« Il faut multiplier les espaces de rencontres féministes où nous pouvons parler de nos réalités. Cela ne peut que renforcer nos liens. » - Marie-Bénédicte Kouadio (Côte d’Ivoire) 2/2

Notre conversation avec Riane-Paule Katoua, Marie-Bénédicte Kouadio et Mariam Kabore se poursuit.

Dans la première partie, nous avons parlé de leurs questionnements, des réalités qui ont suscité ces questionnements chez elles et de la manière dont elles vivent leurs convictions féministes. Dans cette deuxième partie, elles abordent leurs rapports à la lecture, l’éducation féministe, l’importance de documenter les histoires des femmes africaines et leurs rêves en tant que féministes.

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Comment est-ce que vous gérez le fait que les gens soient toujours là à essayer d'attaquer les féministes, à ramener les questions reloues ?  

Marie-Bénédicte : Au début, c'était difficile parce que moi, j'aime bien répondre à tout. Quand je me sens attaquée, immédiatement, je viens répondre. Donc, j'avais tendance à tout le temps être sur la défensive. Quand quelqu'un m'attaque, je réponds. Plus tu participes au combat, plus tu vois qu'il y a plus important en fait. C'est vrai que nous sommes toutes des humaines et souvent, il y a des mots qui sont très forts. Il y a des choses qui sont dites qui te font vraiment mal et tu te poses des questions, est-ce que je dois répondre, est-ce que je ne dois pas répondre. 

Maintenant, je pense qu’il faut apprendre à ne plus répondre à tout. Au pire, tu viens, tu ironises dessus et puis tu passes. Quoi que tu diras, ils continueront de t'attaquer, de te rabaisser. Donc, mieux, tu passes et tu te concentres sur les combats qui sont importants, qui vont faire avancer la lutte, qui vont faire avancer les droits des femmes. Les conseils des devancières me permettent aussi de prendre un peu de recul. C'est vrai que parfois, c'est vraiment énervant et je viens quand même parler, mais j'essaie au maximum ces temps-ci d'être en retrait des débats qui n’avancent en rien le combat.  

Ce n'est pas toujours facile, mais nous allons y arriver. Pour en revenir aux livres, y a-t-il des livres féministes que tu as lus et qui t'ont marquée ?

Marie-Bénédicte : Oui, il y a beaucoup, beaucoup de livres qui m'ont marquée. Il y a par exemple, c'est un livre français, ça s'appelle « Féminisme et pop culture », de Jennifer Padjemi. C'est un livre sur lequel je suis tombée totalement par hasard, mais qui m'a vraiment marquée, en ce sens qu'il aborde les questions féministes, donc les grands points des luttes féministes, mais elle le fait, c'est une autrice, avec des exemples de la vie courante. Elle a décidé de choisir la pop culture, le cinéma, la musique, les séries, et elle se sert de ces exemples-là pour montrer l'avancée des luttes féministes. Par exemple, dans le livre, elle nous parle de la représentation de la femme noire dans les séries. Donc avant, tu étais dans un schéma où il n'y avait pas du tout de femmes noires dans les séries, ou bien si elles étaient là, elles avaient le rôle de nounours, de ménagères, elles étaient invisibilisées. 

C’est intéressant.

Marie-Bénédicte : C'est l'un des premiers que je recommande. Il se lit facilement, malgré qu’il soit assez volumineux. Il y a un autre livre, là, je l'ai lu, il n'y a pas longtemps. C'est une sorte d'autobiographie d'une féministe ivoirienne, elle s'appelle Madame Georgette Zamblé. Elle a fait un peu une autobiographie de sa vie et qui, en même temps, aborde les questions féministes, comment elle s'est découverte féministe, comment elle a réussi, en fait, à changer les choses dans sa communauté, comment elle a mené certains combats et tout, et j'ai trouvé très intéressant de lire ça, parce que ça te conforte, en tant que jeune femme, en tant que jeune féministe, ça te conforte dans le fait que tu n'es pas folle, en fait. S'il y a des dames d'une cinquantaine d'années qui te parlent des choses que toi, tu vis actuellement, des combats que tu mènes actuellement, c'est clair que tu n'es pas folle. Tu n'es pas venue créer, comme les gens disent. Tu n'as pas importé ça de l'Occident, comme ils disent sur Facebook. 

Dirais-tu que les livres que tu lis ont participé à ton éducation féministe ?

Marie-Bénédicte : Oui. De base, les livres, quel que soit le genre de littérature qu'on lit, ça a forcément une influence sur notre culture, sur notre personne. Donc lire des livres qui sont en rapport avec le féminisme, c'est clair que ça te forme, ça te permet d'approfondir certaines notions, de découvrir même l'histoire du féminisme. En tout cas, ça te permet de te rendre compte que ce sont des combats qui sont justes, ce sont des combats qui ont lieu d'être et que tu fais bien d'apporter ta part à l'édifice. C'est toujours bien d'avoir plus de culture, plus d'arguments parce que forcément, c'est clair que tu ne voudras pas rentrer dans tous les débats, mais arriver à un moment, tu sais comment monter au créneau pour défendre certains de tes points de vue. Et c'est toujours bien d'avoir des exemples sur lesquels s'appuyer pour étayer tes propos en fait.

Mariam, est-ce que toi, tu as eu accès aux livres, aux contenus féministes pour t’éduquer ?

Mariam : Internet. On dit merci Internet. En fait, de base, je suis quelqu'un, j'aime beaucoup chercher et j’ai trouvé certains livres. Je pense que le premier livre que j'ai lu, c’est un livre de Simone de Beauvoir. Il y a des livres que je ne pouvais pas avoir parce que même quand tu vas à la bibliothèque, impossible, tu ne vas pas trouver. Il y a aussi une autrice nigériane, je crois. Sinon, la majorité de ce que j’ai lu pour en apprendre plus, c'était soit des articles, soit des thèses.

À ton avis, comment est-ce qu’on peut vulgariser plus de contenus féministes pour permettre à plus de filles, de jeunes femmes de s’éduquer ?

Mariam : Pour moi, ce qui serait génial, c’est déjà d'avoir des livres qui parlent de féminisme dans les bibliothèques. La plupart des collèges, des lycées et des universités ont des bibliothèques. Et dans leur registre, tu ne vas jamais, au grand jamais, trouver un livre féministe. Si tu as trouvé un livre féministe là-bas, c'est que ça s’est faufilé. Tu peux tomber dessus. Mais voir une rangée féminisme, tu ne vas jamais trouver. Donc, s'il y avait cet effort-là qui était déjà fait au niveau des bibliothèques, on avancerait. Parce que moi, je sais que quand j'étais au collège, au lycée, je passais beaucoup de temps là-bas et je lisais tout et n'importe quoi. Donc, je trouve que ça aurait beaucoup instruit. Et ça allait commencer depuis le bas âge. Maintenant, il faut aussi avoir plus de librairies et des bibliothèques spécialisées, comme 1949. Il nous faut beaucoup plus de librairies féministes parce qu'il faut accentuer les messages féministes.  

Je vois que des associations féministes ont de plus en plus des bibliothèques féministes dans leurs sièges.

Mariam : Oui. Il faut des clubs de lecture, par exemple. On se rejoint une fois par mois et on discute du livre. Et puis un truc que, personnellement, je pense qu'on peut faire, c'est de partager les messages féministes tout le temps, comme les évangélistes.

Un peu comme les témoins de Jéhovah.

Mariam : Franchement, moi, si j’ai la détermination des témoins de Jéhovah, j'accomplis tout dans ma vie. Avec cette détermination-là, tout est possible. J’imagine le contexte si des féministes font ça. On frappe à la porte et ils nous ouvrent. Et puis on dit : vous connaissez le féminisme ? Non ! Laissez-moi vous expliquer. (Éclats de rire)

Hahaha!

Mariam : Laissez-moi vous expliquer. Vous savez, on vit dans une société patriarcale, vous savez ça ?

Il y a une autrice afro-américaine, bell hooks, qui évoquait une idée comme ça. Elle dit : « Imaginez un mouvement féministe de masse où des gens feraient du porte à porte pour distribuer des textes, en prenant le temps (comme le font les groupes religieux) d'expliquer aux gens ce qu'est le féminisme... »

Mariam : Elle n’a pas tort. Parce que quand tu es endoctriné, c'est difficile de changer si tu ne reçois pas les infos.

Riane, comment est-ce que tu t'es retrouvée à la bibliothèque 1949 ?   

Riane-Paule : Alors, j'avais fini mes études, tu vois. Et je me baladais sur Facebook et je suivais Edwige DRO, qui est la directrice de la bibliothèque 1949. Je faisais des recherches, parce que je voulais l'interviewer pour un projet personnel. Et donc, je suis allée suivre sa page Facebook et elle a lancé l'appel pour le stage. J'ai dit, pourquoi pas ? J'étais consciente que je ne connaissais pas assez d'écrivaines africaines, noires aussi. Donc, je me suis dit, ok, pourquoi pas ? Ça me permet de comprendre, d'apprendre, de découvrir. Et puis, d'apprendre, d'acquérir des connaissances. J’ai été acceptée et j'ai commencé à travailler là-bas.  

Depuis que tu es à la Bibliothèque 1949, qu’est-ce qui te passionne dans le fait de travailler là ?

Riane-Paule : Il y a plusieurs choses qui me passionnent. La première, c'est déjà d'apprendre, de découvrir. Parce qu'à chaque fois, je découvre des écrits d’écrivaines noires. En tout cas, des femmes qui me ressemblent. Des écrivaines noires, des histoires. À travers leurs histoires, à travers leurs œuvres, je découvre d'autres réalités de femmes noires, en fait, partout dans le monde. D'autres théories, d'autres autrices, d'autres autrices d'autres siècles. Il y a ensuite le fait de travailler aussi avec la fondatrice. Je ne parle pas beaucoup d'elle, mais sa connaissance, en fait, par rapport à l'histoire, tu vois. Donc, j'apprends encore avec elle. Et puis enfin, le fait de pouvoir partager, en fait, ce que j'apprends, ce que je découvre, avec les personnes qui viennent lire. C'est-à-dire les jeunes, les enfants, ils ont l'habitude de venir lire ici.

Et quels sont les livres qui t'ont marquée à la Bibliothèque ?

Riane-Paule : Alors, déjà le premier, c’est « Les traditions-prétextes : le statut de la femme à l'épreuve du culturel » de Constance Yaï. Je ne savais pas qu'il y avait des livres théoriques manifestes comme ça. Je ne pensais pas qu'il y avait des femmes ivoiriennes qui pensaient comme ça et qui pouvaient même l'écrire. Il y a ça et le livre de Maryse Condé, « Tituba », j'adore. Au fur et à mesure, je pense qu'il y aura plusieurs autres livres qui vont me marquer à travers mes lectures.

Les livres ont-ils influencé la manière dont tu le vis le féminisme ?

Riane-Paule : Prendre conscience, c’est aussi la connaissance. Je pense qu'au fur et à mesure que je lis des livres, j'ai pris confiance en moi. J’ai pris confiance maintenant parce que je connais, j'apprends. Donc, je sais mieux défendre mon féminisme. Donc, je ne sais pas ce qu'on peut me dire là qui va essayer de me décourager, me faire croire que ce que je fais, c'est mal. Donc, ça me donne plus confiance. J'ai pris conscience aussi de tout ce que les femmes vivent aussi, tu vois partout. Donc, j’ai pris confiance et puis l’assurance. C'est ce que ça m’apporte.

C’est vrai oui. Quand tu sais, tu as plus confiance.

Riane-Paule : C’est pour ça qu’on doit apprendre. Parce que quand on apprend, on peut se défendre et on peut essayer de partager et attirer d'autres personnes qui sont dans le doute. C'est-à-dire, même les féministes, les féministes doivent continuer à apprendre. C'est bien aussi de faire du militantisme, mais c'est aussi bon d'acquérir la connaissance. On écrit peu aussi. Il faut écrire beaucoup. Des livres, des articles. Écrire notre histoire, écrire comment on pense, la vie ou la société qu'on aimerait. Lire, écrire et puis partager. Partager toujours. Même dans les petits coins. C'est comme ça que je vois les choses.

Ça rejoint un peu le fait de partager le féminisme dont parlait Mariam.

Riane-Paule : Ouais, exactement. Je vais donner un exemple des histoires. C'est-à-dire que si chaque femme écrivait son histoire, il y aurait moins de gens qui parlent à notre place. J'ai l'impression que les hommes parlent trop à notre place, en fait. Voilà comment on était. On voit les gars sur Facebook qui disaient : « Ah, nos mamans d'avant. Nos mamans d'avant étaient comme ça. » Ce qui est drôle, c’est que c'est faux. Si les mamans d'avant pouvaient écrire ce qu'elles vivent, ne serait-ce que dans un foyer, relater tout ce qu'elles vivaient, leurs ressentis, je ne pense pas qu'on entendrait toutes ces bêtises-là, en fait. 

Tu soulignes un bon point.

Riane-Paule : C’est très bien. Il y a mon cousin qui est venu récemment à la bibliothèque. Et lui, la première question qu'il m'a posée, c'est : est-ce qu'il y a des livres qui expliquent le féminisme en Côte d’Ivoire ? Il est trop dans ses privilèges, tu vois. Parce que pour lui, il se dit intérieurement que c'est un truc occidental, tu vois. Donc, il cherchait un livre qui relate l'histoire du féminisme ivoirien. Je lui ai dit : « Frère, lis. » Je lui ai proposé des livres. Quand les filles viennent, des collégiennes, lorsqu'elles viennent à la bibliothèque, je leur donne un livre de Mariama Bâ, en premier.

Tu fais bien.

Riane-Paule : C’est ça. On doit lire ce qui se passe ici. Je ne vais pas commencer avec les théories féministes d’ailleurs. Je dis : lisez Mâriama Bâ. Vous allez savoir. Puis, au-delà des livres, les contenus féministes doivent être divers, c'est-à-dire, soit des livres, soit des podcasts, des articles.

Marie-Bénédicte : Par exemple, il y a ORAF, Organisation pour la réflexion et l'action féministe, qui a une bibliothèque et elle a de très bons livres également. Ce sont des espaces où l'abonnement n'est pas forcément cher. Tu peux passer une partie de ton samedi là-bas, tu lis un peu, tu découvres. C'est toujours très intéressant de participer, de fréquenter ce genre d'endroits-là.

Très intéressant. Selon vous, comment peut-on faire en sorte qu'aujourd'hui, les adolescentes puissent commencer à avoir accès à une éducation sur le féminisme ?

Marie-Bénédicte : Les adolescentes ne sont pas forcément sur Internet, beaucoup n'ont pas encore de téléphone portable. Elles sont dans les écoles, elles sont à la maison, donc c'est de vraiment créer des petits espaces, aller leur parler, pas forcément même de féminisme, mais leur parler déjà de leurs droits en tant que jeune fille, leur parler de consentement, leur parler des règles, essayer de déconstruire en elles les tabous. C'est déjà un premier pas.

Aussi, il y a la lecture. On en a discuté. Beaucoup d'entre nous ont été éduquées sur ces questions, aussi via la lecture. Il y a de plus en plus de livres qui sont adressés justement à cette tranche d'âge, aux adolescentes, qui leur permettent d'avoir déjà les premiers outils de ce qu'est le féminisme. Je pense, par exemple, à « Nous sommes tous des féministes » qui a été fait en bande dessinée. Donc, c'est beaucoup plus facile pour elles de lire la bande dessinée, de comprendre. Il y a aussi « Chère Ijeawele, le manifeste pour une éducation féministe ». Ce sont des petits livres comme ça, qui ne sont pas difficiles à lire, qui ne sont pas très longs, et qui leur permettront d'avoir déjà les bases de ce qu'est le féminisme. Plus elles grandiront, plus ces notions prendront place en elles.

En effet. Comment est-ce que tu définirais le féminisme avec tes propres mots ?

Marie-Bénédicte : Selon moi, le féminisme, c'est la lutte pour la consolidation des droits des femmes et aussi une lutte pour accueillir de nouveaux droits parce que l'acquisition des droits n'est pas terminée. Il y a beaucoup de choses qu'on nous refuse encore en tant que femmes. Être féministe, c’est faire en sorte que les droits des femmes aujourd'hui ne soient pas bafoués, que nous ne rétrogradions pas, et aussi se battre pour accueillir de nouveaux droits.

Quels sont tes rêves à toi en tant que féministe ?

Marie-Bénédicte : Mon plus grand rêve, c'est que le féminisme en Afrique de l'Ouest arrive à un moment où les femmes ne seront plus vues uniquement à travers le prisme du mariage et du foyer. Qu'on les voit vraiment en tant qu'êtres humains, et qu'à partir de là, on leur reconnaisse tous les droits qui doivent être reconnus. Je veux que le poids de la tradition africaine sur la condition des femmes soit levé. Et mon second rêve, c'est que les liens de sororité que les féministes ivoiriennes et africaines de l'Afrique de l'Ouest ont tissés ne se dégradent pas, pour quelque raison que ce soit, et que nous continuions de rendre ces liens vraiment très forts, parce que c'est ensemble que nous pourrons arriver à l'idéal que nous souhaitons.

Tu parles de sororité. Comment est-ce qu'on peut consolider cette sororité-là, à ton avis ?

Marie-Bénédicte : Je pense que déjà, on a un peu compris et on avance. Par exemple, nous avons eu ici notre petit cercle de parole à la bibliothèque 1949. Donc, on n'a pas besoin d'être 100 ou 1000 pour créer des liens. À chaque fois que nous avons l'occasion de nous retrouver entre nous, n'hésitons pas à venir, que ce soit pour un club de lecture, un cercle de parole, ou une activité organisée par une autre organisation. Il faut toujours être là où tes sœurs sont pour leur apporter ton soutien, leur dire que tu sais les efforts qu’elles fournissent pour la cause. Et toi, je suis là pour les soutenir au cas où elles seraient fatiguées, ou auraient besoin de toi. Donc, je pense qu'il faut multiplier les espaces de rencontres féministes, vraiment faire plus d’espaces non mixtes, où nous pouvons parler de nos problèmes et de nos réalités. Cela ne peut que renforcer nos liens.

Être sorore implique de se connecter. 

Marie-Bénédicte : C'est ça.

Riane, pour toi, c’est quoi la sororité ?

Riane-Paule : Alors, la sororité, c'est un terme un peu compliqué pour moi, tu vois. Je ne sais pas comment le dire, mais c’est « être ensemble ». Je pense que, déjà, les femmes n'ont pas toutes les mêmes vécus, même dans le contexte féministe, on n'a pas toutes le même vécu. Donc, être consciente qu'on est différentes et essayer de comprendre les autres. Essayer de comprendre les autres tout en restant unies sur le même objectif. Tu vois, le but final, c’est la libération des femmes. En tout cas, c'est comme ça que moi, je conçois la sororité.

Comment est-ce que tu définirais le féminisme ?

Riane-Paule : Simple, la liberté de choix des femmes. C'est toujours comme ça que j'ai défini le féminisme, en tout cas, c'est comme ça que je le définis personnellement. La liberté de choix, la liberté de laisser les femmes choisir ce qu'elles veulent, comment elles veulent vivre leur vie. Comment elles veulent, sans les obliger à suivre des diktats ou des règles sociétales. La liberté de choix des femmes.

Est-ce que tu as un rêve qui te tient à cœur en tant que féministe ?

Riane-Paule : Oui, j'ai un rêve qui me tient à cœur. Je compte faire un podcast sur la représentation des femmes. Ce qui m'a toujours intéressée, c'est la représentation des femmes. Donc, mon combat féministe est plus axé sur la représentativité. J'aimerais avoir plus de femmes dans différentes sphères, qui nous inspirent en tant que jeunes filles, même celles plus jeunes que moi, dans différentes sphères. Des femmes libres, en fait. Le mot même, des femmes libres. Plus de femmes libres. Plus de femmes avec des objectifs clairs. Plus de femmes qui ne suivent pas les diktats de la société. Voilà, c'est ça, mon rêve.

