« Je pense qu’il est primordial de se soutenir mutuellement avec grâce dans notre processus de guérison » – Lorato Palesa Modongo (Botswana) 5/5

Voici la cinquième et dernière partie de notre entretien avec Lorato Palesa Modongo, féministe et psychologue africaine du Botswana. 

Nous avons exploré l'éveil féministe de Lorato dès son jeun âge (partie 1), sa formation et ses expériences en tant que psychologue sociale (partie 2), ses pensées et ses expériences dans les mouvements et les espaces féministes africains (partie 3), et ses observations sur les tensions qui entravent parfois la construction de mouvements féministes africains intergénérationnels, ainsi que les solutions possibles pour faire avancer la situation (partie 4). Dans cette dernière partie, nous discutons de la guérison personnelle et collective pour soutenir nos mouvements, du travail actuel de Lorato avec l'Union africaine et de son chemin vers l'auto-réconciliation pour découvrir sa vision personnelle de son identité. 

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Chaque fois que nous nous réunissons dans des espaces féministes et que la question de la construction d'un mouvement intergénérationnel est soulevée, c'est toujours le même cycle de blâme, et la conversation n'a pas vraiment évolué de ce point vers des solutions. À quoi ressemblerait cette étape d’après toi, personnellement, et sur la base des expériences que tu as vécues ? 

Je pense que pour moi, il s'agit d'abord d'essayer de comprendre. Si nous nous penchons sur le « pourquoi », nous comprendrons qu'il s'agit d'une question d'objectif, d'autodétermination et d'utilisation des ressources dont nous disposons à un moment précis. Si nous nous concentrons sur le « pourquoi », nous verrons que la conversation est plus complexe que le simple fait de penser délibérément que l'autre groupe est inefficace ou à blâmer. Nous découvrirons qu'il y a d'autres aspects interconnectés en arrière- plan. Après le démêlage, je pense qu'il est important, dans notre processus de guérison, de se soutenir mutuellement avec grâce. Beaucoup de grâce. J'ai vraiment de la chance d'avoir évolué dans des espaces où il y a beaucoup de grâce, où même si je fais une erreur, il y a de la grâce. 

Cette grâce nous permettra de réellement pardonner, car cesser de blâmer implique également de reconnaître et de pardonner. Parfois, même sans avoir reçu d’excuses, on pardonne, on fait grâce et on trace de nouvelles voies.

Après le démêlage, je pense qu’il est important, dans notre processus de guérison, de se soutenir mutuellement avec grâce. Beaucoup de grâce.

La conversation doit porter sur la question suivante : « Pourquoi ne nous laisse-t-on pas d'espace ? » La réponse est souvent : Elles ne nous laissent pas d'espace parce qu'elles ont été socialisées dans une société qui pense que lorsqu'on est jeune, on ne sait rien. C'est ainsi qu’elles ont grandi et influencé leurs processus. Personne ne les a écoutés lorsqu'elles étaient plus jeunes. Même inconsciemment, ce traumatisme subsiste, et cela affecte les espaces dans lesquels nous nous engageons. 

Nous pouvons donc nous émerveiller de leurs connaissances et de l'immense travail qu'elles ont accompli, tout en les considérant comme des personnes en train de démêler les complexités de leur vie. Et elles souhaitent simplement ce que nous voulons toutes : la liberté et l'émancipation. Je pense que c'est ce à quoi ce mouvement ressemble pour moi. 

Quelles opportunités vois-tu ou quelles opportunités pouvons-nous créer pour faciliter cette guérison, ce pardon, cette création d'un espace de grâce et aller de l'avant vers la libération ? 

L’accompagnement ! Je pense que le mentorat représente une grande opportunité. Je parle ici d'un mentorat délibéré qui nous permet d'écouter l'histoire de l'autre, même à un niveau personnel. Je pense qu'entendre l’histoire d’une personne l’humanise. Nous pouvons créer différentes plateformes pour être encadrées. Dans le mentorat, il n'y a pas que la personne plus âgée qui vous comble, vous la comblez aussi. C'est aussi vous qui la comblez. 

