancraient leurs expertises. C’est pour ça que j’ai créé Eyala : pour me rappeler que Dinah et toutes ces autres femmes n’étaient pas que des collègues mais des sœurs dont les noms, les visages et les parcours personnels comptent autant que les compétences professionnelles.
Aujourd’hui je vous présente l’une de ces femmes inspirantes. Dinah Musindarwezo. Retenez bien son nom, car cette militante rwandaise incarne ce que le mouvement féministe africain a de mieux à offrir. Ma conversation avec Dinah était tout simplement fascinante. Elle m'a expliqué comment elle est devenue féministe et ce que cela signifie pour elle (1e partie, ci-dessous). Elle m’a raconté comment sa résistance aux traditions patriarcales lui a couté sa relation avec son père ( 2e partie), et nous avons discuté des défis quotidiens de vivre une vie féministe (3e partie). Pour finir, Dinah m’a expliqué pourquoi les féministes africaines devraient s’impliquer davantage dans les débats sur l’économie (4e partie).
(A savoir : Mon entretien avec Dinah s’est déroulé en anglais – ceci est une traduction ! Si vous voulez lire la version originale, c’est par ici)
Salut Dinah ! Merci d’avoir accepté mon invitation. Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Dinah Musindarwezo et je suis rwandaise. J’ai grandi en Ouganda et je vis aujourd’hui à Nairobi, au Kenya. Je suis une femme africaine, une féministe, et une militante panafricaniste.
Ok, on va analyser tout ça ! Commençons par la fin : ça veut dire quoi pour toi, être une panafricaniste ?
J’ai plusieurs identités, et toutes se rejoignent dans le panafricanisme. C’est une idéologie qui nous unit, nous avons des expériences communes et qui avons subi les mêmes oppressions du fait de la couleur de notre peau, de notre histoire coloniale, et même de notre histoire récente. Le panafricanisme nous motive à lutter pour notre identité et notre indépendance en tant que peuple noir et africain.
Et qu’est-ce que ça signifie quand tu te dis féministe ?
Je m’identifie comme féministe parce que je crois qu’il est nécessaire de transformer le statut que les filles et les femmes ont dans la société. Le féminisme offre une analyse critique des déséquilibres de pouvoir qui existent entre les hommes et les femmes, entre les garçons et les filles. Le féminisme remet en question l’ordre actuel des choses et les systèmes d’oppression qui acculent les filles et les femmes, à commencer par le patriarcat. Le but c’est que les filles et les femmes, dans toute leur diversité, soient perçues et traitées comme égales aux hommes, et qu’elles bénéficient des mêmes droits humains.
« Le féminisme offre une analyse critique des déséquilibres de pouvoir qui existent entre les hommes et les femmes »
Comment ton parcours de féministe a-t-il commencé ?
Toute petite je me posais déjà beaucoup de questions sur ce que j’observais autour de moi, notamment dans ma famille. Mon père était cet homme africain très traditionnel qui pensait que tous les membres de la famille devaient être à son service. Il fallait toujours lui apporter un verre d’eau, lui servir à manger, ou aller puiser de l’eau pour sa douche. Je me demandais toujours pourquoi ma mère se retrouvait à faire toutes les tâches domestiques, pourquoi elle était toujours la première levée et la dernière couchée, alors que mon père était toujours assis bien tranquille.
Ça me rappelle quelque chose, tout ça !
N’est-ce pas ? En plus dans ma famille il y avait plus de garçons que de filles, mais pendant que ma cousine et moi devions aider ma mère à faire le ménage, préparer le repas et tout ça, tout ce qu’on demandait à mes frères c’était de faire leurs devoirs ; ensuite ils pouvaient aller jouer au foot dehors. Et si par hasard l’un d’entre eux faisait la moindre chose utile dans la maison, on le couvrait de compliments : « regarde comment ton frère sait cuisiner ! »
Pour les filles de la maison, il n’y avait jamais de compliments : on n’entendait que des critiques, parce qu’on n’en faisait jamais assez. Je sais bien que nos parents nous aimaient tou.te.s autant, mais j’étais troublée par leurs attentes et leur vision genrée des rôles. Aujourd’hui je comprends que mes parents ne faisaient que reproduire des modèles qui leur venaient de leur propre enfance.
As-tu toujours su que tu mettrais la lutte pour l’égalité des genres au cœur de ta carrière ?
C’est à l’université, pendant un cours sur les droits des femmes, que j’ai compris que toutes ces choses que j’avais observées durant mon enfance étaient les manifestations d’un problème plus large : les inégalités de genre, fondées dans le système patriarcal. Ce cours m’a vraiment ouvert les yeux. Pour une fois ce que j’apprenais à l’école était lié à mes expériences de vie et aux réalités de ma communauté. Ma vocation est née ainsi, et lorsque j’ai dû m’orienter dans un domaine professionnel, je n’ai pas hésité.
« Ce cours m’a vraiment ouvert les yeux. Pour une fois ce que j’apprenais à l’école était lié à mes expériences de vie et aux réalités de ma communauté »
Mon premier emploi, c’était dans une ONG au Rwanda qui travaillait sur les violences faites aux femmes. C’était peu de temps après le génocide, donc les femmes que nous rencontrions étaient traumatisées par toute la violence et les viols ; elles avaient tout perdu. Ça m’a permis de comprendre qu’il nous restait encore tellement à faire, et que je voulais en faire ma profession. Peu de temps après, j’ai fait un Master en Genre et Développement.
Tu te souviens d’avoir eu un déclic pendant ces premières étapes de ton parcours de féministe ?
J’ai eu la chance de participer à une session de l’African Women’s Leadership Institute, une formation organisée par l’organisation panafricaine Akina Mama Wa Afrika pour éveiller des jeunes femmes africaines au féminisme. Avant cela, j’avais travaillé sur les droits des femmes, mais je ne savais pas grand-chose du féminisme en tant que tel.
Tout ce qu’on m’avait dit sur les féministes c’était qu’elles étaient toutes des lesbiennes qui détestaient les hommes et qui encourageaient toutes les femmes à divorcer et à briser leurs foyers. Et que de toute façon, le féminisme était une affaire d’Occidentaux. Tout cela est faux, mais à l’époque je ne le savais pas. Ce que je savais c’est que je ne voulais pas briser le foyer de qui que ce soit, et donc que je ne voulais rien avoir à faire avec cette histoire de féminisme !
Qu’as-tu appris pendant cette formation qui a changé la donne pour toi ?
Déjà, j’ai appris qu’il n’y a pas de mal à être une lesbienne ! (rires) J’ai appris énormément sur ce qu’est le féminisme , et surtout j’ai rencontré des féministes fantastiques qui m’ont inspirée.
Par exemple, Bisi Adeleye-Fayemi, une femme nigériane qui faisait mentir tous les stéréotypes que j’avais entendus sur les féministes. Elle était incroyablement indépendante, elle était mariée et pourtant elle remettait en question l’institution du mariage. Et puis elle n’était pas blanche : c’était une vraie femme africaine ! (Rires) Bisi est devenue un modèle pour moi. La rencontrer pendant cette formation m’a permis de commencer à m’identifier comme féministe.