C’est un peu ce que tu as commencé à faire avec le podcast « Meet'Her Podcast ».

Riane-Paule : Oui. C'est le début donc j'y vais tout doucement.

C’est génial. Bravo! Et toi Mariam ?  

Mariam : L’une des choses que j’aime dans le cinéma, c’est qu' à travers ça, on peut s'exprimer. Et quand on peut s'exprimer, on peut tout dire. J'y tiens fortement pour mes œuvres futures. Je vais créer de la représentation pour les jeunes filles. Parce qu'il n'y a pas vraiment de représentation ici. Il y a peu de représentations, même dans les dessins animés. Moi, j'aurais bien aimé voir une femme dans un dessin animé que je regardais avant, qui ne veut pas avoir d’enfant. Une représentation d’une femme qui dit : « Ok, moi, je ne veux pas avoir d’enfant. Je fais ce que je veux. » Mais il n'y a pas ça. Peut-être dans les films étrangers.

Le film que j'ai fait cette année parle un peu de ça. Le titre du film c’est « Mémoires d’une mère ». Je ne l’ai pas encore mis en ligne. On vit dans une société où on met la pression sur les femmes pour qu'elles aient des enfants. Que ce soit les gens de l'extérieur, que tu ne connais même pas, ou la famille. Et ça crée une dépression nerveuse et pousse certaines femmes à faire des choses qui mettent leur vie en péril.

Tu as déjà bien commencé à t'exprimer à travers tes réalisations. J'ai vu ton short film « Encore un autre jour » en ligne. Bon travail!

Il y a une question que nous posons souvent dans les conversations : quelle est votre devise féministe ? Y a-t-il une pensée, une phrase, ou quelque chose qui vous anime particulièrement ou qui vous tient à cœur en tant que féministe ?

Mariam : Je ne sais pas. Mais moi, personnellement, dans la vie de tous les jours en général, j’aime aller au feeling. Donc, quand je peux me battre, je me bats. Si je peux changer quelque chose, je fais mon maximum pour…

Marie-Bénédicte : Bon, ma devise féministe, je ne dirais pas que j'ai une devise en tant que telle, mais j'ai une phrase qui résume tout ce que je pense en tant que féministe de ce qui nous entoure. J'ai l'habitude de dire, par exemple, que le patriarcat vous ment. Ça, c'est ma phrase. Il y a beaucoup, beaucoup d'inégalités aujourd'hui dans les rapports hommes-femmes, parce que le patriarcat nous ment et continue de mentir. Et tant qu'on ne sera pas sorti des mensonges du patriarcat, beaucoup de personnes ne pourront pas encore comprendre la teneur des combats féministes. Ce serait plus que ça, mais ma phrase en tant que féministe, que je n'arrêterai pas de brandir à bras-le-corps, c'est que le patriarcat nous ment.

Riane-Paule : Pour moi, c’est apprendre, lire, partager.

Merci Mariam, Riane et Marie-Bénédicte. Ce fut un plaisir d’échanger avec vous.


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« C'est juste après le bac que mon esprit de féministe s'est réveillé » - Riane-Paule Katoua (Côte d’Ivoire) 1/2

Riane-Paule Katoua, Marie-Bénédicte Kouadio et Mariam Kabore sont des jeunes féministes ivoiriennes engagées qui militent à leur façon pour les droits des femmes. Marie-Bénédicte Kouadio est juriste de formation et militante féministe au sein de la Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes. Riane-Paule Katoua est également juriste de formation, bibliothécaire à la bibliothèque 1949, la bibliothèque des écritures féminines d'Afrique et du monde noir et host du podcast « Meet'Her Podcast ». Mariam Kabore est une jeune cineaste, passionnée de photographie, amoureuse d’art et de decouverte.

Rencontrées à Abidjan, à Yopougon, lors d’une rencontre organisée par Eyala avec des féministes à la bibliothèque 1949, elles ont partagé une partie de leurs parcours féministes avec nous. Dans cette conversation, Chanceline Mevowanou échange avec elles sur leurs prises de conscience, leur rencontre avec le féminisme et la manière dont elles vivent les valeurs et la lutte féministes personnellement. 

Cette conversation est en deux parties. Dans la première partie, elles parlent de leurs questionnements, des réalités qui ont suscité ces questionnements chez elles et de la manière dont elles vivent leurs convictions féministes. Dans la deuxième partie, elles abordent leurs rapports à la lecture, l’éducation féministe, l’importance de documenter les histoires des femmes africaines et leurs rêves en tant que féministes.

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Salut Riane, Bénédicte et Mariam. J’ai été très ravie de vous rencontrer à la bibliothèque 1949. Ce fut un merveilleux moment de connexion, avec des échanges riches. Merci d’avoir accepté de partager un peu de votre voyage féministe avec Eyala. Pouvez-vous vous présenter ?

Marie-Bénédicte : Moi, c'est Marie-Bénédicte Kouadio. Je suis juriste de formation et activiste féministe. Je milite au sein de la Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes, plus précisément au département juridique. À côté de ça, j'aime beaucoup la lecture, la lecture en tout genre, la littérature féministe et la littérature en général. C'est vraiment mon passe-temps favori. J'ai un blog qui me permet de partager mes fiches de lecture avec les personnes qui me suivent.

Mariam : Mariam Kabore, jeune cinéaste, encore en formation. Je viens de valider ma licence. Yes!

Riane-Paule : Alors, je suis Riane-Paule KATOUA. J'ai 24 ans. J'ai fait des études de droit. Je travaille en tant que bibliothécaire à la bibliothèque 1949. J'adore la lecture aussi. J'adore lire. J'adore découvrir des contenus, c'est-à-dire des films, des livres, des autrices/auteurs. J'adore découvrir, j'adore apprendre.

Vous êtes toutes passionnées par les œuvres de l’esprit, les livres. On s’est rencontrées dans une bibliothèque. L’histoire est cohérente hahaha! Riane, d'où te vient cette passion pour la lecture, les ouvrages et tout?

Riane-Paule : De loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé la lecture, en fait. Depuis toute petite. Je me souviens, au primaire, on récompensait les élèves à la fin de chaque année avec des livres. À chaque fois, j'avais des livres et ma mère aussi m'en achetait. Donc, je découvrais les histoires. C'étaient plus des histoires de pharaons, ce genre de choses. Mon amour pour la lecture et pour l'histoire aussi a commencé de là. Arrivée au collège, ça a commencé à m'énerver parce que les livres qu'on nous proposait m'ennuyaient. Donc, j'ai arrêté de lire au collège. C'est juste après le bac que mon esprit de féministe s'est réveillé. Je me suis dit qu’il faut que je lise, il faut que je comprenne plus de quoi il s'agit. Donc, j'ai recommencé à lire.

C’est vrai que les livres au programme dans les collèges n'étaient pas toujours les plus intéressants.

Riane-Paule : Pas du tout. En tout cas, je ne me retrouvais pas. Donc, j'ai passé tous ces moments-là en pensant que je n'aimais plus lire. Et c'est après le bac que je me suis dit, bon, il faut que je commence à me poser des questions. Quels sont les livres que j'aimerais lire ? Qu'est-ce que j'aimerais apprendre ? Et c'est là que j'ai recommencé à lire, etc. Donc, il y a des livres féministes, il y a des livres historiques, il y a différents types de livres, mais tout tourne autour de mes intérêts et de ce que j'aimerais apprendre et découvrir.

Et toi, Bénédicte, comment est née ta passion pour les livres, la littérature et l'écriture ? Tu lis beaucoup et que tu partages même tes fiches de lecture en ligne.

Marie-Bénédicte : Je dirai depuis que j’étais toute petite aussi. Je ne saurais dire à quel moment exactement ça a commencé, mais d’aussi loin que je me rappelle, j'ai toujours aimé lire. Je demandais des livres comme cadeau de Noël, j'allais à la bibliothèque quand j'en ai eu l'âge. Donc, c'est depuis vraiment toute petite que j'ai eu cette passion pour la lecture. Comme ça coule un peu de source, plus tu lis, plus tu développes ta plume. Donc l'écriture, c'est venu bien après, mais ça va, j'aime assez aussi.

Alors, comment vos parcours féministes ont commencé ?

Mariam : Ça a commencé à la maison. Je suis la dernière de la famille. Et quand tu es la dernière de la famille, tu es un peu comme l'esclave de tout le monde, d'une certaine façon. Et à un moment, je voyais qu'il y a certaines tâches que moi, on me demandait de faire, qu'on ne demandait pas à mes frères de faire. Sachant que mes frères comme mes cousins, c'est vrai qu'ils sont plus âgés que moi, mais je trouve qu'on a tous les mêmes membres. Pourquoi c'est moi qui dois faire ça à leur place ? À la maison, j'ai intentionnellement refusé de m'approcher de la cuisine. En fait, je n'ai aucun problème avec la cuisine. C'est important de cuisiner parce que c'est se nourrir. Mais avant, volontairement, j'ai décidé de ne pas m'approcher de là parce qu'on me disait, parce que tu es une femme, tu dois savoir cuisiner.

Aussi, quand j'étais petite, je voulais des jouets. J'ai toujours aimé les consoles. On m'achetait des poupées. Pourquoi faire ? J'ai demandé, j'ai pleuré et à un moment, on a arrêté de m'acheter des poupées. On m'achetait que des jouets mixtes. On m'achetait des lego, des consoles, ce genre de choses. Bon, je peux dire que mon combat a un peu commencé là-bas, inconsciemment. Quand j'étais petite.

Et en dehors de la maison, est-ce qu'il y avait des choses qui t’interpellaient concernant la manière dont les femmes étaient traitées ?

Mariam : Ouais, ça arrive tout le temps. Par exemple, dans le cinéma, mon domaine, c'est un milieu qui est très sexiste. Je connais une fille de ma classe. Elle est en spécialité production. Et à chaque fois qu'elle part pour un entretien, on lui propose du sexe. Automatiquement. Il n'y a pas de demi-mesure. C'est-à-dire qu'à chaque fois qu'elle part pour un travail, on lui propose autre chose en lui disant, si tu ne veux pas, tu laisses. Et tu n'auras pas de travail. 

C'est révoltant de voir à quel point le sexisme et les violences sexistes sont présents partout. 

Mariam : Et ça, c'est un cas parmi des milliers. J'ai parlé avec beaucoup d'autres femmes dans le cinéma. Et c'est très récurrent. Il y a un truc que j'ai remarqué encore dans le travail. J'étais en stage sur une série ici. J'avais un poste où on était avec l'équipe image. Avec l'équipe image, il faut savoir qu'il y a plein de trucs à soulever. Il y a des trépieds. Il y a plein de trucs, tu vois. Et j'avais l'impression qu'on minimisait mes forces naturelles. C'est-à-dire que je peux prendre un trépied. Ce n'est pas lourd. Je ne sais pas. Ils ont l'intention de t'aider. Sauf que tu n'as pas besoin d'aide et tu n'as pas demandé d'aide. Et dans le milieu, c'est ce qui arrive tout le temps, tout le temps. C'est comme de la bonne intention. Mais vraiment, tu as l'impression que... Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire.

Oui je vois. C’est du sexisme ordinaire. À quel moment as-tu commencé à parler de féminisme, à utiliser les termes spécifiques pour adresser ces réalités ?

Mariam : En vrai, j'ai commencé à mettre les mots dessus très récemment. J'étais en licence 1 de cinéma. Je connaissais le féminisme de loin, mais je n’étais jamais vraiment allée m'y intéresser profondément, en lisant et en m’informant. Je ne l’avais pas fait. Je connaissais juste les définitions. Et puis, pour moi, c'était juste du bon sens. Donc, normalement, tout le monde devrait être féministe. Quand j'étais en première année, ça devait être en 2020, il y avait les 16 jours d'activisme. Et c'était juste à côté de mon université. J'ai décidé de faire un tour là-bas. D'ailleurs, c'est là que j'ai vu Riane pour la première fois. Elle était déjà dans une association qui s'appelle le Mouvement Femmes et Paroles. Et donc moi, je vais là-bas, je découvre tout un univers. Je découvre des femmes, des personnes qui parlent de diverses thématiques. On parle de violence basée sur le genre, on parle de précarité menstruelle... Et là, je me rends compte de l'ampleur de la chose et je réalise à quel point il y a beaucoup à faire. Suite à ça, j'ai même rejoint une association.

Et toi Riane, tu as parlé de l'éveil de ton féminisme. Comment est-ce que ton féminisme s’est réveillé ?

Riane : Alors, le féminisme s’est réveillé en moi avant même que je sache que c'était du féminisme, en fait. J'étais frustrée par tout ce que je vivais. Chez nous, il y a un plat qui est vraiment prisé à la maison, le foutou. Tous les midis, on doit piler le foutou. Et ma grand-mère s'offusquait à chaque fois : « Pourquoi tu ne piles pas le foutou ? Pourquoi tu ne vas pas t'asseoir à côté de ta tante pour piler le foutou ? » Ça m'ennuyait. Donc, j'étais obligée, je me forçais à aller m'asseoir pour regarder comment piler le foutou. Mais au fur et à mesure, je ne pouvais plus faire semblant. Donc, j'ai arrêté d'aller faire la cuisine. Ça m'ennuyait, en fait. Le fait qu’on me dise à chaque fois que je dois savoir faire le ménage, que je dois forcément savoir faire la cuisine parce que « ton mari…», que je dois savoir faire tout ce qui est attribué aux femmes, que je dois savoir porter des robes… Ça m’énervait.

Il y a de quoi. 

Riane : À l'école aussi, les professeurs avaient des paroles sexistes à chaque fois. « Pourquoi les filles dépassent les garçons dans telle matière ? Pourquoi ? » Du sexisme tout le temps. De la misogynie, des harcèlements qui me dérangeaient. Et les regards à l'extérieur, les gestes inappropriés qui étaient banalisés. Tout ça me frustrait, en fait.

Je me suis dit qu'il fallait que je sache de quoi il s'agit. Et bizarrement, j'ai fait des recherches. Je ne savais pas ce que je cherchais, mais j'ai fait des recherches et je suis tombée sur des vidéos, par exemple, de Christiane Taubira. Je crois que c'est par là que j'ai découvert le féminisme, et par elle aussi. J'ai découvert son combat. J'ai découvert quelle femme politique elle était. Je me suis dit, ah oui, c'est ça le féminisme. J'ai continué les recherches, j'ai lu des livres, etc. En fait, j'ai lu plus d'articles que de livres au début.

Les premiers contenus sur le féminisme que j'ai lus étaient aussi des articles. 

Riane : J’ai beaucoup lu d'articles pour essayer de comprendre petit à petit. Au début, je voyais ça comme un mouvement européen. Je ne savais pas que c'était un mouvement présent ici. C'est-à-dire que je ne pensais pas qu'il y avait un mouvement féministe présent ici. Plus je lisais, plus je voyais des écrits, des théories qui sortaient. C'est là que mon éveil au féminisme a commencé.

Et toi, Bénédicte ?

Marie-Bénédicte : Pour la prise de conscience, on va dire que c'est venu de certaines inégalités que je voyais chez moi, même avant d'avoir des réseaux sociaux. Il y avait beaucoup d'inégalités chez moi. Les hommes avaient beaucoup de privilèges que je n'avais pas, et je me suis toujours demandée pourquoi. Par exemple, chez moi, les garçons ne lavent pas les douches, tout simplement parce que des femmes s'y douchent également. Mon papa avait l'habitude de dire que là où les femmes qui ont leurs règles se lavent, ce n'est pas à un garçon de laver là. Donc, dès la cellule familiale, on était déjà enfermés dans ces carcans de rôles de genre, de place de la femme, place de l'homme. Je trouvais que ce n'était pas normal.

Les affaires de place de la femme, place de l’homme, hummm…!

Marie-Bénédicte : Et plus tu grandis, plus tu as accès aux réseaux sociaux, aux médias, tu vois qu'il y a des femmes qui sont tuées pour la simple raison qu'elles sont des femmes. Ou bien, il y a des femmes qui sont violées, battues par leurs compagnons. On n’a pas à vivre ça. Parce qu'il y a très peu d'hommes qui vivent ce genre de situation pour la simple raison qu'ils sont des hommes. Ce sont ces inégalités et ces bafouements des droits des femmes dans la société que j'ai remarqués qui m'ont poussée à m'engager également.

Comment tu as commencé alors à prendre la parole autour de ces réalités ?

Marie-Bénédicte : À la maison, déjà bien avant que je me définisse comme féministe, toutes ces histoires de règles, de ce que les garçons doivent faire, ce que les femmes doivent faire, moi, je ne les suivais pas. J'étais un peu têtue. Les gens chez moi étaient déjà habitués. Quand j'ai commencé à m'identifier comme féministe, ça n'a pas vraiment étonné les gens de ma maison. Ce sont plutôt les gens de dehors, les amis, les personnes qui vont te dire que tu es rentrée dans leur groupe de féministes, les filles qui détestent les hommes. Tu es rentrée dans leur groupe, tu vas venir commencer à faire la guerre contre les hommes. Alors que ce n'est pas du tout ça, en fait.

Qu’est-ce qu’on n’entendrait pas hein!

Marie-Bénédicte : Les gens de dehors commencent à t'identifier comme une détesteuse d'hommes, quelqu'un qui est là pour se battre contre les règles établies dans la société. C'était plus dans le regard des amis que c'était un peu difficile. Et jusqu'à présent, il y a certaines personnes avec qui je ne peux pas parler de ça parce qu'elles sont totalement fermées à la discussion. Elles ne cherchent même pas à comprendre. Elles disent immédiatement que, quand tu t'identifies comme féministe, ça veut dire que tu détestes les hommes, que tu veux que tous les hommes disparaissent de la terre.

J'ai noté que tu t’exprimais beaucoup en ligne.  

Marie-Bénédicte : Oui. Sur les réseaux sociaux, j'ai découvert certaines militantes ivoiriennes comme Carrelle Laetitia, Meganne Boho, Marie-Paule Okri... Il ya avait une femme qui avait été victime de violence. Donc, elles se sont mises toutes ensemble, elles sont venues, comme on dit, elles ont tempêté. Ça fait qu'à un moment, on ne voyait plus qu'elles. Même si ce qu'elles faisaient, ça ne plaisait pas à tout le monde, on ne voyait plus qu'elles. Je me suis dit que je veux faire comme elles, parce qu'il y a beaucoup d'inégalités dans la société, il y a beaucoup de bafouements des droits des femmes. Et c'est pour ça que j'ai voulu m'engager en tant que militante féministe. J'ai rejoint la Ligue.  

Mariam, quand tu as commencé à parler de féminisme, comment ça a été perçu autour de toi ?  

Mariam : Chez moi, ici à la maison, c’est un peu problématique. Les gens ne sont pas trop d'accord. Mais c'est la routine. On ne va pas arrêter de parler parce que certaines personnes ne sont pas d'accord. Donc, des fois, je rentre dans des débats interminables avec les gens de la maison. Parce que je reste ferme sur mes points de vue, sur ma position. Franchement, c'est comme tous les jours dehors. C'est la même chose.  Avec certain.e.s de mes ami.e.s, j'ai coupé les ponts parce que j’ai trouvé que je ne pouvais pas les supporter. Donc, pour ma paix, je suis partie. Il y en a d’autres aussi, peut-être pour me taquiner, mais dès qu'il y a un truc, ils me disent : ouais, la féministe, elle va parler-là. Enfin, tout le temps. Des fois, il y a des connotations négatives à ça. Je ne sais pas pourquoi. En tout cas, tu connais les gens.

Les blagues reloues, les allusions bizarres..Bref ! 

Mariam : Pourtant, il n'y a rien de négatif à être féministe.  

Dirais-tu que le féminisme a changé des choses en toi et dans la manière dont tu vis ou fais les choses ?