Deuxièmement, je pense qu'il y a tellement de possibilités de documentation. Nous devons tous nous documenter, effectuer un travail d'archivage, un travail de mémoire, retourner dans nos communautés et nous engager auprès de ces femmes âgées et écrire tout ce qu'elles nous donnent. Numérisons leurs histoires. Intégrons-les dans les espaces pour que les gens puissent s'y intéresser. Formons des partenariats avec les institutions de la mémoire dans nos différents pays, nos différentes communautés, pour voir comment amplifier le travail effectué par ces institutions de la mémoire. 

Il existe d’après moi, de nombreuses possibilités, mais aussi des possibilités de financement. Comment pouvons-nous créer des espaces de collaboration où nous recevons des fonds pour réaliser tous ces projets dont nous parlons ? Nous laissons toujours de côté la question du financement. Si vous n'avez pas accès au financement, peu de travail sera réalisé, notamment dans l'économie actuelle. C'est une conversation qui doit avoir lieu. Comment s'en assurer ? Comment rémunérer ces voix que nous disons vouloir légitimer ? Car je ne pense pas que les orateurs du Nord parlent gratuitement, si ? Ainsi, pourquoi ne pas rémunérer le travail de ma grand-mère, lorsqu'elle partage et m'enseigne des choses? Cela fait partie du travail de légitimation de la voix des gens, des systèmes de connaissance et de la production de connaissances. 

Parle-moi de ton travail actuel au Burkina Faso et de la manière dont il s'inscrit dans ton parcours féministe et dans tous les sujets que nous avons abordés. 

Je travaille actuellement pour le Centre de l'Union africaine pour l'éducation des filles et des femmes en Afrique, l'UA/CIEFFA, dont le siège se trouve ici, à Ouagadougou, au Burkina Faso. J'occupe actuellement le poste d'analyste de recherche sur le genre. En ce qui concerne le travail politique effectué ici, nous examinons les chiffres et les données qualitatives sur l'éducation des filles sur le continent. Quels sont les modèles et les tendances que nous observons afin de les intégrer dans les politiques lorsque nous élaborons des stratégies sur la nécessité pour les gouvernements d'investir dans l'éducation des filles en Afrique ? 

Nous connaissons également le problème des données en Afrique. Nous n'avons pas accès à des données fiables et cohérentes. Nous ne pouvons donc pas dresser un tableau réel et précis de la situation. Mais maintenant, nous considérons qu'en l'absence de statistiques, c'est le récit qualitatif qui compte. Quelles sont les voix des personnes sur le terrain ? Comment pouvons-nous amplifier ces voix pour inciter les gouvernements, les États membres à ramener les filles à l'école ? C'est mon travail actuel. 

Tu n'y es que depuis un an environ. Y as-tu trouvé un espace féministe ? 

Je ne parle pas français, et il est donc très difficile de nouer de véritables liens avec les gens d'ici, car c'est un pays francophone. La langue est un outil tellement puissant, non seulement pour la communication, mais aussi pour la communauté. Malheureusement, je n'ai pas encore réussi à créer de liens. 

Nous sommes sur le point de conclure notre conversation. Y a-t-il des sujets que tu souhaites partager et que nous n'avons pas abordés ? 

Oui, je pense que dans la discussion sur le féminisme intergénérationnel, une forte guérison collective doit se produire. Il y a un besoin de repos collectif, de joie collective et d'amour collectif également. Et à quoi ressemble cet amour ? Il s'agit de l'amour de la communauté et de l'amour de soi, car l'amour de soi inclut la discipline, l'intégrité, la responsabilité et le fait d'être guidé par des principes féministes éthiques. Je sais que nous définissons ces principes pour nous-mêmes, mais il est également nécessaire de définir collectivement les principes féministes qui nous guident. 