Mariam :  Oui. Au fur et à mesure que j’apprenais des choses sur le féminisme, je me suis rendue compte qu'il y a plein de choses qu’inconsciemment, je faisais et je me disais : « Waouh, ça ne va pas ! » Par exemple, tu peux sortir des propos et puis accentuer la culture du viol sans te rendre compte que c'est super grave. Mais il y a certaines choses que, maintenant, je ne me permettrais pas du tout de dire.

Donc, oui, il y a eu une grande remise en question, et même professionnellement. Dans les films que je regarde, je me suis rendu compte qu'il y avait plus de réalisateurs que de réalisatrices. Pourtant, il y a autant de réalisatrices que de réalisateurs. C'est juste que les réalisatrices sont invisibilisées. Et je fais attention à regarder les films faits par les femmes. C’est venu aussi avec une vague d’indépendance. L'indépendance que j'avais avant s'est accentuée encore plus maintenant.

Ah, c’est super.

Mariam : Oui. Même dans ma façon de visionner, quand je regarde des films, surtout les films africains, je juge fort. Par exemple, je me souviens, j’ai vu un film ici. C'est un film ivoirien. Je pense que personne n'a vu le problème. Peut-être que c'est moi. Comment dit-on déjà ? Je suis peut-être paranoïaque. Dans le film, il y avait deux enfants. Les deux enfants sont assis à l'arrière. Et les parents sont là et disent quelque chose comme : « Ah, c'est ton mari, tu seras une bonne femme, tu vas faire la cuisine. » Je dis, mais vous ne faites pas passer des messages comme ça aux enfants, en fait. Je trouvais que c'était déjà déplacé pour des enfants.

Tu n'es pas paranoïaque. Ce que tu dis à propos des films est important. La société nous façonne à travers les médias de masse, et des films véhiculent souvent des messages qu'il faut questionner. Selon toi, qu'est-ce que cela signifie d'être féministe en Côte d'Ivoire ?

Mariam : Être féministe en Côte d'Ivoire ? C’est un combat 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Déjà, parce qu’il est très facile de tomber dans des situations où tu vas rencontrer des personnes avec des propos déplacés. On est aussi dans un pays où, de mon point de vue, par exemple, la p*dophil*e est très banalisée. Il y a eu un cas, une petite fille de primaire, qui est tombée enceinte de l'un de ses maîtres. Et dans un article, ils ont écrit qu’ils avaient une relation. Ça m'a outrée. Une mineure. Enfin bref, comme je dis, c'est un combat permanent. Il y a des misogynes partout. 

J'avais lu des publications à propos de ce cas.

Riane, tu disais qu'au début, tu ne savais pas qu'un mouvement féministe existait ici. Comment as-tu découvert ce mouvement par la suite ?

Riane-Paule : C’est aussi à travers les réseaux sociaux, déjà. J'ai vu qu'il y avait des associations. Et il y en avait assez. Il y avait la Ligue, Stop au Chat Noir, et le Mouvement Femmes & Paroles, l'association dans laquelle je suis actuellement. C'est une association qui milite avec l'éducation pour lutter contre le sexisme et la violence basée sur le genre. Donc moi, je me suis retrouvée plus dedans. Puisque je me dis que pour essayer de faire changer la mentalité, il faut qu'on passe par l'éducation. Donc, je me suis sentie plus dans l'association dans laquelle je suis. J'ai intégré cette association depuis, je crois, 2021-2022. Et c'est là que j'ai commencé mon militantisme.

Et quand tu as commencé à te revendiquer féministe, quelle a été la réaction de ton entourage ?  

Riane-Paule : Je me rappelle une fois, on m’a dit « ah oui, mais t'es féministe ? ». Je dis « ouais, je suis féministe ». On me dit « mais t'es féministe pour quoi, en fait ? Tu ne peux pas te revendiquer féministe avec toutes les plaisantines qu'on voit sur Facebook. » Je dis, qu’est-ce que tu sais du féminisme ? Aucune réponse. Et c'est ce qui est drôle.  Tu vois qu'il y a une méconnaissance du féminisme. Et puis, il y a une mauvaise foi. Mauvaise foi dans le sens où on peut chercher, on peut décider de chercher, de comprendre, mais il n'y a pas cette envie-là. Donc, on préfère rester là et dire « ah ouais, mais ce sont des frustrées, voilà ». Il y a un des parents qui m'a dit « ah ouais, ces frustrées-là, elles ne vont pas se marier, etc. Donc toi aussi tu veux rester dans ce lot-là, quoi ». 

Presque les mêmes réactions partout! 

Riane-Paule : Tout ça ne va rien changer dans ce que je ressens, dans mon militantisme. De toute façon, je préfère agir par des actions. Oui, oui, il faut essayer de convaincre les gens. Mais moi, je ne veux pas convaincre quelqu'un. Moi, je veux juste agir à ma manière, dans mon féminisme.

Dans la deuxième partie de la conversation avec Riane-Paule Katoua, Marie-Bénédicte Kouadio et Mariam Kabore, nous parlons de leur rapport à la lecture, de l’éducation féministe, de l’importance de documenter les histoires des femmes africaines et de leurs rêves en tant que féministes. Cliquez ici pour lire la partie 2.

Faites partie de la conversation. 

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Afrifem en Action : Edwige Renée Dro et 1949, la bibliothèque des écritures féminines d’Afrique et du monde noir de Yopougon en Côte d’Ivoire

En 1949, plus de 2000 femmes ont organisé une manifestation en Côte d’Ivoire. Elles ont marché d’Abidjan à Grand Bassam (45 km) pour protester contre le pouvoir colonial français et réclamer la liberté de leurs compatriotes. Cependant lors du récit de ce mouvement remarquable, le rôle de ces femmes est souvent réduit à celui d’épouses et de mères de dirigeants politiques masculins.

Dans cette édition de notre série Afrifem en action, Jama Jack discute avec Edwige Renée Dro, féministe africaine et fondatrice de 1949, la bibliothèque des écritures féminines d’Afrique et du monde Noir. Nous en apprenons sur la marche des femmes sur Grand-Bassam de 1949, qui a inspiré la création de la bibliothèque et son nom, ainsi que sur ce que c’est de diriger cet espace au cœur de Yopougon à Abidjan.

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Edwige, c’est un véritable honneur de t’avoir dans notre série #AfrifemEnAction, d’autant plus que tu faisais partie de notre équipe. Peux-tu te présenter ?

MERCI ! C’est une de mes meilleures interviews. Je m’appelle Edwige Renée Dro. Je viens de Côte d’Ivoire et je vis actuellement à Abidjan. Une chose que je n’aurais jamais pensé faire ; j’ai toujours pensé que je vivrai peut-être à Yamoussoukro – je ne suis pas fan des grandes villes, mais me voici aujourd’hui. Je suis écrivaine et traductrice littéraire. Je suis également une activiste littéraire.

 Et c’est justement ce dont nous allons parler. Mais dis-nous d’abord ce que signifie être une féministe africaine pour toi.

C’est la preuve que le féminisme n’est pas un phénomène étrange tombé sur les africaines « évoluées », quel que soit le sens que les gens donnent au mot « évoluées ». C’est même risible lorsque les gens décident de te jeter la pierre en disant que si tu es féministe en tant que femme africaine c’est parce que tu es occidentalisée. Je ne mâche pas mes mots, car dire qu'une femme africaine qui sait qu'elle mérite d'être traitée comme un être humain est occidentalisée m’émeut et me met en colère. Comment peut-on décider d'effacer complètement les histoires et les contributions de femmes telles qu’Abra Pokou, Akwa Boni, Aline Sitoé Diatta, Tata Adjatché, Marie Angélique Savané, Andrée Blouin, et j'en passe. Ce sont des femmes qui n'ont pas vu ou laissé quelqu'un les considérer comme inadéquates parce qu'elles sont des femmes. Et dans leur liberté, elles ont inspiré d'autres femmes (et des hommes), se sont battues pour la dignité de leur peuple, de tous les peuples. En tant que féministe, notamment avec les mentalités actuelles, parce que nombre de personnes ne s’instruisent pas, il est essentiel pour moi de dire que je ne fais rien d’exceptionnel. En réalité je me détends. Je lis l’histoire d’Andrée Blouin, féministe et chef de cabinet de Patrice Lumumba, et je suis époustouflée ! Mais certains de nos concitoyens s'imaginent qu'il s'agit là des femmes douces qu'ils veulent que nous soyons aujourd'hui. Oh non ! Elles étaient les grandes gueules d'origine. Nous sommes nos ancêtres !

J'aime la passion et la résistance très claire contre un récit unique de ce que sont les femmes africaines et les féministes africaines. Comment décrirais-tu ton parcours d'écrivaine par rapport à ton identité de féministe africaine ?

Écoute, j’estime que ta politique transparaît dans tout ce que tu fais. Plus j'évolue dans mon parcours de féministe, plus je veux être libre dans ce que j'écris, dans les projets que je choisis. J'ai commencé́ à écrire professionnellement en 2012 ; je me suis identifiée comme féministe en 2016. Mais j'ai commencé à questionner les choses et les gens autour de moi à l'âge de 5 ans. C'est le premier souvenir que j'ai d'un moment où j'ai remis quelque chose en question. Et c'est ainsi que je décris ma relation entre le fait d'être écrivaine et le fait d'être féministe. Ce sont mes deux identités. Je ne peux rien faire d'autre qu'écrire ; je ne peux rien être d'autre qu'une féministe parce que je refuse d'être limitée par le fait que je suis née femme. Je veux dire par là qu'être une femme est la plus belle chose qui soit.

Tu es également très passionnée par la traduction et tu as parlé de son caractère politique. Pourrais-tu nous en dire plus à ce sujet ?

Tout est politique dans mon monde. Je suis une femme très politique et politisée. Et j'ai choisi de m'identifier comme traductrice littéraire – remarque que je fais toujours précéder le mot “traductrice” par le mot “littéraire”. Je crois au pouvoir des histoires, et les gens ont le droit de raconter leurs histoires dans la langue de leur choix. En qualité de traducteurs et traductrices, nous avons le devoir de transmettre cela et de respecter tout ce qu’il y a autour : le contexte culturel, le registre de langue, etc. 

Ainsi, si quelqu'un écrit “Ivorians do”, je le traduirai par “les populations ivoiriennes font”, de sorte que lorsque nous en viendrons au pronom, j'utiliserai “elles”. Je ne veux même pas utiliser le “iels”(contraction de ils et elles, pour they en anglais) ou “ivoirien.ne.s” (pour désigner les hommes et les femmes ivoiriens) ou bien Dieu m’en garde “travailleur.euse.s” (pour les travailleurs, hommes et femmes) parce que si vous remarquez dans ces exemples que j'ai donnés, c'est toujours le pronom masculin qui l'emporte. Donc, pour l'instant, mon travail consiste à faire en sorte que le pronom masculin ne soit pas trop en tête. En ce qui concerne les œuvres de fiction, c'est un peu plus difficile, mais c'est là que réside le défi : choisir des œuvres d'auteurs et autrices ayant une conscience politique et féministe. Cela ne veut pas dire que les auteurs et autrices dont je choisis les œuvres sont toujours féministes. Parfois ce n’est pas le cas. Et c’est très bien. Mais il est important que leur travail ait une conscience.

Que signifie ce travail de traduction politique pour la construction du mouvement féministe africain ?

Nous avons besoin de plus en plus de traduction, de traductrices conscientes et de traducteurs conscients que nous ne remplaçons pas simplement les mots par leurs équivalents. Des traductrices et traducteurs qui désirent encourager la traduction de textes moins traduits et combler le fossé. Il existe un tel déséquilibre linguistique dans les documents féministes, que nous pourrions être tentés de penser que le féminisme africain est anglophone. L'une des choses que j'ai aimées dans Eyala, et que j'aime toujours, c'est la manière dont la traduction est réalisée. Lorsque vous nous présentez Lorato Modongo, vous n'essayez pas d'expliquer aux francophones que Lorato Modongo est une puissance au Botswana. Eyala respecte notre intelligence, et cette compassion dans l'activisme m'a beaucoup inspiré lorsque j'étais au stade de la réflexion pour 1949. Oui, je serai exigente. Oui, ce sera un lieu intellectuel, mais nous viendrons avec le désir d'apprendre des autres qui ont d'autres qualités. Nous ferons preuve de compassion. J'apprends des gens qui s'enlisent, par exemple. Ce n'est pas un trait de caractère très fort chez moi. Je vis dans mon esprit. Je réfléchis beaucoup, je traite mieux les choses par l'écriture, etc.

Tu as mentionné de 1949, et je veux que nous en parlions. C'est ton bébé, la bibliothèque des écritures féminines d’Afrique et du monde noir. D’où vient son nom ?

J'aime que vous parliez de LA bibliothèque des écritures féminines africaines. Je l'appelle LA bibliothèque ou THE library et j'aime ça. Ce n'est pas une bibliothèque indéfinie (rires). 1949 est l'année où les femmes politiques du PDCI (Parti démocratique de Côte d'Ivoire) et du RDA (Rassemblement démocratique africain) ont manisfesté contre l'administration coloniale française en Côte d'Ivoire. Cette manifestation n'était pas une marche organisée comme celle à laquelle nous pensons lorsque nous parlons de “marche”. Pour éviter d'être arrêtées, les femmes se sont déplacées par groupes de deux ou trois à la fois, en prétendant aller à la ferme ou rendre visite à un ami ou à un membre de leur famille. C'est ainsi que 2 000 femmes environ sont arrivées à Grand Bassam.

Quelle a été l'inspiration pour la création de la bibliothèque, au-delà de l'histoire qui lui donne son nom ?

La bibliothèque a été créée le 5 mars 2020, nous avons donc quatre ans maintenant et sommes donc encore au niveau de la maternelle. J'ai choisi ce nom parce que soit l'histoire de la marche des femmes est soit quasiment oubliée, soit, lorsque les gens s'en souviennent, ils disent que plus de 2 000 femmes ont marché pour libérer leurs maris (7 hommes) de prison, ce qui minimise donc l'histoire et les sacrifices de ces femmes.

Pour en revenir à la première question sur le fait d'être une féministe africaine, tu comprends pourquoi il est très important d'insister encore et encore sur les contributions des femmes.

L'inspiration pour la création de la bibliothèque était aussi de ne pas arrondir les angles. L'une de nos sources d'inspiration à la bibliothèque est Stephanie St Clair. Nous ne cachons pas qu'elle était un gangster à Harlem dans les années 20. Ainsi, de la même manière que nous mentionnons qu'elle a joué un rôle actif dans le mouvement des droits civiques, en écrivant et en donnant de l'argent au mouvement, nous mentionnons également qu'elle était un gangster. Les deux ne sont pas exclusifs. Ou bien nous parlons de Nana Benz. J'ai parlé tout à l'heure d'inspiration. Certains diront que leur travail en tant que Nana Benz n'a profité qu'à leurs enfants et non aux nombreuses autres femmes du Togo, du Bénin ou du Ghana. Mais qu'y a-t-il de mal à inspirer son enfant ? Et sommes-nous sûrs que ce ne sont que leurs enfants qu'elles ont inspirés ?

Nous qui observons les actions des femmes qui nous ont précédées, des femmes qui sont plus visibles aujourd'hui... devons cultiver la compassion. Je te le dis, lorsque tu n’es pas au cœur de l'action, il y a tant de choses que tu ferais mieux.

Je pense qu'il est utile de se pencher sur ces choses et de les améliorer à notre époque. Quelles sont les activités que vous proposez à la bibliothèque ? J'imagine qu'il ne s'agit pas seulement d'un espace de lecture, comme c'est le cas dans la plupart des autres bibliothèques.

Nous sommes toujours en train de faire quelque chose ou l'autre dans cette bibliothèque. Je vous le dis, c'est l'âge de l'école maternelle !
Nous organisons des conversations féministes tous les deux mois –  nous les appelons “Le bissap féministe”. Nous buvons du bissap, nous choisissons un thème et nous en parlons. Nous invitons également des experts : avocats, médecins, etc. Si nous discutons du taux de mortalité des femmes, nous invitons un médecin, un gynécologue, de sorte que lorsqu'une femme sort de cette conversation, elle sait où aller et elle sait ce qui ne devrait pas lui arriver. La bibliothèque se trouve dans une zone où le niveau socio-économique est plus bas, et nous en tenons compte dans notre programmation.

Nous avons également des conversations avec des jeunes filles tous les quinze jours – les jeunes hommes sont autorisés à nous rejoindre, mais s'ils ne viennent pas, nous n'allons pas chercher quelqu'un dans la rue. En réalité, nous ne faisons pas ça, nous ne tirons pas les hommes ou les femmes de la rue ; nous voulons simplement être si bons que les gens n'ont pas d'autre choix que de venir chez nous. Je veux dire, uniquement des écrits de femmes, d'Afrique et du monde noir, organisant des choses avec des noms comme Le bissap féministe ! À Yopougon ! Hahaha ! Alors oui, nous avons des conversations avec des jeunes filles, et nous lisons ensemble. On joue en invitant un coach vocal. Si nous voulons que les femmes et les jeunes filles s'expriment, il faut leur apprendre COMMENT s'exprimer. Si tu mumures et que ta voix est monotone, personne ne t’écoutera.

Nous racontons aussi des histoires aux enfants de 5 à 8 ans (nous poussons jusqu'à 10 ans car personne ne veut partir) ; nous ne lisons que des histoires écrites par des femmes africaines et noires. C'est un travail difficile. Nous avons besoin de plus d'histoires pour les enfants qui ne cherchent pas à conclure avec une belle morale à la fin.

J'apprécie le fait que vous ayez quelque chose à offrir à des personnes de différentes générations. Quels sont vos principaux projets pour cette année ?

Les enfants en maternelle n'ont jamais de programme. Hahaha ! Leurs enseignants en ont un, mais eux n'en ont pas. Pour la Journée mondiale du livre, nous avons décidé de présenter les cinq femmes ivoiriennes à lire. Nous avons maintenant une librairie. Nous organisons des ateliers d'écriture créative. Nous devons documenter, et pour cela, nous devons apprendre à documenter. Nous devons apprendre à raconter une histoire. Parfois, vous rencontrez des gens qui veulent vous raconter l'histoire de leur souffrance, mais qu'est-ce qui rend l'histoire de votre souffrance intéressante ? La souffrance est la souffrance, à des degrés divers, mais comment la raconter ? Nous avons accueilli deux résidences jusqu'à présent, une résidence d'écriture pour des femmes écrivains de Côte d'Ivoire en début de carrière, et une résidence de recherche ouverte aux femmes noires du monde entier. Nous avons présenté une pièce de théâtre : un groupe de femmes griots. Nous avons l'habitude de voir des griots hommes, mais ici nous avions des femmes.

En gros, nous n'avons pas de programme ; nous agissons au gré de notre inspiration et, heureusement, tout se passe bien jusqu'à présent. Certaines d'entre elles, comme le podcast, ont dû être interrompues pour des raisons de financement, de temps ou de ressources humaines. La recherche prend beaucoup de temps !

J'ai hâte d'écouter le podcast lorsqu'il sera lancé, et nous serons ravies de le partager avec la communauté Eyala. Comment la bibliothèque a-t-elle été accueillie dans votre communauté et au-delà ?

Écoute, nous n’avions pas la moindre idée de ce que nous faisions, et je n'ai rien fait pour m'aider en choisissant les livres que j'ai choisis ou en tenant le genre de conversations que j'ai eues. Je suis quelqu'un d'amusant, mais j'ai tendance à dire les choses telles que je les vois. Je le fais avec beaucoup de compassion et d'attention, mais je dis les choses telles qu'elles sont. La bibliothèque possède un restaurant et un jour, un homme est venu manger et s'est étonné que nous ayons tous ces livres.

Puis il a dit : “J'espère que c'est une bibliothèque panafricaine ! Vous, les Africains, de nos jours.” Je lui ai répondu que c'était une bibliothèque panafricaine. Il a regardé autour de lui et, sans doute parce qu'il ne voyait pas Cheick Anta Diop, il a demandé ce qui la rendait panafricaine. Je lui ai répondu qu'une bibliothèque qui possède des ouvrages de Mariama Bâ, Marie-Vieux Chauvet, Ken Bugul, Maryse Condé, etc. est aussi panafricaine que le panafricanisme peut l'être. Il a concédé à contrecœur, mais a dit que je savais ce qu'il voulait dire.

Je lui ai répondu que ce n'était pas le cas. Je savais exactement ce qu'il voulait dire, mais quel est le plaisir de la vie si vous devez secouer les toiles d'araignée dans l'esprit des gens ?

Un autre parent a décidé de ne pas autoriser sa fille à visiter la bibliothèque lorsqu'il a vu qu'au dos de nos T-shirts, nous avions écrit : la bibliothèque d’écritures féminines d'Afrique et du monde noir. Je lui ai simplement demandé ce qu'il y avait de mal à mettre en valeur les contributions des femmes africaines et noires.

Il est intéressant de voir tout ce que les gens peuvent perdre en s'accrochant à leurs points de vue et perspectives limités.

Lors de notre premier bissap féministe, nous étions cinq personnes : les deux orateurs invités, deux autres personnes et moi. Haha. Lors de la première séance de contes, il y avait deux enfants et l'un d'eux était le mien. Aujourd'hui, nous organisons un bissap féministe auquel participent 30 personnes, dont l'âge varie entre 20 et 65 ans et dont la plupart vivent à Yopougon. Nous avons des personnes qui ne sont pas impliquées dans les conversations féministes. Nous organisons des lectures de contes les mercredis et samedis avec 20 enfants à chaque fois.

Au cours de notre première année, personne ne savait qu'il y avait une bibliothèque dans le quartier ; aujourd'hui, si vous êtes perdu, ils vous montreront où elle se trouve. Au-delà de la communauté, des gens nous ont dit que la bibliothèque était trop loin, et je me suis toujours demandé : loin de quoi ? De qui ? De qui ? Maintenant, les gens viennent.

Quel est, selon toi, l'impact de cet espace ? Cela correspond-il à la vision que tu avais lorsque tu as fondé la bibliothèque ?

Je constate que nous nous concentrons sur les productions littéraires qui placent les femmes au centre des conversations. Ce parent qui ne voulait pas que sa fille vienne à la bibliothèque l'a maintenant autorisée et paie même son abonnement. Telle est la vision. Et elle s'aligne.

J'aime le fait que maintenant, des adolescentes viennent et passent du temps à lire, qu'il y ait une activité ou non. J'aime le fait que nous ouvrions les portes 6 jours par semaine, de 10 heures à 21 heures, et que parfois, personne n'entre ! C'est ce que je dis toujours aux gens. C'est pour cela que j'aime raconter l'histoire d'un événement qui démarre avec deux personnes qui viennent, où personne ne veut venir, mais où l'on continue, en poursuivant la vision et les objectifs que l'on s'est fixés. Mon ambition avec la bibliothèque n'est pas de courir comme un poulet sans tête.

Quels sont les trois conseils que tu donnerais à quelqu'un qui désire ouvrir une bibliothèque similaire quelque part en Afrique ?

  • Décidez pourquoi vous voulez créer une bibliothèque qui se concentre sur les contributions des femmes.

  • Sachez que vous ne pourrez pas tout faire et que c'est très bien ainsi.

  • Sachez qu'il y a des conversations que vous ne pourrez pas avoir maintenant ; notez-les dans votre carnet et trouvez un moyen de les avoir d'une manière créative ou plus tard.

Parlons un peu plus de ton lien personnel avec cette bibliothèque. Comment la gestion de la bibliothèque a-t-elle influencé ton travail en tant qu'écrivaine, femme africaine et féministe ?  

En tant que femme africaine féministe, je connais la valeur du sommeil. Surtout les siestes. Je n'aime rien tant que de tout arrêter à 13 ou 14 heures pour faire des siestes – et mes siestes sont longues ! En gros, je dors. Il m'arrive donc de me réveiller à 3h30, de brûler de l'encens, de boire du thé, puis de recommencer à travailler. Plus je lisais, plus je me rendais compte que les femmes qui m'ont précédée, les femmes que j'admire aujourd'hui, prenaient du temps pour elles-mêmes. Et chacun a sa façon de prendre du temps. Pour moi, ce sont les siestes, c'est choisir de ne pas voir les gens. C'est choisir de lire. Ou d'aller nager. Ce n'est certainement pas un massage, par exemple.

On ne fait pas le genre de musique qu'elles ont composé, on n'écrit pas les choses qu’elles ont écrites, on ne peint pas sans prendre du temps pour soi. C'est pourquoi nous n'insistons pas sur la création lors des résidences. Il n'y a pas de mal à s'éloigner pour dormir, lire, manger, faire de courtes promenades, boire du bon vin, dormir encore, être avec soi-même. En fait, l'une de nos devises à la bibliothèque est la suivante : J'ai tellement de choses à faire que je vais lire.

Nous avons tant à faire. Notre continent a tant à faire. Reposons-nous et lisons au lieu de courir partout avec l'obligation de produire.

En tant qu'écrivaine, je veux apprendre à écrire des pièces de théâtre et à les voir sur scène. Dans le cas de la Côte d'Ivoire, quelque 51 % de la population ne sait ni lire ni écrire le français (et peut-être les 70 autres langues de Côte d'Ivoire). Nous avons toutefois une culture orale et personnellement, je m'intéresse à l'oralité de la littérature. Mais je prends le temps d'écrire. Je ferme la porte de mon bureau tous les lundis et mardis pour écrire. Je lis tous les matins.

Quel est ton plus grand rêve pour la bibliothèque ?

Le rêve est trop grand pour que je puisse le mentionner.

Vive les grands rêves et espérons que nous les verrons se concrétiser. Qu'est-ce qu’Edwige l'écrivaine va bientôt écrire ?

Je suis occupée à éditer un roman – le mien – et à écrire un recueil d'essais.

Comment la communauté Eyala peut-elle vous soutenir, toi et la bibliothèque ?

Nous avons toujours besoin de bons livres. Nous avons besoin de bénévoles. Et de fonds ! Ce qui signifie le sponsoring fiscal (longue histoire mais nous sommes prêts à en parler).

 Terminons par notre question finale préférée : quelle est ta devise de vie féministe ?

 Remettez toujours les choses en cause. Soyez libres. Soyez compatissants.

Merci beaucoup Edwige. Nous espérons pouvoir nous joindre à toi pour un bissap féministe bientôt.

 

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Afrifem en Action : Salematou Baldé et Aude N’depo racontent le festival Mes Menstrues Libres en Côte d’Ivoire

Le 28 mai de chaque année,  la journée mondiale de l'hygiène menstruelle est célébrée. Dans le cadre de cette journée, diverses activités sont organisées. Dans cet entretien, Salematou Baldé et Aude N’depo nous partagent leur expérience au festival Mes Menstrues Libres, premier festival axé sur la dignité menstruelle en Afrique de l'Ouest francophone, qui se déroule les 25 et 26 mai 2024 à Abidjan.

Découvrez la manière dont des féministes africaines ont créé cet espace de discussion, de sensibilisation et de plaidoyer  visant à combattre la précarité menstruelle et à déconstruire les préjugés sur les menstrues.

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Salut Salematou et Aude. Merci de vous présenter.

Salematou : Je m'appelle Salematou BALDE. Je suis une militante féministe, présidente de l'ONG Actuelles et co-organisatrice du premier festival en Afrique de l'Ouest, Mes Menstrues Libres. L'ONG Actuelles s'engage à promouvoir le respect des droits en matière de santé sexuelle et reproductive des filles et des femmes, ainsi que des personnes ayant des besoins spécifiques. Notre activité se concentre sur la lutte contre les actes de violence sexuelle et sexiste. Nous nous concentrons également sur l'acquisition de connaissances, le développement de compétences, la formation, ainsi que sur le plaidoyer, qui est un aspect stratégique au sein de l'organisation. Le plaidoyer, en particulier en faveur de l'adoption d'une loi sur la santé de la reproduction en Côte d’ivoire.

Aude : Alors moi je suis Aude N'depo, coordinatrice de projet pour l’organisation Gouttes Rouges qui est co-organisatrice du festival Mes Menstrues Libres. Gouttes Rouges est une organisation qui travaille pour la dignité menstruelle. On lutte contre l’illettrisme et la précarité menstruelle.

Pouvez-vous me parler des origines du festival Mes Menstrues Libres ?

Aude : Le festival a été initié par deux grandes féministes africaines qui luttent contre la précarité menstruelle, Amandine Yao qui est la présidente de l’ONG Gouttes Rouges et Salematou ici présente. 

Salematou : Cela te fera sourire. Depuis des années, Amandine et moi sommes engagées dans la recherche sur la précarité menstruelle en Côte d'Ivoire. Notre travail consiste à rendre les protections menstruelles accessibles aux jeunes filles, à restaurer leur dignité et à leur faire comprendre que les règles sont normales. Un jour, à l'aéroport, nous nous rendions à Niamey pour assister au premier Agora féministe. Je dis à Amandine : "Attends, nous partons à Niamey, c'est vrai, nous allons rencontrer d'autres féministes et ensuite nous reviendrons en Côte d'Ivoire. Ça ne te dirait pas que cette année, nous organisions un truc spécial pour célébrer la Journée mondiale de l'hygiène menstruelle ?" Elle répond "oui, c'est une bonne idée". Ensuite, j’ai dit : "et si nous organisions un festival ?" Elle répond, "c'est génial, on en discute quand on rentre". L'idée est apparue de cette manière, à l'aéroport pendant que nous attendions l'embarquement.

Hahaha, c’est super :)

Salematou : L'idée a commencé à se développer. Quelles activités peuvent être proposées, qui doit être intégré, de quoi faut-il parler, comment obtenir des financements ? Après avoir quitté l'Agora, nous avons poursuivi notre processus de réflexion. Puis, il était nécessaire de déterminer un nom. 

Il y avait plusieurs propositions de noms. Et Amandine me demande : et si on disait Menstrues Libres ? Cela s'accordait parfaitement avec l’idée que nous avions de l’initiative. Et voilà comment commence cette belle aventure. Au départ, nous étions deux mais avec des personnes extérieures à nos organisations pour la réflexion. Ensuite, nous avons convenu qu'il était nécessaire de rassembler les organisations qui œuvrent dans la lutte contre la précarité menstruelle, que ce soit dans les prisons, dans les marchés, dans les communautés, dans les écoles. Ainsi, nous avons réuni tout le monde et avons réussi à organiser la première édition avec des ressources peu importantes, mais grâce à l'engagement et à la dynamique de nos membres. Et maintenant, la seconde édition les 25 et 26 mai 2024 à Abidjan.

Aude : C’était une belle idée d’organiser le festival. Déjà, nous sommes deux organisations. Nous travaillons sur la question, on connaît les réalités que rencontrent les filles et les femmes. On sait à quel point le corps de la femme, il ne faut pas en parler parce que c’est sacré. Créer un festival où on vient libérer la parole était nécessaire.

Un tel festival était nécessaire en effet. Les tabous autour des menstrues sont pesants. Il y a beaucoup de stigmatisation et de stéréotypes. Vous vous rappelez quand vous avez eu vos premières règles ?

Aude : Je me souviens, j’étais en classe de quatrième quand j’ai eu mes premières règles, et j’étais très gênée. Je ne voulais pas du tout en parler. D’ailleurs, je n’en ai pas parlé. Je suis arrivée à la maison. Comme j’avais beaucoup de grandes sœurs et tout, je les voyais faire. Donc, je me suis débrouillée avec mes propres moyens. Je n’avais pas de serviettes à disposition. Donc, j’ai essayé de trouver un morceau de pagne que j’ai plié et que j’ai mis. Et arrivé un moment, c’était tellement mouillé que ma grande sœur avait remarqué et elle m’a dit. Elle m’a demandé : depuis quand tu as tes règles ? Elle m’a appris, elle m’a expliqué un peu comment ça se passe, ce que je devais faire et tout. Je me suis dit, si j’avais été éduquée sur la question, les choses se seraient passées autrement. Après, quand j’ai commencé à côtoyer d’autres jeunes filles, elles me disaient qu’à l’école, elles ne pouvaient pas parler de leur menstruation parce que leurs voisins, qui sont des garçons, se moquent d’elles et tout, que j’ai réalisé en fait à quel point c’était tabou et stigmatisé. Ce sont les raisons pour lesquelles je milite pour cette cause.

Quels sont les objectifs du festival ?

Salematou : Lorsque nous avons organisé le festival Mes Menstrues Libres, notre objectif principal était de briser les tabous, de déconstruire et ensuite de favoriser le partage d'expériences. Prenons l'exemple des jeunes filles qui croient que lorsqu'elles commencent à avoir leurs règles, si un garçon les touche, elles tombent enceintes. C'est cette notion qui circule depuis longtemps. Il est essentiel de résoudre l'omerta sur cette question et de transmettre les informations pertinentes. Selon nous, il est primordial de proposer un lieu de discussion, de sensibilisation et de réseautage. Il ne faut pas négliger les échanges intergénérationnels afin qu'elles se rendent compte qu'elles ne sont pas les seules à faire face à ce phénomène, qu'il s'agit d'un phénomène naturel et que nos mamans, nos grand-mères et d’autres femmes sont passées et certaines continuent de vivre ce phénomène naturel. Par la suite, notre objectif est de mettre en place un cadre de réflexion sur les mesures à prendre pour lutter contre la précarité menstruelle en Côte d'Ivoire.

Je suppose qu’avec l’État et d’autres parties prenantes, vous aviez aussi des objectifs en initiant le festival. 

Salematou : Oui. Comment peut-on les amener, au niveau de l'État, à voir la question de la précarité menstruelle comme un problème social important ? Comment peut-on faire face à tout cela ? Afin de répondre à toutes ces questions, nous avions besoin d'un grand nombre de personnes et d'un environnement propice à la discussion. 

Il existe des traces de serviettes en Côte d'Ivoire, ainsi que des traces de coupes menstruelles. Actuellement, le tampon n'est pas fabriqué, mais il est commercialisé ici. Par conséquent, comment les rassembler dans le même espace avec les professionnels de la santé ? Car fréquemment, la question de la composition des protections hygiéniques se pose. Comment peut-on les rassembler, susciter des débats et trouver des solutions ? Voilà nos objectifs au départ de ce festival.

Cette année, c'est la deuxième édition du festival. Comment s'est passée la première édition ? Comment les gens l'ont-elle accueillie ? 

Salematou : Le premier jour, dès que nous avons commencé à en parler, les gens disaient : "Attendez, un festival sur les menstrues, les règles... un festival ? Les deux ne collent pas. Quand on va à un festival, c'est pour danser, c'est pour s'amuser. Mais vous ajoutez menstrues à côté. Non, non, non, non, non. Il va falloir que vous nous expliquiez l'idée qui est derrière."

C'est vrai ! J'ai eu la même réaction aussi. Mais plutôt dans le sens de : "Oh, voilà un espace où on peut parler de choses sérieuses avec joie." J'adore ! Personnellement, je suis fatiguée des symposiums, des espaces lourds. 

Salematou : Et c'était précisément cela, en réalité. Nous avons convenu que, fréquemment, nous organisons des panels, des webinaires, des événements de discussion. Cependant, lorsque l'on souhaite rassembler les jeunes aujourd'hui et obtenir une majorité, il est nécessaire de les impliquer, de faire ces activités dans les espaces où ils se trouvent. Et les festivals, même le simple nom, suscite l'intérêt. La première édition a eu lieu à l'Agora de Koumassi, qui reste un lieu de rassemblement et de vie commune. Il existe de nombreuses écoles à proximité, des quartiers et des jeunes. Les jeunes sont arrivés et manifestaient un vif intérêt pour les activités. Il y avait des activités ponctuelles et des activités fixes.

Par exemple, nous avions l'atelier de peinture pour lequel nous n'avions pas pu accueillir un grand nombre de participants, la participation était limitée. Beaucoup de jeunes n’ont pas pu prendre part. Nous avons décidé de nous rattraper pour la deuxième édition.

Qu'est-ce qui t’a marqué personnellement lors de cette première édition ? 

Salematou : Ce qui m'a le plus marqué, lors de cette édition, c'est l'arrivée de l'adjoint au maire de Koumassi, à qui nous avions envoyé un courrier. Il est arrivé et a visité les stands. A la fin du festival, nous avons déposé le rapport et durant nos discussions, nous avons décidé de revenir dans la commune pour la deuxième édition. C'est un bon début de collaboration et d’engagement de la part des autorités.

Et toi Aude ?

Aude : Ce qui m’a personnellement marqué, c’était l’engagement des jeunes filles que j’ai vues. On avait des jeunes filles de 9 ans, 10 ans, 11 ans qui étaient vraiment impliquées, qui écoutaient les panels, qui se retrouvaient à poser des questions. Et surtout, on avait une salle spéciale qu’on a appelée « la salle des expériences » où chacune devait venir raconter son histoire, une anecdote avec ses menstruations. Il y avait tellement d’histoires tellement choquantes et surprenantes que je me suis dit, franchement, c’était une très belle idée de faire ce festival-là et on a vraiment libéré la parole.

C’est quoi la salle des expériences ?

Salematou : Il s'agit d'une salle vide où l'on dispose d'une table centrale avec des papiers, des stylos, ainsi que des cordes à linge déjà placées en haut, puis des pinces. Ainsi, lorsque tu arrives, tu prends un papier, de toutes les teintes, la couleur qui te convient. Tu choisis la couleur de stylo qui te convient le mieux, dans laquelle tu te sens le mieux. Tu nous fais part de ton expérience avec les menstruations de manière anonyme. De manière anonyme. Et une fois que tu as terminé, tu prends ta pince et tu la mets sur l'une des cordes. La proposition consiste à ce que les filles qui arrivent ensuite dans la salle puissent regarder, lire les expériences et se dire : tiens, je ne suis pas la seule à vivre cette expérience. Il y a déjà cette autre personne qui a vécu cette expérience. C'est un peu ça la salle d'expérience.

C’est magnifique ! 

Salematou : Oui. C’est une trouvaille, une pépite qu'Amandine nous a dégoté. C’est mon coup de cœur dans ce festival, parce que chaque année, les expériences qu'on recueille dans cette salle, c'est tout simplement magnifique.

Aude : L’autre chose qui m’a marqué aussi, c’est l’impact du festival. L’un des projets sur lesquels je travaille, c’est le projet Club Rouge. Via ces clubs, on organise une série d’ateliers dans les établissements où je discute avec des jeunes filles particulièrement. Ces jeunes filles-là ont été invitées à la première édition. Et ensuite, quand je suis retournée dans ces établissements, leurs copines venaient me dire "Ah, mais nous, on n’a pas été invitées. Voici ce qu’on a eu comme retour de nos copines à propos du festival. Vraiment, on aimerait participer. On a beaucoup de choses à dire. Déjà, nous, dans notre établissement, on n’a pas de toilettes. Donc, on ne peut même pas se changer quand on a nos menstruations." Donc il y a eu un retour parce que ces jeunes filles qui ont participé sont revenues partager ce qu’elles ont reçu avec leurs copines, ce qui a aussi motivé leurs copines à parler également.

On parle souvent des menstrues, mais c'est très rare qu'on entend parler des menstrues d'un point de vue féministe. Quelle est la contribution du festival en ce sens ? 

Salematou : Déjà, le festival est organisé par deux organisations féministes. Le cadre est bien posé. On ne peut pas dissocier les deux, les menstruations et le féminisme. On adresse une question qui concerne les femmes et les filles. Nous ne pouvons pas laisser les autres parler pour nous. Nous ne pouvons plus continuer à laisser les filles sans la bonne information. Il faut qu’on explique aux filles ce que c’est, renforcer leur confiance, leur estime en elles-mêmes et leur dignité. Nous devons déconstruire les mythes ou toutes ces idées reçues que nous impose la société. Vraiment être dans quelque chose et construire cela. Et ce festival, c'est aussi pour créer, pour impulser l'esprit féministe aux filles.