Je souhaite ce soft-landing pour nous toutes. Je pense que nous méritons de rayonner. Nous nous battons, mais nous rayonnons parce qu'il y a de la joie, de l'amour, de la paix et tellement de choses qui se passent. Nous méritons tous cela dans nos espaces individuels, mais aussi dans le collectif. Nous portons beaucoup de traumatismes générationnels. Les voix de nos arrière-arrière-grands-mères qui n'ont pas pu s'exprimer et leurs rêves qui n'ont pas pu se réaliser à cause de la façon dont le système les a étouffés sont traumatisants, d'un point de vue générationnel. 

Il est crucial que nous soyons la génération qui mettra fin au traumatisme, ou du moins qui allègera le fardeau. Je ne veux pas que mes enfants portent le même fardeau que moi. J’estime que la guérison est un mécanisme qui fonctionne – guérison du cerveau, de l'esprit, de l'âme, du cœur et du corps. Manger sainement, s'hydrater pendant que l'on fait ce travail, se reposer, se présenter apaisée autant que possible, non ? Je pense que c'est très, très important. 

Tu as parlé d'éclat et depuis le début de notre entretien, je voulais qu’on parle de ton rouge à lèvres rouge. C’est un style unique que tu arbores et il est sublime ! Je suis d'ailleurs surprise de te voir sans aujourd’hui. [rires]  Quelle est l'histoire derrière ce look ? 

Rien de particulier ou de symbolique. J’ai simplement flashé dessus rien de plus. J'ai juste aimé. J'aime bien la mode. C’est sympa. 

T’arrive-t-il de te sentir obligée de concilier ce joli look « je suis là, je suis à la mode » avec l'idée que les féministes ne sont pas belles ? 

En réalité, je suis devenue stylée en raison de ma conciliation. J'ai obtenu une bourse de la Fondation Mandela Rhodes (FMR), qui organise quatre ateliers de développement pour ses boursiers - sur le leadership, l'éducation, l'esprit d'entreprise et la conciliation. La question était de savoir ce que nous voulions réconcilier intérieurement. J’ai répondu : « Je veux être douce et mignonne ». Une fois de plus, je vais rendre hommage à mon amie Iris, car nous avons eu de nombreuses conversations à ce sujet. 

J'ai grandi comme un garçon manqué. À l'époque, je pensais que c'était un choix, mais ce n'était pas vraiment un choix. J'étais un garçon manqué parce que je voulais ressembler aux garçons. Je me suis rendu compte qu'ils ne me tourmentaient pas autant qu'ils tourmentaient les autres filles avec lesquelles nous jouions. J'essayais donc de me protéger en devenant un garçon manqué. C'était ma signature : les pantalons larges. Plus tard, en suivant le processus de la FRM, j'ai réalisé que j'aimais vraiment jouer avec la mode. Je veux des boucles d'oreilles originales. Je veux le rouge à lèvres rouge. Je veux les nuances. Je veux la jolie robe. La réconciliation m'a donc permis de savoir que je pouvais rester féminine tout en faisant ce travail, parce que c'est aussi une façon de faire face à la représentation erronée de ce qu'est le féminisme. 

Et pour terminer, dis-moi quelle est ta devise féministe pour la vie ? 

Je sais que c'est un cliché, mais c’est réellement « Le privé est politique ». Je m'en inspire beaucoup, car même lorsque je me dis qu'il ne s'agit que de mon expérience personnelle dans la maison, je me rends compte qu'elle est liée à la politique. 

Mais si j'ai de la place pour une autre chose, c'est le souvenir que le féminisme m'a donné des mots pour exprimer mes pensées. Et de fait, j'ai eu l'impression de respirer. Et quand on respire, on est vivant. C'est donc ma devise féministe : naviguer, démêler et donner du sens en permanence et, ce faisant, respirer. C'est ainsi que je peux avancer dans le monde. 

Je l'adore. Merci beaucoup, Lorato. Je suis vraiment ravie d'avoir pu avoir cette conversation avec toi. 

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