Tu parlais de dignité. Je vois de plus en plus “dignité menstruelle” à la place de “hygiène menstruelle". Pourquoi ?

Aude : Depuis toujours, on a tendance à dire « hygiène menstruelle ». En parlant d’hygiène menstruelle, on est en train d’apporter une vision hygiéniste aux menstruations. C’est comme accepter que les menstruations sont sales. C’est comme accepter que les menstruations, c’est quelque chose qu’il faut nettoyer, ce n’est pas propre. On parle de dignité menstruelle parce que c’est quelque chose de normal, de naturel. Dans certaines communautés, on voit que les règles sont célébrées. Nous ne voulons pas renforcer les idées reçues sur les menstruations. Pour nous, les menstruations, ce n’est pas sale. C’est quelque chose de complètement naturel. C’est un renouvellement du cycle. Voilà pourquoi on parle de dignité menstruelle.

En effet, le terme "hygiène menstruelle" sous-entend que les menstruations sont intrinsèquement sales ou honteuses, ce qui contribue à la stigmatisation. Utiliser "dignité menstruelle" aide à combattre ces tabous et à mettre en avant le fait qu'il s'agit aussi de garantir que toutes les personnes menstruées aient accès à l'éducation, aux produits menstruels et aux installations sanitaires sans discrimination. Est-ce que le festival offre aussi un espace ou un cadre pour parler de sexualité en général ?

Salematou : Oui. Tu connais les ateliers du Minou Libre ? On va animer un atelier Minou Libre pendant le festival. Et puis en même temps, il y aura des cercles de paroles et des panels sur différentes thématiques liées à la santé sexuelle et reproductif. 

Super. Quelles sont les activités prévues pour cette deuxième édition ? 

Salematou : D’abord, cette année, ce sera au foyer des jeunes de Koumassi. C'est la mairie qui nous a proposé cet espace-là. Pour les activités fixes, on a les ateliers, la salle des expériences, le couloir des expositions, où les partenaires, les organisations qui travaillent dans la santé sexuelle et reproductive viennent exposer et discuter avec les festivaliers. Il y aura cette année des ateliers couture, peinture et sculpture. On a également un shop avec des tasses, des mugs, des tote bags qu'on va vendre. L'idée derrière, c'est de pouvoir collecter des fonds et rénover les toilettes dans les établissements, les collèges et les lycées surtout, pour permettre aux jeunes filles d'avoir des espaces safe en toute sécurité et en toute dignité, que ce ne soient pas des toilettes qui soient mixtes. Et puis, on a la salle "Nous". C’est une salle de repos, de réseautage. On sait que quand on vient à un festival du matin au soir, parfois, on est fatigué. On peut avoir un coup de mou. Donc, vraiment, on a aménagé une salle où tu peux aller te reposer, networker, discuter, mais vraiment de façon très intime et très safe. Ça, ce sont les activités fixes.

Maintenant, sur les activités temporaires, il y a les panels, les discussions avec les experts. Il y a des cercles de parole avec un petit groupe très intime et puis, évidemment, on a notre soirée de présentation de la production des initiatives, des organisations qu'on a appelées "Period party". Parce que quand on dit festival, on dit quand même musique et danse. On va s'amuser, on va danser.

C’est très intéressant.

Aude : Oui. Les 25 et 26 mai au festival Mes Menstrues Libres, ce sera top. On va libérer la parole. Le premier jour, c’est ouvert à tout le monde et on aura des panels comme l’an dernier. On aura des activités qui visent à démystifier les menstruations. Ensuite les ateliers entre femmes, partager nos expériences, en tout cas, libérer la parole. On va parler des initiatives qui sont mises en place dans le contexte de lutte contre la précarité menstruelle. On va se partager leurs bonnes pratiques, s’en imprégner, s’en inspirer. 

Salematou : L’autre chose intéressante, cette année, c'est qu'on aura une charte féministe. Cette charte-là va nous aider à pouvoir gérer, ou si tu veux, cadrer tout ce qui va se faire au niveau du festival, que ce soit les propos, les gestes, les commentaires. Tout doit se passer dans un esprit féministe. La charte sera présentée aux participantes, à tous nos partenaires. Nous avons aussi avancé dans la construction scientifique du festival. Qu’est-ce qu’on peut faire ? De quoi on peut parler ? Nous avons pensé à nos sœurs féministes des autres pays pour nous apporter leur lumière, co-créer. Cela montre aussi tout ce à quoi on réfléchit pour consolider le festival.

Quels sont les défis que vous avez rencontrés dans l’organisation du festival ?

Salematou : Je pense que l'un des gros défis quand on organise un festival de cette envergure, c'est d'abord financier. Les partenaires réagissent, on va dire, un peu tardivement. La première édition, ça a été très difficile parce que certains partenaires ont réagi dans la semaine du festival. Et pour nous, quand tu sais que tu dois faire des productions, que tu dois lancer des commandes, c'est un peu complexe. Ensuite, c'est le temps. Parce que le temps joue contre nous. Parfois, on a l'impression qu'il nous reste assez de temps. Et après, on se rend compte qu'il ne reste plus beaucoup. Là, on sait que le festival, c'est la semaine prochaine. Et je te dis, c'est full.

Est-ce que vous avez d’autres projets avec le festival ? Comme d'étendre le festival à d'autres pays, par exemple ?

Salematou : Oui, on a l'idée. Par exemple, avec Amandine, on est en train de réfléchir en ce moment. Là, on a fait la première et la deuxième édition en Côte d'Ivoire. La troisième édition, si on a des partenaires qui nous suivent, pourquoi ne pas le faire dans un autre pays ? Je garde la surprise. 

Quel est le plaidoyer du festival à l’endroit des décideurs ? 

Salematou : Nos priorités en matière de Droits et Santé Sexuels et Reproductifs (DSSR) sont nombreuses. Nous utilisons le cadre de ce festival pour pousser ces plaidoyers. On parle de l’impératif d'avoir un cadre légal dans lequel les filles et les femmes sont aptes à jouir de leurs libertés et de leurs droits en matière de santé sexuelle et reproductive. Parce que cela constitue un frein en Côte d'Ivoire. N'ayant pas de cadre juridique légal, on va dire que tout est biaisé. On a ce vide juridique-là. La deuxième priorité, c'est l'information sur la santé sexuelle et reproductive. Les jeunes n'ont pas très souvent la bonne information. Ils ont l'information, mais pas la bonne information en ce qui concerne leur santé sexuelle et reproductive. Donc pour nous, c'est aussi une priorité que les jeunes soient informés, qu'ils puissent prendre des décisions éclairées sur leur santé sexuelle et reproductive. Et l'autre priorité, c'est en lien avec le premier, c'est d'intensifier et d'engager les autorités, les gouvernants à prendre en compte la santé sexuelle et reproductive dans leur agenda et se dire que c'est vraiment une priorité, c'est une question de santé publique.

Aude : Nous avons invité des décideurs au festival parce qu’on veut des actions concrètes dans la lutte contre la précarité menstruelle. Nous montrerons un aperçu de ce qui est fait lors du festival tout en exigeant plus d’actions. 

Il y a une question qu'on pose souvent aux personnes qu'on reçoit pour les conversations à Eyala. Quelle est votre devise féministe ? Une pensée, une phrase, une citation, quelque chose qui vous anime en tant que féministe.

Salematou : Alors, je pense que chez moi, ma devise, elle change parce que j'en ai plusieurs. Déjà, je me dis que toutes les filles et les femmes doivent avoir accès à leurs droits en santé sexuelle et reproductive. Moi, je rêve d'un monde où toutes les filles et les femmes jouissent de leurs droits en santé sexuelle et reproductive, ça c'est la première chose. Autre devise, amour parce qu’il faut de l'amour, de la sororité et de l'intersectionnalité. Il faut qu'on arrive à adresser ces trois points ensemble. On est dans un monde, dans un système qui évolue certes, mais est-ce que le monde évolue selon notre conviction ? Est-ce que ce monde évolue selon ce que nous, on veut ? Nous devons faire mouvement ensemble. Et chez moi, c'est la sororité, c'est l'écoute, c'est l'empathie, le respect, la bienveillance, l'ouverture d'esprit, et tout est englobé dans l'amour. L'amour nous rend fortes. L'amour nous rend puissantes et épanouies.

Exactement. Nous avons trop besoin d'amour et de sororité dans nos mouvements en ce moment avec tout ce qui se passe dans le monde. Je ne pense pas que nos chances d’y arriver seront grandes sans amour et bienveillance dans nos mouvements.

Salematou : C'est ça et c'est à nous de le construire. 

Et toi Aude ? 

Aude : En tant que féministe, pour moi  c’est mon corps, mon choix. Moi, je me dis, en tant que femme, on doit être libre d’avoir nos propres choix concernant notre corps, parce que c’est avant tout notre corps. On est dans l’objectif de lever ce système qui impose aux femmes ce que la société veut. Donc, moi, mon credo en tant que féministe, c’est mon corps, mon choix.

C’est ce que je souhaite de toutes mes forces aux femmes : que nous puissions nous appartenir, et entièrement.

Merci à vous. Ce fut un plaisir. Bon vent au festival Mes Menstrues Libres. 

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« Être une artiste féministe, c’est utiliser son art pour faire grandir le combat. » -  Mafoya Glélé Kakaï  (Bénin) 3/3

C’est la troisième et dernière partie de notre entretien avec Mafoya Glélé Kakaï, juriste, peintresse et poétesse féministe béninoise. 

Dans la partie 1, nous avons exploré son enfance marquée par l'amour de la lecture et de l'écriture, ainsi que ses questionnements sur les inégalités de genre. Dans la partie 2, elle a partagé ses réflexions sur sa relation avec sa mère et les stéréotypes de genre, en particulier les attentes sociales associées au rôle des femmes. Dans cette dernière partie, nous explorons son parcours personnel et artistique, sa conception de l’artivisme, ses créations, sa vision féministe et ses projets futurs en tant qu’arriviste féministe. 

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Artiste, militante, féministe, comment décrirais-tu la façon dont tout ça se trouve interconnecté dans ton quotidien ?

Je suis une femme qui a grandi dans une société patriarcale et mon art est un peu, à certains égards, un journal. J’ai beaucoup de choses abstraites, mais j’ai beaucoup d’œuvres qui expriment ce que je vois. Je suis très sensible à la condition féminine et bien souvent quand je peins, je retranscris le sentiment que je ressens lié au fait d’être une femme et ce que je vois du traitement des femmes dans la société. Quand tu es une femme, qui vit dans une société patriarcale, quand tu parles de toi, tu ne peux pas ne pas parler des réalités des femmes. Tu ne peux pas ne pas parler de la douleur qui est liée au fait d’être une femme. Être une femme africaine, c’est rempli de douleurs et de difficultés. Ce qui fait que, même sans le vouloir, même sans le chercher, mon art devient naturellement une façon pour moi de militer. Il y a aussi de la poésie. J’ai tendance à lier certaines toiles que je peins à des poèmes. Je peux écrire un poème engagé et peindre une toile ensuite que je vais trouver qui correspond à ce poème engagé-là. Ce qui fait que j'ai parfois des toiles liées à des poèmes.

Je suis très sensible à la condition féminine et bien souvent quand je peins, je retranscris le sentiment que je ressens au fait d’être une femme et de ce que je vois du traitement des femmes dans la société.

Si tu dois parler des sujets au cœur de ce que tu crées, au cœur de ton travail artistique, quels sont les sujets que tu énumérerais ?

Les sujets, déjà les femmes. La façon dont je vois les femmes, africaines surtout, parce que je suis une femme africaine. Je parle aussi de la façon dont la société voit les femmes. J’ai une toile que si tu vas sur mon Instagram, tu vas la voir : Femmes invisibles. Enfin, je crois que c’est comme ça que je l’ai appelée. En tout cas, c’est une toile qui, pour moi, exprime la façon dont les femmes sont présentes dans le monde. Elles font le monde, mais elles sont aussi invisibles, invisibilisées. Je parle aussi de moi, de mes ressentis, de mes émotions. Il y a beaucoup de toiles que j’ai peintes qui sont simplement le reflet de mon ressenti à un moment donné.

C’est quoi l’artivisme selon toi ?

L’artivisme, c’est le fait d’utiliser son art pour exprimer notre vision de la société, pour exprimer ce qu’on aimerait que la société soit, pas seulement ce qu’on voit. Ce qu’on voit oui, mais ce qu’on aimerait voir dans la société. C’est une façon d’utiliser notre art pour dénoncer ce qu’on trouve qui ne va pas dans la société et d’user de cet art-là pour lutter contre les oppressions. C’est ce que je fais. Je me revendique artiviste, artiviste féministe. Comme j’ai commencé à le dire, je crée des œuvres qui montrent les vécus des femmes et en même temps le changement que je souhaite. 

J’anime aussi des ateliers d’art avec des militantes féministes au Bénin. En novembre 2023 au Bénin, la Fondation des Jeunes Amazones pour le Développement (FJAD) qui est une organisation féminine et féministe a organisé LA TRÊVE FÉMINISTE, un espace sûr et apaisant, où les femmes ont pu participer à des ateliers de bien-être, des thérapies, et des activités de détente, favorisant ainsi leur rétablissement physique et émotionnel. J’y ai animé un atelier d’art-thérapie. L’art-thérapie permet d’extérioriser les ressentis, se ressourcer. Je sais que pour moi, par exemple, quand je suis vraiment en colère et que je vais dans mon atelier, que je peins, que je mets cette colère-là sur une toile, je me sens beaucoup mieux après. Je me sens renaître, revivre. Et pour avoir fait de l’art-thérapie avec des militantes, je sais que c’est une activité qui nous permet vraiment de nous détendre et de nous exprimer. Je pense qu’on doit plus souvent utiliser l’art dans le milieu militant comme moyen d’expression ou de régénération. C’est une idée intéressante parce que, comme tu le sais, le travail militant est extrêmement épuisant. On essaie de naviguer dans un milieu qui n’est pas favorable à nous.

Je crée des œuvres qui montrent les vécus des femmes et en même temps le changement que je souhaite.

Comment est-ce qu’on peut davantage utiliser l’art au service des causes féministes selon toi ?

L’art n’a jamais été séparé des luttes féministes. Il y a déjà dans les années 70 plein d’artistes qui ont utilisé l’art pour parler des violences que les femmes vivent et pour dénoncer la façon dont la société traite les femmes. L’art est un outil, un reflet de la société. Et quand tu utilises l’art pour dénoncer la société, tu arrives à toucher des couches que tu n’aurais pas forcément réussi à toucher en dehors de l’art. Il y a le graffiti, par exemple, qui est un art qui au départ était beaucoup utilisé en subversion de la société, mais que des femmes artistes ont utilisé aussi pour dénoncer les violences basées sur le genre, les violences sexistes et sexuelles. L’art suscite aussi la discussion. J’ai beaucoup d’œuvres en ce moment que j’ai peintes pour une exposition qui sont totalement féministes. Je les ai montrées à mon cercle privé pour le moment et les œuvres ont suscité beaucoup de discussions. Ces œuvres peuvent créer la discussion féministe et j’ai vraiment hâte de les montrer. Je bouillonne d’impatience rien que d’y penser parce que parmi ces œuvres, il y a des sujets, des choses qui me sont vraiment propres à mon histoire personnelle et que je sais que plusieurs femmes partagent. C’est ainsi que l’art est au service de la cause.

Au-delà, il y a beaucoup d’artivistes qui ont utilisé une partie de leurs revenus d’artistes qu’elles ont réinjectées dans la lutte féministe pour nourrir les collectifs féministes. Personnellement, c’est une idée qui me séduit beaucoup et que je vais probablement faire quand j’arriverai à vraiment vivre de mon art. En fait, être une artiste féministe, c’est une façon d’user son moyen d’expression pour faire grandir le combat.

Le sexe faible , 80x80 cm acrylique et collage sur toile _ Par Mafoya Glele Kakaï

Très inspirant. Comment décrirais-tu ton processus créatif ?

J'ai des processus créatifs. Souvent, ça part d'une impulsion. On peut dire une intuition. Je vois l'œuvre finale se façonner dans ma tête et puis je vais dans mon atelier, je peins. Ou si je ne peux pas être dans mon atelier, j'ai toujours un petit carnet de dessin avec moi et je fais de petits croquis pour matérialiser l'idée et puis je vais peindre. Pour la poésie, c'est pareil. Ça part d'une impulsion, d'une intuition, d'un ressenti, puis je commence à écrire. 

Et parfois, il y a la situation qui se présente à moi et j'ai envie de créer quelque chose à partir d'une situation. Et là, je fais de la recherche. Je réunis mes envies. Je définis le médium avec lequel je vais exprimer ce que je veux exprimer à partir de la situation que j'ai vu ou entendu. Et là, je fais de la recherche. Je prends mon petit carnet et j'essaie d'imaginer comment est-ce que je voudrais exprimer cette chose dont j'ai été témoin. Là, je prends le temps. Ce n'est plus comme une urgence alors que mon premier processus, c'est vraiment dans l'urgence, c'est-à-dire je dois extériorise ça sur le moment, c'est comme un besoin pressant. Je dois extérioriser ça pour ne pas le perdre et tout. Si à ce moment-là, c'est la poésie et que je suis au milieu d'une conversation par exemple, j'arrête la conversation et je demande à la personne de m'excuser. Je prends mon téléphone ou mon carnet, j'écris ou je fais mon petit dessin et tout ça. 

Utilises-tu intentionnellement des moyens pour susciter ton processus créatif ?

Oui, il y a des activités ou des situations que je crée intentionnellement en vue de déclencher un processus créatif. Par exemple, si j'ai envie de faire une œuvre purement féministe, je vais me mettre dans mon atelier et commencer à écouter un podcast féministe. Et souvent, ça m'inspire. Je peux écouter le podcast, la présentatrice du podcast ou l'invitée va dire un mot, une phrase qui va me donner en fait l'idée qu'il me faut pour travailler.

Quelles sont les matières avec lesquelles tu travailles, les matières avec lesquelles tu crées ?

Je crée avec de la peinture acrylique, du sable, des coquillages, des cauris, des fleurs, avec aussi des objets, des perles, voilà, des perles et du papier mâché que je fabrique moi-même. J'utilise assez de perles dans mon travail.

Est-ce que ces outils ont des significations spécifiques dans ton travail en général ?

Oui, oui. Quand je prends le cauri, par exemple, à chaque fois que moi j'utilise le cauri, c'est pour symboliser le sexe féminin. Le cauri, déjà de par sa forme, ressemble à une vulve. Du coup, à chaque fois que j'exprime, j'utilise le cauri dans mes œuvres, c'est pour exprimer le sexe féminin. C'est vrai que ça m'est déjà arrivé de le dessiner, mais souvent je l'exprime de façon abstraite comme ça, en essayant des cauris dans des œuvres données. 

Et les fleurs, en fonction de la fleur, j'utilise beaucoup dernièrement de l'isaora. L'isaora, c'est une fleur qui symbolise la force et le courage. Et quand j'utilise l'isaora dans mes œuvres, c'est beaucoup pour symboliser la force et le courage des femmes dans l'adversité. Parce que vivre en tant que femme, c'est vivre dans l'adversité tout le temps. Les perles, si tu remarques bien, j'utilise quand même des outils qui sont assez socialement associés à la féminité. Les femmes africaines, on porte les perles aux hanches, on porte les perles à la chevillère, on s'habille avec des perles. J'aime beaucoup faire ces rappels du féminin quand on travaille avec l'usage des perles. Le sable et les coquillages, c'est simplement pour rappeler la terre et la nature dont je suis assez proche dans mon travail.

J'ai vu que tu as beaucoup de créations avec des cheveux afro. Est-ce que cela a une signification spécifique dans ce que tu crées, un peu comme les éléments que tu viens d'évoquer ?

Oui, totalement. Il faut dire que quand j'ai découvert le cheveu naturel, c'est trop drôle même pour moi de dire ça parce que c'est quelque chose avec lequel on naît. C'était fin 2015, quand j'ai été prise par la vague du retour au naturel. J'ai été passionnée par ça. J'ai eu une certaine fascination pour le cheveu afro parce que, c'est totalement ancré dans notre histoire. Aujourd'hui, je dirais que porter son cheveu naturel, c'est un acte totalement politique. Et le fait d'intégrer cela à mes toiles, c'est une façon de rappeler le naturel de la femme africaine, qui est ses cheveux afro. La façon de vivre dans une société où les critères de beauté ne sont pas forcément fixés par nous-mêmes, mais on souscrit. Il y a cet héritage colonial du lisse pour les cheveux que j'ai envie de combattre, j'ai envie de montrer dans mon art que les femmes noires sont belles avec leurs cheveux naturels et même au-delà de la beauté que c'est acceptable de porter ses cheveux afro.

Comment est-ce que tu vis tout cela personnellement, le fait de parler de toi et des femmes via ton art ?

C'est une bonne question parce que je ne me la suis pas vraiment posée. Pour moi, c'est beaucoup plus facile de m'exprimer à travers l'art que de m'asseoir et de discuter avec une personne. Je suis quelqu'un de très renfermé sur moi-même. Avec l'art, je ne pose pas de questions, je ne réfléchis pas, je m'exprime juste. C'est mon état d'expression propre à moi, en fait. C'est l'état d'expression qui m'est propre. Quand je me suis remise à peindre, c’était souvent à partir d'impulsions, et c'était comme mon jardin secret, mais pas si secret. Étant donné que je ne fais pas du figuratif et qu'il faut un peu d'interprétations pour comprendre, surtout les toiles qui ont rapport avec mes sentiments, avec mes propres sentiments. Comment je le vis ? Je le vis comme une libération.

Quelles sont les femmes artistes qui t'inspirent ?

Il y a Frida Kahlo. Franchement, ça, comment dit-on ? C'est un peu cliché d'aimer Frida Kahlo quand tu es une artiste, mais son travail, la façon dont elle est, la façon dont elle s'exprime dans son art, la façon dont elle se rend vulnérable dans son art, c'est quelque chose qui m'a toujours attirée. Même à l'époque où je ne la connaissais pas, il y avait certaines de ses œuvres que j'avais vues sur internet comme ça, qui me fascinaient. Parce que quand on parle d'artistes qui se dévoilent totalement dans leur art, c'est Frida Kahlo. Elle a parlé de sujets assez sensibles comme la perte d'enfants, enfin des sujets que beaucoup de femmes peuvent vivre, mais dont on voit rarement les femmes parler à cause du tabou qu'il y a autour. 

Comme femme africaine, il y a une peintresse sénégalaise que j'aime beaucoup, Younousse Sèye, à cause de son travail précurseur. Elle est l'une des précurseures de l'art contemporain africain et j'adore la façon dont elle dispose les cauris sur cette toile. Donc, je pense que ce sont les deux que je peux te citer pour le moment.

Quels sont les défis que tu rencontres dans le fait de vivre, le fait de créer et de vivre en tant qu'artiste féministe ?

Pour le moment, le défi, c'est surtout d'arriver à se faire connaître. C'est assez compliqué pour moi qui ne suis pas naturellement une personne extravertie. Mais bon, j'essaie de sortir tant bien que mal, de montrer mon travail et aussi, il y a ce côté intime qu'il y a avec mon travail. Étant donné que beaucoup de ce que je fais vient du plus profond de mon être et que je suis une personne introvertie, j'ai tendance à ne pas vouloir forcément... J'ai du mal à montrer ce que je fais parce que j'ai l'impression d'être mise à nu. Mais je sais que c'est important que je montre parce que je n'ai pas tant de choses à partager. Je n'ai pas tant de choses à partager pour le garder pour moi. Il faut que je le fasse sortir. Donc, je dirais que pour le moment, ce sont les défis que j'ai.

Quels sont tes projets, non seulement dans le domaine de l'art, mais aussi alliant l'art et le féminisme ?

Déjà, j'ai envie de faire des expositions, montrer mon travail. J'ai envie d'évoluer plus dans le milieu de l'art et de me faire plus connaître. Ensuite, j'ai envie d'user mon influence artistique que j'aurais gagnée pour influencer le combat féministe, pour le nourrir encore plus, pour donner plus de voix à mes consœurs qui travaillent sur le terrain. J'ai envie de travailler aussi avec des communautés qui auraient besoin de l'art, m'inspirer de l'histoire de femmes pour créer de l'art et montrer leur expérience à travers mon art. 

Tu vas y arriver. Vis-tu une certaine sororité avec d'autres femmes dans la pratique de ton art ?

Je dirais que j'ai rencontré beaucoup de femmes artistes et c'est toujours un plaisir de discuter avec elles, de se rendre compte qu'on a tellement de choses qui nous lient. J'ai un petit projet et j'en ai déjà parlé avec quelques femmes artistes béninoises et j'espère qu'on arrivera à le faire. C'est de créer une association de femmes artistes béninoises et africaines, parce que je ne pense pas qu'on va se fermer en étant totalement engagé. Et ce sera une façon intéressante de vivre notre sororité. Je discute toujours avec d'autres femmes artistes, ça a été vraiment révélateur pour moi. Parce qu'entre nous, on se donne des conseils, on discute de parcours, on se donne des petites astuces. Je dirais que les femmes sont quand même assez solidaires dans ce milieu, de ce que j'ai vu, de ma petite expérience. Et au-delà du milieu artistique, j'essaie de cultiver de plus en plus mes relations avec d'autres femmes. Étant donné qu'on a grandi dans une société qui ne nous a pas encouragées, aller les unes vers les autres. 

Je prends un malin plaisir aujourd'hui à créer des liens avec d'autres femmes, discuter avec d'autres femmes, même si je suis une personne introvertie qui a du mal à aller vers les autres. Quand je rencontre d'autres femmes, surtout dans le milieu militant, j'essaie vraiment de discuter avec elles. J'ai fait de très belles rencontres dans le milieu militant, j'ai eu plein d'opportunités grâce à des femmes que j'ai rencontrées et je suis quand même heureuse de dire qu'on est en train de construire cette sororité-là. C'est quelque chose qui me tient à cœur parce que moi je suis une fervente croyante dans le fait que c'est la sororité qui va réellement nous permettre d'aller au bout, d'aller au bout des contraintes du patriarcat et même de vaincre le patriarcat.

J’y crois aussi fermement. Pour toi, c'est quoi être féministe ?

Pour moi, le féminisme, c'est se lever contre les choses qui nous oppriment en tant que femme et qui nous empêchent de nous réaliser et d'être nous-mêmes. C’est d'œuvrer à ce que les femmes, les autres femmes autour de nous, puissent également le faire. C'est comme ça que je vois mon féminisme. Parce que je sais qu'on n'a pas toutes la possibilité de faire des choix qui vont nous permettre de nous libérer. Alors, pour nous qui avons la possibilité de faire ce choix-là, nous avons l'obligation de le faire pour les autres et d'œuvrer de la façon dont on peut pour permettre à d'autres femmes d'avoir la possibilité de faire ces choix aussi.

Quelle est ta devise féministe ?

Waouh ! C'est quelque chose que je n'ai pas vraiment pensé. Est-ce que j'ai une devise féministe ? Je ne sais pas si on va dire qu'elle est féministe. Je ne sais pas. Je dis souvent que je veux être une femme qui va laisser ses éclats de rire en héritage. Parce que souvent, en tant que femme africaine, ce qu'on laisse en héritage, c'est notre souffrance. Quand on parle de nos mères, ou des femmes qui ont vécu avant nous, on se penche beaucoup plus sur ce qu'elles ont fait, comment elles ont souffert, comment elles se sont éteintes, comment elles se sont sacrifiées pour la société. Et on parle rarement de femmes qui ont été heureuses, qui ont été épanouies. Et c'est un peu ce que j'ai envie de laisser en héritage. C’est ma devise personnelle. Je l'ai écrite dans mes notes, je l'ai écrite dans mes journaux. Je veux être une femme qui laissera ses éclats de rire en héritage.

Merci à toi.

Faites partie de la conversation.

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« Je ne voulais pas être une bonne femme aux yeux de la société » - Mafoya Glélé Kakaï (Bénin) 2/3

Notre conversation avec Mafoya Glélé Kakaï  juriste, peintresse et poétesse féministe béninoise se poursuit. Dans la première partie, nous avons parlé des moments qui ont marqué son enfance, notamment son lien fort avec ses grands-parents, son amour pour la lecture et l'écriture, ainsi que ces questionnements liés aux inégalités de genre qu'elle a observées.

Dans cette deuxième partie, elle partage ses réflexions concernant son rapport avec sa mère et les stéréotypes de genre, en particulier les attentes sociales liées au rôle des femmes et le début de son parcours d’artiviste.

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Comment réagissaient-ils tes parents face à tes questionnements ?

J’ai eu la chance d’avoir des parents assez ouverts d’esprit, qui n’éteignaient pas mes élans. Mon père surtout puisque c’est de sa famille qu’il s’agit concernant mes questionnements quand on allait à Abomey. Il répondait à mes questions comme il pouvait y répondre. Et quand je lui disais que moi, je n’étais pas d’accord avec la façon dont ça se passait et qu’il y avait des choses qui m’écœuraient, il me laissait m’exprimer sans pour autant me restreindre. Mais parfois, mes réactions choquaient un peu mon père. Quand j’ai découvert le mot féministe et que j’ai commencé à m’exprimer sur le féminisme et tout, j’ai acheté un tee-shirt un jour qui avait écrit féministe dessus. La première fois que je l’ai porté, que mon père l’a vu, il a souri, il m’a dit, tu n’as pas besoin de l’écrire, on le sait déjà. 

Dans tes questionnements et prises de conscience, est-ce que ta relation avec ta mère a joué un rôle ? On en a parlé très peu jusque-là. 

Oui, la relation avec ma mère a joué un rôle, mais pas dans le sens de l’encouragement. Ma mère, c’est une femme exceptionnelle. Dans son travail, elle excelle. Elle est un vrai modèle professionnel pour moi. Elle est très organisée. Elle est professeure de français de formation. Ensuite, elle s’est formée, elle est devenue inspectrice. Et pour ça, elle a dû reprendre les études alors qu’elle travaillait déjà. Mais il y a des choses sur lesquelles ça a été un peu difficile. Quand j’observais ma mère, la façon dont elle se gênait, surtout quand il y avait des fêtes, c’était de la douleur que je ressentais. Ce qui faisait que je voulais m’éloigner du modèle qu’elle était. Je trouvais qu’elle se démenait trop, qu’elle en faisait trop, qu’elle allait au-delà de sa santé pour la cuisine.

Ma mère pouvait passer toute une journée ou deux jours à préparer la fête et au moment où tout est prêt, où la fête doit avoir lieu, je la regarde et elle est toute fatiguée, toute épuisée. Elle n’arrive pas à profiter du travail qu’elle a effectué, elle n’arrive pas à manger. Elle est encore aux aguets à surveiller que tout le monde soit en train de profiter, que tout le monde soit bien au lieu de se détendre et de profiter de la fête elle aussi. Et à la fin de la fête sur le moment, il y a le rangement qui suit en même temps. C’est du travail sur du travail. Ça, c’était, je pense, la première chose que j’ai remarquée et qui m’a fait me dire que je n’avais pas envie d’être une femme de cette façon. Parce que si être une femme signifie travailler avec tant de labeur, sans gratification, à part les « Waouh, c’est délicieux ! Vraiment, Madame GLELE, je ne sais pas comment tu arrives à faire tout ça. Tu es une femme exceptionnelle », je n’ai pas envie de l’être. Il y a un truc que la famille de mon père avait l’habitude de lui dire : « A non sin asou ». Et ça, c’est quelque chose que je n’aimais pas parce que, si on traduit en français, ça donne un peu « tu célèbres ton mari, tu es vraiment bien soumise à ton mari ». Je n’aimais pas. C’est très paradoxal quand même.


Pourquoi dis-tu cela ?

Parce que dans son travail, ma mère ne s’est jamais laissée marcher sur les pieds. Elle a toujours été brillante. Et elle m’a donné l’amour de la littérature et nous avons souvent eu des discussions par rapport à des personnages de livres. Elle me donnait des livres à lire, et ensuite, puisque j’ai fait une série littéraire et qu’elle était prof de français, nous discutions, nous travaillions sur ce que j’avais lu. Quand je lisais des livres comme “Une si longue lettre”de Mariama Bâ, ou “Sous l’orage” de Seydou Badian, nous discutions des personnages féminins. Je lui disais ce que je pensais de la façon dont tel personnage féminin avait été conçu. Je lui disais que je n’étais pas toujours d’accord avec telle issue qu’on avait donnée à tel personnage ou telle chose. Et elle me disait ce qu’elle en pensait. Nos discussions étaient vraiment très intellectuelles.

J'ai souvent remarqué ce paradoxe aussi. Entre ce que certaines femmes sont en tant qu'elles-mêmes et ce qu'elles sont lorsqu'elles essaient de se conformer aux attentes de la société patriarcale, ce n’est pas la même chose.

Quand je voyais ma mère se démener, malgré sa santé fragile et tout faire pour plaire, enfin, pour remplir le rôle social qu’on lui avait dit qu’elle devait remplir, je me disais, ah non, moi, je ne veux pas avoir cette vie-là. Et ça a été un gros, comment dit-on, un sujet de dispute entre elle et moi parce que moi je lui disais que je ne voulais pas. Dans la peur de la façon dont j’allais être perçue dans la société, elle me disait qu’il fallait que je le fasse, pour être une bonne femme aux yeux de la société. Moi, je lui faisais comprendre que je ne voulais pas être une bonne femme aux yeux de la société, que je voulais être une personne entière. Une personne humaine entière et pas juste une femme de la façon dont la société voit les femmes. Et j’ai un peu lutté avec elle contre ces choses-là.

Comment as-tu lutté contre cela ?

J’ai pris un malin plaisir à apprendre à cuisiner les choses que j’aimais manger. Malheureusement, ça lui a causé beaucoup de soucis et de douleurs. Justement pour ça, parce que je lui disais que ça ne servait à rien que j’apprenne à cuisiner telle chose si je n’aime pas manger ça. Et elle me disait, « mais si ton mari aime ». Et je lui répondais qu’il le cuisine lui-même. J’ai vu mon père cuisiner plusieurs fois et ma mère, comme je l’ai dit, elle a des soucis de santé. Quand j’étais enfant et qu’à cause de ses soucis de santé, elle devait être à l’hôpital, mon père cuisinait pour nous. Du coup, pour moi, c’est normal que si tu aimes manger quelque chose, tu saches le cuisiner. Quand on cuisinait quelque chose, quand ma mère faisait une cuisine qui ne lui plaisait pas, il ne disait pas à ma mère, « va me faire telle chose, ça j’ai envie de manger.» Il allait à la cuisine et il se faisait ce qu’il avait envie de manger. Et ce sont ces petits exemples-là qui m’ont montré qu’il y avait d’autres modèles de couple qui pouvaient être possibles.

Autre chose, quand mon frère s’amusait et qu’elle me disait de venir forcément à la cuisine pour apprendre et que ça m’énervait, je lui disais, on est deux, pourquoi il n’y a que moi qui dois venir ? Et elle me répondait, « ben lui, il aura une femme et toi, tu auras un mari ». Ça m’énervait parce que je comprenais d’où elle venait. Elle ne voulait pas que je sois mal vue dans la société. Elle me parlait souvent de ce fameux test de la belle-mère, le test sur la cuisine, et elle me racontait avec fierté comment elle a passé son test à elle, qui lui a été fait par l’une des tantes de mon père. Et elle me racontait comment elle a passé son test avec brio et elle espérait que je passe le mien avec autant de succès. Et moi, je ne voulais pas apprendre à cuisiner juste pour passer un test de cuisine.

J’en entends parler, mais vraiment très vaguement. C’est quoi le test de cuisine ?

En fait, le test de cuisine, c’est souvent chez la belle-mère ou chez l’une des tantes du futur époux lors d’une visite, demande à la future belle-fille de cuisiner certaines choses. Et c’est un test dans le sens où ce n’est pas automatiquement au moment où tu vas rencontrer ta belle-famille qu’on va te demander de cuisiner. Ça vient à l’improviste. Tu vas arriver un jour, on va te dire, ah tiens, il y a telle chose dans la cuisine. Est-ce que tu peux faire la cuisine pour qu’on mange  ? Est-ce que tu peux me dépanner aujourd'hui  ? Mais c’est simplement un test et à la fin, quand tu finis de cuisiner, on va dire, ah tiens, tu as bien cuisiné, tu as bien tout rangé, tu es prête pour être l’épouse de notre fils. C’est quelque chose comme ça. Pourtant, il n’y a pas de test. Dans le sens inverse, tu vas entendre rarement que la famille de la fille a testé le futur beau-fils d’une façon ou d’une autre. C’est toujours un test pour la belle-fille.

C’est l’une des pratiques qui réduisent les femmes à la cuisine, aux tâches ménagères et perpétuent des stéréotypes sexistes. 

C’est incroyable et c’est aberrant pour moi. Cela dit, je suis heureuse de dire qu’aujourd’hui, ma mère est plus libre de ce regard-là. Et je suis heureuse d’avoir contribué à cela. On s’influence toutes les deux. Et avec le temps, mes prises de positions, mon féminisme, lui ont ouvert les yeux sur certaines choses. Quand, par exemple, au 8 mars dernier, elle m’a demandé de l’aider à écrire un texte qui parle de l’essence même du 8 mars, qu’elle a refusé d’acheter le pagne, qu’elle a fait de la vulgarisation féministe. J’étais fière d’elle. Je me suis dit, wow, ça, c'est ma mère. Quand elle va dans les assemblées pour discuter avec les élèves de sexualité et qu’elle parle de consentement, qu’elle parle de droit sexuel et reproductif, je suis contente parce que je me dis, en vrai, on discute beaucoup, mais elle écoute quand je lui parle aussi. Maintenant, quand elle voit la société, elle se rend compte que la société est en train d’évoluer et que, effectivement, je n’ai pas forcément besoin d’apprendre à cuisiner tel ou tel plat puisqu’il y a plein de services de traiteurs. Et je lui dis, au-delà des services traiteurs, si tu aimes manger quelque chose en tant qu’être humain, il faut que tu saches cuisiner ce que tu aimes manger.

Avec le temps, mes prises de positions, mon féminisme, lui ont ouvert les yeux sur certaines choses.

Bravo à toi ! Au début, tu t’es présentée comme peintresse, historienne, poétesse. Peux-tu m'en parler ?

Après mon bac, j’ai étudié d’abord la diplomatie et les relations internationales à l’université. Ce n’était pas un choix personnel. Je ne savais pas trop quoi faire quand j’ai eu le bac parce que ce qui me passionnait, moi, c’était l’art et la poésie, l’écriture, mais il n’y avait pas vraiment de formation artistique. Aujourd’hui, je sais qu’il y a une école sur le campus, mais avant, il n’y en avait pas. Il y avait aussi les préjugés sur le travail artistique chez nous parce qu’il y a tellement peu de sécurité dans ce métier que les parents n’encouragent pas forcément les enfants à poursuivre cette carrière-là.

On m’a parlé de la diplomatie, du fait que tu peux voyager quand tu es diplomate et tout ça. J’ai aussi vu cette formation comme une opportunité parce qu’avec les voyages, je peux parler d’art. Je me suis dit pourquoi pas. Et comme j’étais aussi passionnée par l’histoire, c’est quand même une filière où on parle beaucoup d’histoire, de géopolitique. Je ne vais pas dire que j’ai détesté ma formation. J’ai pris beaucoup de plaisir à étudier la diplomatie et les relations internationales. J’ai appris beaucoup de choses. 

Donc, tu t'es d’abord orientée vers la diplomatie et les relations internationales, mais tu avais toujours une passion pour l'art, la poésie et l'écriture. Comment as-tu vécu la transition entre tes études académiques et ta décision de revenir à tes passions artistiques ?

Deux ans après les études en diplomatie, je me suis inscrite à la fac de droit pour avoir la licence en droit. Je n’ai pas fini cela quand j’ai entendu parler de la chaire UNESCO et du master en droit de la personne humaine et de la démocratie. Et comme j’avais déjà commencé un peu à me documenter sur le féminisme, je me suis dit, tiens, en faisant un master sur la défense des droits de la personne humaine, je peux aussi déboucher sur quelque chose qui va me permettre de contribuer à la défense des droits des femmes. J’ai fait mon master.

Entre-temps, j’ai discuté avec mon père et il m’avait dit, t’as une licence maintenant. Je pense que c’est le moment que tu reviennes à tes passions, le dessin, l’art. C’est le moment que tu t’y consacres, parce que t’as déjà un diplôme, si tu dois trouver un travail avec un diplôme, c’est déjà fait. Il faut dire que j’avais commencé un peu à douter de ma capacité à être une artiste, même si je pense que, qu’on en vive ou pas, quand on est un artiste, on l’est. C’est après mon master que je me suis dit, bon, je ne peux pas continuer comme ça. C’est quelque chose que j’aime. C’est quelque chose qui est... Je ne peux pas expliquer mon lien avec l’art. Il faut que j’essaie. J’ai acheté du matériel et j’ai recommencé à dessiner.

Comment est née ta passion pour l’art ?

C’est quelque chose qui m’est venu naturellement parce qu’autour de moi, je ne connais personne qui dessine ou qui peint. Ça m’est venu naturellement. Je sais que le dessin faisait partie des cours que je préférais aux cours primaires. J’ai toujours été attirée par le fait de créer quelque chose qui n’est pas, quelque chose qui vient de moi. Quand j’étais enfant, j’avais l’habitude d’écraser de la craie. Comme ma mère était professeure de français et mon père aussi était professeur de français. Je prenais les bâtons de craie de couleur qu’ils amenaient à la maison et puis je les écrasais, je mélangeais avec de l’eau. Et sur des papiers A4, je faisais des petits dessins et tout ça. Pour la fête des Mères, par exemple, j’offrais des dessins à ma mère ou des petites peintures qui étaient toujours abstraites à l’époque. Ou soit je m’intéressais déjà au collage à l’époque. Le collage, c'est une technique que j’utilise beaucoup dans ma pratique artistique aujourd’hui. Je prenais des coquillages, je faisais des fleurs à base de coquillages que je collais sur du papier ou des vieux calendriers pour que ça tienne plus et je lui offrais ça pour la fête des Mères. Ça m’est venu, je vais dire naturellement.                 

Dans la troisième et dernière partie de la conversation avec Mafoya, nous parlons de l'artivisme, de son parcours personnel et artistique qui combine son art et ses convictions féministes. Cliquez ici pour lire la partie 3.

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« Ce qui semblait aussi légitime à mes yeux, l’égalité entre les genres, ne l’était pas aux yeux des autres. » - Mafoya Glélé Kakaï (Bénin) 1/3

Mafoya Glélé Kakaï est une jeune artiste féministe béninoise. Elle est poétesse, peintresse et sculpteuse introspective, engagée dans une exploration personnelle à travers sa pratique artistique. Elle utilise son art comme un moyen d'expression authentique, pour raconter son histoire, ses émotions et ses expériences vécues en tant que femme et celles des autres femmes depuis ses propres lentilles. Elle se revendique artiviste, car son art est militant et se met au service des luttes féministes de diverses manières. Mafoya est également une blogueuse, juriste spécialisée en droits de la personne humaine. Elle se focalise sur la défense des droits des femmes béninoises et africaines.

Dans cette conversation, Chanceline Mevowanou discute avec elle sur son parcours féministe et son engagement en tant qu'artiviste. Dans la première partie de la conversation, elle partage des moments significatifs de son enfance, notamment son lien fort avec ses grands-parents, son amour pour la lecture et l'écriture, ainsi que ces questionnements liés au traitement des femmes qu'elle a observé, notamment dans les traditions et les attitudes sociales. Dans la deuxième partie, elle parle de ses réflexions concernant son rapport avec sa mère et les stéréotypes de genre, en particulier les attentes sociales liées au rôle des femmes et le début de son parcours artistique. Enfin, dans la troisième partie, la discussion porte sur le parcours personnel et artistique de Mafoya lié à l’art et à ses convictions féministes. 

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Bonjour Mafoya. Merci d’avoir accepté de discuter avec moi. Peux-tu te présenter, s’il te plaît ?

Je m’appelle Mafoya Glélé Kakaï. Je suis juriste, peintressse, et poétesse féministe. Je suis la coordonnatrice du programme Girl Talk au Bénin avec l'organisation Choose Yourself. Je suis aussi blogueuse. Mon blog, c’est Agoodojie. C’est un blog féministe qui veut briser les tabous sociaux en abordant des sujets comme les règles, la sexualité féminine, la santé physique et mentale des femmes et aussi des faits de société qui touchent les femmes. Je suis originaire d’Abomey, plus précisément de Sinwé-Lègo. J’ai grandi et je vis à Cotonou. Je ne sais pas si mon nom de famille te le donne. Je suis descendante d’une famille royale du Bénin.

Oui, lorsque j’ai entendu le nom, j’ai fait un peu le lien. Alors, comment grandit-on en tant que descendante d’une famille royale ?

J’ai grandi à Cotonou, comme je le disais. J’ai passé le début de mon enfance à Akpakpa avec mes parents. On ne vivait pas très loin de mes grands-parents maternels. J’ai passé beaucoup de temps de mon enfance avec mes grands-parents du côté de ma mère. On passait énormément de temps avec eux. Nos parents étaient à cette étape de la vie où tu te construis, où tu travailles beaucoup. Les grands-parents étaient là. Ça faisait qu’on avait des adultes de confiance qui pouvaient prendre soin de nous en journée quand les parents allaient travailler. Quand je dis nos parents, je parle de moi et mes cousins/cousines. J’ai eu une enfance plutôt calme, plutôt bien, si on peut dire. J’étais une enfant assez sensible et curieuse. Je posais beaucoup de questions.

Tes grands-parents ont marqué ton enfance on dirait. C’était comment avec eux ?

Je me sens très proche de mes grands-parents. Il y avait ce respect qu’on devait avoir envers les grands-parents, mais ils étaient quand même assez ouverts à nous, leurs petits-enfants. Ils s’impliquaient beaucoup dans notre vie, au-delà du respect qu’on doit aux aînés, ce qui fait qu’ils ont beaucoup marqué notre enfance. 

Des deux, j’étais plus proche de ma grand-mère. À cet âge-là, on va dire que c’était ma meilleure amie. J’avais beaucoup d’humeurs et une façon de penser bien tranchée, ce qui faisait que je n’étais pas forcément acceptée dans mon environnement immédiat. J’avais souvent des disputes avec mes cousins/cousines, des choses comme ça. Et ma grand-mère, elle était cette personne-là qui me comprenait. Aujourd’hui, je ne peux pas dire qu’elle me comprenait, mais elle m’acceptait pleinement et entièrement. Et à chaque fois qu’il y avait des petites difficultés, j’allais me réfugier auprès d’elle. Elle me mettait souvent sur ses cuisses pendant qu’elle cuisinait. Je ne me souviens pas vraiment qu’on discutait, mais il y avait ces petits instants-là où je pouvais avoir un refuge en elle et tout.

Quant à mon grand-père, il était vétérinaire. Je pense que c’est lui qui m’a donné mon amour des animaux. Avec ma cousine, qui a quelques mois de plus que moi, il la tenait par la main et on allait nourrir les animaux dans le poulailler.

Tu situes ces moments à quel âge ?

De ma naissance à mes 6 -7 ans.

En dehors de la relation avec tes grands-parents, il y a d’autres choses qui ont marqué ton enfance ?

Oui. Les livres. Il y a la première fois que j’ai été inscrite à l’Institut Français qui s’appelait le Centre Culturel Français (CCF)  à l’époque. Je crois que j’avais entre 7 et 8 ans. Ça m’a beaucoup marquée parce que j’ai toujours aimé les livres. Je dévore les livres depuis ma tendre enfance et je me souviens que la première fois qu'on m’a emmenée au CCF et que je suis entrée dans la bibliothèque, j’ai eu l’impression de me trouver au paradis. C’était ma mère qui m’avait emmenée là-bas. C’est quelque chose qu’on partage, cette passion pour les livres. Et ça a été une expérience positive pour moi.

Et quels sont les livres que tu aimais lire à l’époque ?

C'étaient surtout les livres de contes que je lisais. Dans mon enfance, j’ai été marquée par les contes d’Ahmadou Kourouma. J’ai aussi lu Pourquoi le bouc sent mauvais et autres contes du Bénin. C'étaient beaucoup les livres de contes qui me fascinaient quand j’étais enfant. Il y a la poésie que j’écrivais aussi. Mon père est un poète publié. Et j’ai grandi avec cet homme qui, quand il avait une inspiration, tout devait s’arrêter autour de lui pour qu’il écrive. Il nous réunissait les soirs dans le salon, mon frère, ma mère et moi, et il nous lisait ses poèmes.

Tu te rappelles la première fois que tu as écrit un poème ?

Oui. Il y avait un concours qui avait été organisé dans mon école quand j’étais au cours primaire, où on devait créer des objets qui seraient mis dans un coffre à trésor qui devait être ouvert en 2050 pour montrer aux enfants de 2050 comment nous, on vivait à l’époque. J’ai eu envie de participer, mais je ne savais pas quoi faire. Je dessinais déjà depuis ce moment-là, mais je n’ai pas eu envie d’utiliser le dessin comme médium. Le jour où on devait rendre nos idées, parce que d’abord, on devait rendre les idées, les meilleures idées seraient sélectionnées. Et quand ton idée est sélectionnée, tu vas au bout de l’idée. Je me souviens du jour où on devait rendre les idées, c’était à la rentrée après les congés de Noël. J’étais dans la salle de bain en train de me laver et je me suis souvenue de mon père qui écrivait. Je me suis dit, tiens, je vais m’essayer à la poésie. 

Mon idée a été sélectionnée, puis j’ai écrit le poème. Mes parents ont lu, ils ont corrigé les petites fautes qu’il y avait. Mon poème a été retenu et j’ai dû le clamer, le déclamer, lors de la cérémonie où on enfermait les œuvres dans le coffre. Pour une enfant hyper timide comme moi, c’est un événement qui m’a marqué, qui m’a donné envie d’écrire encore plus.

C’est super. Il y a des choses négatives qui ont marqué ton enfance ?

Oui. La mort de mes grands-parents pour commencer. Ils sont décédés l’un après l’autre en deux mois d’intervalle et puis on a déménagé. C’est là qu’on est venu vivre dans le quartier où je vis actuellement qui est Fifadji. Le décès de mes grands-parents m’a énormément affectée.

Oh, je suis désolée.

Ensuite, ce sont les moments d’inégalité que j’ai pu remarquer. Au cours primaire, souvent quand on voulait élire les responsables de classe, on faisait en sorte que ce soit toujours un garçon qui soit le premier responsable et que le second responsable soit une fille, comme si les filles ne pouvaient pas occuper le poste de responsabilité aussi bien que les garçons. Je n’avais pas, à ce moment-là, assez de force de caractère pour me proposer moi-même aux élections, mais à chaque fois qu’il y avait une fille qui se présentait, même quand le garçon qui se présentait, c’était un ami très proche de moi, je votais toujours pour la fille. J’ai l’impression d’être née un peu comme ça, avec cette préférence, cette envie de faire en sorte que les femmes soient rayonnantes. Ce qui faisait que j’étais toujours dans le camp des femmes, quoi qu’il arrive.

J’ai l’impression d’être née un peu comme ça, avec cette préférence, cette envie de faire en sorte que les femmes soient rayonnantes.

Quand en 2006, Marie-Élise GBEDO (première femme béninoise à se présenter aux élections présidentielles) s’est présentée aux élections et qu’à l’école, on me demandait, si toi tu pouvais voter, tu allais voter pour qui  ? Je disais toujours que je voterais pour la seule personne qui me ressemble parmi les candidat.e.s : Marie-Élise GBEDO. C’est la seule femme que je vois, donc c’est pour elle que j’allais voter. La première pièce de théâtre que j’ai écrite, et d’ailleurs la seule que j’ai écrite, c’était au CM2. On devait faire un spectacle de fin d’année, et j’ai écrit une pièce de théâtre qui montrait une femme qui allait essayer de convaincre les gens de son village de voter pour elle à une élection et qui finissait par réussir par gagner les voix des gens de son village. Cette pièce, elle m’a été clairement inspirée par Marie-Élise GBEDO parce qu’à l’époque de mon CM2, elle allait aux élections et les gens étaient généralement contre elle. Et je pense que ça aussi, c’est une prise de conscience féministe, même si à ce moment-là, je ne savais pas. J’ai longtemps cru que j’étais peut-être bizarre, que j’étais une alienne, parce que ce qui semblait aussi légitime à mes yeux, l’égalité, entre les genres, égalité de sexe, ne l’était pas aux yeux des autres et je ne comprenais pas.

Parlant de prise de conscience féministe, ou de tout ce qui s'en approche, y a-t-il d'autres moments qui te viennent à l'esprit ?

Il y a mes constats liés aux impositions de couleurs. Je n’étais pas contente qu’on essaie de m’imposer l’amour du rose, soi-disant parce que c’était une couleur féminine. Je n’aimais pas le fait qu’on genrait les couleurs. Pour moi, c'étaient juste des couleurs. Et pour quelqu’une qui a la fibre artistique depuis l’enfance, je n’ai jamais vraiment eu de couleur préférée. Je les aime toutes parce que pour moi, elles expriment des choses différentes à différents moments. Et le fait qu’on voulait m’imposer le rose, ça m’énervait. Quand il y avait tout plein d’objets qu’on doit distribuer, qu’on me disait « ah tiens, toi t’es une fille, il faut prendre le rose », ça me mettait hors de moi. C’est un moment de prise de conscience féministe, même si à l’époque j’ignorais pourquoi, je me suis juste mise à haïr le rose avec une profondeur que je ne comprenais pas. Même si maintenant je me suis réconciliée avec la couleur parce que le fait de ne pas genrer les couleurs, c’est accepter toutes les couleurs comme elles sont et ne pas rejeter les couleurs dites féminines.

Tu évoquais le fait que tu sois descendante d’une famille royale. Y a-t-il des choses que tu observais au sein de ta famille et qui ont également suscité des prises de conscience ?

Oui. Quand on allait par exemple à Abomey avec les parents, je voyais la façon dont on traitait mon frère, comparativement à moi. Quand les adultes s’adressaient à moi pour me demander d’après mon frère, ils avaient tendance à me demander « et ton grand frère ? » et je répondais « je n’ai pas de grand frère. C’est mon petit frère et il va bien ». Et on me répondait « ah, même s’il a un an et que tu en as sept ou six, c’est ton grand frère ici ». Et je disais « non, c’est moi l’aînée, c’est moi la grande sœur. »

Quand on doit saluer le roi ou les chefs de collectivité, les hommes, eux, ils se frottent, ils apposent juste leur front sur le sol. Je ne comprenais pas pourquoi les femmes devaient s’annihiler à ce point-là. Moi, j'ai rarement embrassé le sol. Je faisais à la manière des hommes. Je n’aimais pas non plus le fait qu’à chaque cérémonie, les hommes soient assis en train de rigoler, que ce soit les femmes qui se gênent à la cuisine. J’ai toujours pensé à ce moment-là que c’était une vie que je ne voulais pas pour moi. Ce sont des choses qui m’ont négativement marquée.

Dans la deuxième partie de la conversation avec Mafoya, nous explorons ses réflexions concernant son rapport avec sa mère et les stéréotypes de genre, en particulier en ce qui concerne les attentes sociales liées au rôle des femmes et le début de son parcours d’artiviste féministe. Cliquez ici pour lire la partie 2.

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Afrifem en Action : Amandine Yao et Meganne Boho partagent l'expérience de la campagne féministe #CANSafe pour la CAN 2024 (Côte d'Ivoire)

Nouvelle interview de notre série Afrifem en Action qui met en lumière les initiatives, les actions et les mouvements créés et dirigés par et pour les féministes africaines.

Nous parlons avec Amandine Yao et Meganne Boho, toutes de la Côte d’Ivoire à propos de la campagne #CANSafe initiée par le collectif Voix Féministes d’Afrique Francophone dont elles font partie, dans le cadre de la Coupe d'Afrique des Nations de football 2023 qui s’est déroulée du 13 janvier au 11 février 2024.

(Avertissement : Cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer les personnes qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.)

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Bonjour à vous deux. Merci de vous présenter.

Amandine : Je m’appelle Amandine Yao, militante féministe ivoirienne. Je suis présidente d’une organisation qui s’appelle Gouttes Rouges qui lutte contre la précarité menstruelle et l’illettrisme autour des menstruations. Nous travaillons avec les jeunes filles dans les lycées notamment grâce à la création de clubs de jeunes filles et de camps de vacances dans les établissements scolaires et les quartiers. Professionnellement, je suis Social Media Manager et j’aime dire que je travaille pour des marques éthiques et très cool.

Meganne : Je suis Meganne Boho, présidente de la Ligue des droits des femmes et aussi promotrice de la marque “Féministes Radicales” ou “Radical Feminists”. Je suis présidente de la Ligue des droits des femmes depuis 2020. Nous travaillons principalement sur le féminisme. Nous faisons la promotion du féminisme. Nous travaillons également sur la question des violences faites aux filles et aux femmes et sur l'empowerment des femmes. Depuis que nous travaillons sur ces questions-là, nous avons pu aider plus de 2000 femmes en Côte d'Ivoire dans les zones rurales et dans les zones urbaines.

La Côte d'Ivoire était l'hôte de la CAN de cette année. Avez-vous assisté à des matchs au stade pendant le tournoi ? Si oui, comment avez-vous trouvé l'ambiance et l'expérience ?

Amandine : C’était ma première expérience au stade. Je n’avais jamais été au stade de ma vie. Je n’ai pas grand intérêt pour le football. Mais la CAN est une fête qui réunit presque toute l’Afrique, donc on profite pour célébrer aussi. L’ambiance à Abidjan pendant la CAN était très bien. On sent la fête, il y a des villages CAN, plusieurs filles se déplacent pour aller voir les matchs aussi. C’est une belle expérience. Maintenant, en tant que femme, comment est-ce que je me suis sentie au stade ? C’est comme dans la vie de tous les jours. On se sent regardé, on a l’impression d’être de la viande, un produit. C’est l’endroit pour eux pour “chasser”, comme ils disent. Ce n’est pas forcément safe pour les femmes. J’étais accompagnée. Je me suis rendue au stade en me disant que je suis accompagnée et que rien ne va se passer. Il s’est passé quelque chose quand même. Les gens se sont permis de venir m’agripper, de me toucher et puis de s'enfuir après. Soi-disant que c’est l’euphorie, les gens infligent des attouchements aux femmes dans les espaces comme ça.

Meganne : Je suis allée au stade pendant la CAN, je crois dans 4 stades. Je suis allée au stade de Bouaké, de Yamoussoukro, au stade Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan et au stade Ebimpé d’Abidjan. C'était vraiment festif. Les forces de l'ordre étaient déployées. Je n’ai vraiment eu aucun problème au niveau de la sécurité extérieure, mais j'ai vécu une situation assez délicate. Au stade de Bouaké, j'ai été agressée par mon voisin d'à côté qui, pendant la célébration d'un but, a effectué des attouchements sur moi. Et on va dire que j'ai été bloquée la première fois. La deuxième fois, lorsqu'il a essayé, j'ai été stricte. Je lui ai dit de ne pas me toucher. Et ça m'a un peu cassé parce qu'après, je n'ai plus envie d'aller dans les stades seule. J'ai toujours été accompagnée lorsque j'allais dans les stades.

On voit à quel point les femmes ne sont pas en sécurité en ces moments. C’est pour prévenir ces agressions que la campagne #CANSafe a été initiée par le collectif Voix féministes d’Afrique francophone dont vous êtes membres. Parlez-moi de cette campagne.

Amandine : On nous a parlé de célébration, de football africain, de fêtes, de la CAN la plus chic et tout, mais on sait que ce n’était pas forcément un espace très sûr pour les femmes. On sait qu’il y aura des regroupements et quand il y a des regroupements, il y a malheureusement des risques d’agressions des femmes. Nous en tant que collectif, on a décidé de faire de la prévention en créant la campagne #CANSafe. Quelques membres du collectif dont moi avec l’approbation des membres ont travaillé sur cette campagne. Nous avons réalisé des affiches avec des messages qui ont été partagés en ligne. Notre message était de dire haut et fort que l’hospitalité, la grande hospitalité de la Côte d’Ivoire dont on parlait pour cette CAN, ce n’est pas les femmes.Venez vivre la plus belle fête du football sans prendre les femmes pour le trophée.

Comment vous vous êtes organisées pour concevoir et travailler ensemble sur la campagne #CANSafe ?

Meganne : Nous avons travaillé d'abord sur le brainstorming par rapport aux messages qu'on voulait vraiment faire passer. On a travaillé sur les questions de consentement, violence sexuelle et de violence physique. Ensemble, on a sorti les messages. Amandine est notre experte en communication digitale. C’est elle qui a fait des visuels qui ont été vulgarisés partout sur les réseaux sociaux. On a diffusé les numéros utiles pour les personnes qui auraient besoin d'aide. Par exemple, le numéro de la police, le numéro vert du ministère de la Femme, le numéro de la Ligue, le numéro de CPDFM… Ce sont des organisations qui interviennent dans la prise en charge des cas de violences faites aux femmes et aux filles.

Au niveau de la Ligue des droits des femmes, on a publié ces messages en ligne sur tous nos canaux. On a imprimé les messages sur les t-shirts qu'on a portés dans les stades. Des personnes de l’organisation ont participé à des marches avec d'autres associations qui travaillent sur la question des VBG. Nous avons aussi participé à une activité de sensibilisation à l'Agora de Port-Bouet ici à Abidjan pour permettre aux jeunes de comprendre la campagne #CANSafe.

Notre message était de dire haut et fort que la grande hospitalité de la Côte d’Ivoire dont on parlait pour cette CAN, ce n’est pas les femmes.

On a vu que les messages qui ont été amplifiés en ligne. Pensez-vous que ces messages ont touché beaucoup de personnes ? Y a-t-il eu un fort engouement pour les amplifier, et cela a-t-il joué un rôle significatif ?

Amandine : Oui, les messages ont été amplifiés et ça a même permis à d’autres personnes de pouvoir témoigner de ce qu’elles avaient subi comme agression dans les stades ou lors d’autres événements et regroupements. On a eu un témoignage d’une agression qui s’est passée, je crois, il y a deux ou trois ans, d’une femme dans un hôtel.

J’ai écouté son témoignage lorsqu’elle l’a partagé via ses stories Instagram.

Amandine : Voilà. Les messages de la campagne #CANSafe ont également été partagés par des personnes qui sont suivies par des millions de personnes et tout. 

Meganne : Nous avons vu que la campagne a été vraiment suivie. Nous avons eu beaucoup de retours des populations, des institutions qui ont dit qu'ils avaient suivi ce qu'on avait fait au niveau digital, mais aussi au niveau physique. Au début, quand on a lancé la campagne #CANSafe, on a eu beaucoup de retours négatifs, principalement des hommes qui disaient qu'on exagérait, qu'on en faisait trop, qu'on allait gâcher la fête avec des choses inutiles, mais on a tenu à rester ferme parce qu'on savait ce que c'était la violence liée à des périodes festives, liées au football ou au sport. Il y a des études qui ont été menées sur la question. L'année passée, il y a eu une collaboratrice de la Ligue qui a été agressée au Sénégal lors de la célébration de la CAN au Sénégal.

Son témoignage et celui d’une autre femme ont été partagés. Il y a un article et une vidéo de BBC dans laquelle des femmes racontent comment elles ont été agressées lors des célébrations de la victoire du Sénégal. 

Meganne : Ces choses ne sont pas éloignées comme les gens pensent. En continuant la campagne, on a vu que des gens ont commencé à prendre conscience que ça existait quand il y a eu des personnes qui ont été agressées, des filles qui ont été agressées. On a même eu en direct un monsieur qui a harcelé une dame pendant une victoire de la Côte d'Ivoire. Ça avait pris une ampleur lorsqu’une chaîne de télévision a voulu inviter cette personne-là sur le plateau.

Amandine : Les médias ne parlent pas des agressions jusqu’à ce que quelqu’un agresse. Et c’est l’agresseur qu’on met en tête d’affiche pour parler à la télévision. C’est impardonnable.

Meganne : On a fait, on va dire, une contre-campagne de masse sur internet. On a tagué le média et dénoncé ça. Finalement, ce qui était censé être un plateau de moquerie et tout, avec le coup de pression qu'on a mis, a changé automatiquement sa ligne conductrice et a été un plateau où on a essayé de faire de la sensibilisation sur la question. Ça prouve que la campagne a porté ses fruits parce que des gens ont compris qu'il y a des choses qui n'allaient pas se faire. Des gens ont compris que la Ligue et toutes les organisations étaient sur pied, on va dire, de guerre entre griffes parce qu'on surveillait les réseaux sociaux, on était disponible pour aider les survivantes au cas où.

Cette campagne m'a permis aussi de me sentir en sécurité, parce que lorsque je portais mon t-shirt et que je rentrais dans un stade, sur mon t-shirt il y avait déjà tout ce qu'il fallait que tu saches en tant que personne ou possible agresseur, parce qu'il y avait déjà le message que je voulais faire passer. Ça m'a permis aussi de sensibiliser mon entourage direct qui ne comprenait pas vraiment l'importance de cette campagne. Avec ce que j'ai vécu moi dans les stades, ce que des amis à moi ont vécu, ils se sont rendus compte que vraiment on n'exagérait pas du tout. 

Est-ce que la campagne #CANSafe a amené les autorités à renforcer les mesures qu’elles avaient déjà prises à leur niveau pour la sécurité dans le cadre de cette CAN ?

Amandine : Oui, il y a eu des efforts en tout cas. Le gouvernement ivoirien a profité du moment de la CAN pour mener une campagne de sensibilisation contre les violences basées sur le genre nommée « carton rouge au VBG ». Au début, on n'avait pas le bouton pour dénoncer les violences sur l’application du COCAN. Cela a été pris en compte au fur et à mesure qu’on amplifiait les messages de la campagne #CANSafe. Par contre, je ne l'ai pas testé, je ne sais pas si ça a marché. Je sais que le numéro déployé là, le 1308, il ne fonctionne pas. Il a fonctionné la première journée, après il n’a plus fonctionné.

C’est pourquoi, sur les affiches de la campagne #CANSafe, nous avons mis les numéros des organisations Stop Au Chat Noir, de la Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes et de la police. L’autre impact de la campagne #CANSafe, c’est qu’on a vu d’autres organisations en Côte d’Ivoire aussi faire des campagnes dans ce sens. Donc nous, on se dit que le message est passé. Les organisations qui ne sont pas féministes se sont alignées dessus pour amplifier le message.

Si vous aviez la possibilité de faire plus dans le cadre de cette campagne ou de proposer des actions pour garantir la sécurité des femmes dans le cadre de cette CAN, qu’est-ce que vous auriez fait ?

Meganne : Lorsqu’on a su que la CAN arrivait en Côte d'Ivoire, avec mon équipe à la Ligue, on avait une idée. C'était d'avoir des stands dans les stades, des stands de sensibilisation, des stands de prise en charge, en fait, au cas où il y aurait des cas de violence. J'ai essayé dans les débuts d’approcher des personnes qui travaillaient sur la question au niveau du ministère des Sports. Ça n'a pas pu se faire. L'idée au début, c'était d'avoir des banderoles énormes dans les stades, d'avoir des stands, de pouvoir dérouler des messages de sensibilisation dans les stades. Je pense que si on avait assez de sous, assez de financement, on aurait fait ça. On se serait mis dans les stades, on aurait fait des convois pour aller rassurer les femmes dans les stades, se dire vous n'êtes pas seules, s'il y a quelque chose, vous pouvez nous appeler. C'était en fait le projet d'origine, mais ça n'a pas pu se faire pour faute de moyens. 

Amandine : Dans les mesures, parce qu’on a vu toutes les mesures qui ont été prises et qui ont été communiquées aux festivaliers et amoureux du football qui se rendaient en fait au stade, on aurait pu mettre des messages de sensibilisation sur les agressions sexuelles. On aurait aimé voir ça dans les interdits du COCAN. En tout cas, à ce niveau-là, tout le monde n’est pas sur internet et tout le monde n’a pas l’application. On aurait pu avoir aussi un espace dans les stades, pouvoir communiquer directement, que ce soit avec les femmes ou que ce soit avec les hommes, de la situation et de leur parler de cette culture d’agression qui règne quand il y a des festivités comme ça. Ça aurait été bien d’être sur place pour sensibiliser, mais on n’a pas pu. Néanmoins, il y a une ONG qui s’appelle BLOOM qui a créé un espace safe dans les villages Akwaba.

C’est quoi les villages Akwaba déjà ?

Amandine : Ce sont les villages qui sont déployés à Abidjan comme à l’intérieur du pays avec un écran géant pour aller regarder le match pour ceux et celles qui ne peuvent pas aller au stade. Donc, l’ONG BLOOM avec d’autres organisations ont créé dans ce village un espace safe où quand tu pars, tu es sensibilisé sur les questions liées aux VBG. C’était à Abidjan et Koumassi. On aurait aimé avoir un espace safe dans presque tous les villages Akwaba. Ça aurait été plus impactant et plus intéressant. Il y avait beaucoup de choses qu’on aurait pu faire d’autre. Comme occuper les médias, en parler.

Quel message souhaitez-vous adresser aux autorités concernant l'importance de la collaboration entre les institutions publiques et les organisations de la société civile dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles ?

Meganne : Si j'avais un message à adresser aux autorités, ce serait de donner de la place, de collaborer le plus souvent avec les organisations de la société civile. Parce que c'est important de mettre sur la table ce qu'on sait, nous, et ce qu'ils savent, pour qu'ensemble nous puissions arriver à renforcer les moyens de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles.

Mon message à ces autorités, serait de continuer à renforcer les moyens de répression contre les agresseurs, contre les criminels, contre les violeurs. Il faut qu'on continue de mettre nos efforts ensemble. Il faut qu'on accentue la formation sur les agents de santé, les agents de police, les agents de gendarmerie, parce que c'est comme ça qu'on pourra, à chaque niveau, déconstruire cette société patriarcale, parce que lorsque des femmes vont à la police et ce sont les mêmes hommes sexistes qui y sont, c'est un problème. Donc, il va falloir qu'on puisse ensemble se former pour déconstruire, se déconstruire ensemble pour que le bien-être des femmes et des filles en Côte d'Ivoire soit une priorité.

En voyant la campagne #CANSafe, j’ai réfléchi loin. Je me suis dit aussi que les grands événements peuvent devenir des plateformes qui prennent la responsabilité de sensibiliser parce qu’il y a une audience assez très large. Est-ce que vous voyez des perspectives dans ce sens par exemple pour les éditions à venir ?

Meganne : Je pense qu'il faut s'intéresser à tous les événements, les grands événements, parce que ça offre des opportunités de sensibilisation. La veille de la finale de la CAN, nous, la Ligue, on était à l'agora de Port-Bouët, pour participer à un festival CAN, au village CAN qui parlait un peu de la santé, de la reproduction des jeunes. Nous utilisons chaque opportunité comme ça pour sensibiliser sur la question. Et on était en partenariat avec TACKLE, qui est une ONG qui utilise le sport pour faire de la sensibilisation sur la santé de la reproduction des jeunes et des violences enceintes aux femmes et aux filles.

Et c'est un peu ce que la Ligue fait, c'est-à-dire qu'on essaie de trouver des lucarnes peu importe où, l'endroit, de poser en bas de notre kakemono, d'avoir des flyers, de sensibiliser sur la question. Et je pense que pour les prochaines fois, peu importe l'occasion, il y a plusieurs événements en Côte d’Ivoire qui se déroulent. Par exemple, il y a le Massa, il y a des grands événements et tout. Je pense que pour les prochaines fois, on va continuer de renforcer notre force de frappe pour pouvoir être visible un peu partout sur les grands événements. 

Alors, pouvez-vous me parler du collectif Voix Féministes d’Afrique Francophone ?

Amandine : Le collectif, alors c’est une réunion de sorcières… (rires) de la Côte d’Ivoire, de la Mauritanie, du Bénin, du Mali, du Cameroun, du Sénégal, du Burkina Faso, du Niger, du Togo. C’est un gros collectif de sorcières avec des pouvoirs magiques qui ont décidé de se mettre ensemble, de mettre leurs pouvoirs ensemble pour pouvoir contrer le patriarcat. Voix féministe d’Afrique Francophone s’est constitué à la suite du premier Agora féministe qui s’est déroulé en 2022. Après les rencontres à l’Agora, on a décidé de nous réunir et créer un groupe pour faire mouvement et agir ensemble. 

Et aujourd’hui Voix féministes d’Afrique Francophone, c’est un groupe de plus d’une centaine de féministes. On discute de ce qui se passe dans nos pays, on se nourrit des expériences des autres, on arrive à avoir en fait le soutien des autres féministes. On s’exprime et on arrive à dénoncer. Nous avons déjà mené plusieurs actions ensemble en ligne qui ont porté leurs fruits. Comme le communiqué sur l’affaire d’enlèvement de plus d’une cinquantaine de femmes au Burkina Faso, l’appel au boycott d’une chanson qui fait l’apologie du viol, et la campagne #CANSafe dernièrement.

Meganne : Nous essayons de coordonner nos actions dans nos pays respectifs, mais aussi de coordonner nos actions régionales pour avoir plus d'impact sur les questions du féminisme et les questions des violences faites aux femmes que nous combattons, et les questions des droits des femmes en particulier.

Et pour finir, notre légendaire question : quelle est votre devise féministe chacune ?

Amandine : Pour moi, ce qui est très important en tant que féministe, c’est l’amour. Tout simplement. Aujourd’hui, demain, après-demain. Je pense qu’en tant que personne amoureuse de l’amour, j’ai envie de dire ça comme ça, je suis quelqu’un qui n’écoute pas beaucoup son cerveau et qui écoute beaucoup son cœur. Et je pense que c’est l’écoute de mon cœur qui m’a amenée dans le féminisme. C’est l’amour pour mes sœurs, c’est l’amour pour moi même d’abord, parce que je veux beaucoup mieux pour moi, je souhaite beaucoup mieux pour moi et pas cette case dans laquelle on m’a cantonnée en tant que femme. Et vu que j’ai de l’amour pour moi et que je vise beaucoup plus loin, cet amour-là se déploie aussi pour d’autres sœurs. J’ai de l’amour pour elles et je souhaite le meilleur pour elles et pour moi en tant que féministe. Ce qui compte le plus, c’est cet amour-là qui ne doit pas disparaître dans nos mouvements. Parce que dans tous les mouvements de lutte pour les droits des humains, c’est l’amour au centre. Parce que si tu veux que quelqu’un se sente mieux et que tu veux que la condition de vie de quelqu’un s’améliore, c’est parce que tu as de l’amour pour cette personne-là et voilà. Et c’est l’amour en fait qui régit nos mouvements. En tant que féministe, je me définirais comme très amoureuse. Amoureuse des femmes.

Meganne : Je ne sais pas si c'est une devise, mais je pense que moi en tant que féministe radicale, quand je me lève c'est le féminisme, je bois c'est le féminisme. Je pense que le féminisme c'est un peu ma propre religion. C’est, comme on dit souvent, c'est un ministère de toute une vie pour moi en fait. Je pense que si on m'enlève le féminisme, on m'a tout enlevé. Je suis la femme que je suis aujourd'hui parce que j'ai découvert le féminisme. Je pense que c'est la plus belle histoire d'amour que je n’ai jamais eue avec moi-même, c'est d'être féministe et d'être féministe radicale.

Merci beaucoup à vous deux !

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« Il faut briser les barrières de l’égoïsme et du mépris » – Constance Yaï (Côte d’Ivoire) 2/2

Nous échangeons avec Constance Yaï de la Côte d’Ivoire. Dans la première partie de notre conversation, nous avons parlé de la naissance de son engagement, la création de l'Association Ivoirienne des Droits des Femmes (AIDF) et ses actions. Dans cette seconde partie, nous continuons notre discussion avec un focus sur sa vision d’un mouvement féministe intergénérationnel en Afrique.

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On va parler un peu de la collaboration intergénérationnelle. C’est vraiment un sujet au cœur du mouvement féministe. En votre temps est-ce que vous avez eu des féministes plus anciennes ou des femmes tout court qui vous ont soutenu ? 

Oui. Nous avons des femmes qui nous ont soutenu. Mais j’avoue qu’en 1990 l’expression faisait peur. Des femmes en privé disaient “on vous soutient”. 

Parlant des femmes qui soutenaient en privé, cela me rappelle qu’effectivement, il y a  toujours une peur apparente de s’exprimer, de se revendiquer féministe publiquement. L’une des raisons qui explique cela selon moi, c’est le fait qu’on dise aux féministes africaines qui expriment leur vision du féminisme qu’elles se trompent de combat, que le féminisme est une invention de l’occident pour détruire la culture africaine. C’est aussi une rhétorique que vous avez aussi entendue ?  

Rien n’a été importé. L’oppression des femmes n’est pas une invention. Elle existe dans nos sociétés. Et le féminisme est la réponse à l’oppression des femmes. Je suis née dans un contexte comme celui-là. Je n’ai pas inventé le patriarcat. Toutes les luttes sont nées là où il y a eu des problèmes. Aujourd’hui, beaucoup se rendent compte que les mouvements féministes prennent de l’ampleur. Les Africaines n’ont rien fait d’autre que d’intégrer un large mouvement international duquel nous étions absentes. Les femmes luttaient isolées dans leur coin, elles n’étaient pas connues.

Quand je pense à nos débuts, vous savez, ce n’est pas évident de se faire inviter sur un plateau de télévision. Nous étions jeunes, la trentaine ou en début de trentaine. Nous avions très peu de moyens et au niveau national nous n’avons bénéficié d’aucun soutien financier. Ceux qui vous invitent tentent de vous ridiculiser, de vous brimer, de vous décourager. Vous arrivez et on vous dit madame est-ce que vous êtes sûre que vous parlez de la Côte d’Ivoire ? Vous êtes sûre que les femmes de ce pays ont ce besoin ? Vous ne pensez pas que vous venez pour créer des problèmes dans les ménages ? Vous venez déstabiliser ce pays de paix ? On vous présente comme une rebelle qui vient mettre le désordre là où tout le monde est heureux, là où tout va bien.

Alors vous pensez bien qu’être isolée dans son pays, ce n’est sûrement pas la chose à faire. Je crois que les gens réagissent comme ça parce que les féministes africaines commencent à donner plus de la voix, à être connues et surtout commencent à se constituer en réseau.

En effet. 

Quand je prends la liste de lois que nous avons contestées, pour celles et ceux qui disent que le féminisme est un mouvement importé de l’étranger, on leur dit de regarder le code civil ivoirien, c’est photocopie du code napoléonien. C’est ça qui est importé pour réduire les droits des femmes africaines. Depuis que nos pays sont des colonies françaises, les droits des femmes ont régressé, en ce sens qu’elles participaient à la vie politique. 

Vous parliez plus haut du soutien des femmes plus âgées en privé. Ne pensez-vous pas qu'aujourd'hui, les jeunes féministes ont besoin de soutien public de la part de leurs aînées ? 

Oui. On a besoin aujourd’hui d’exprimer ouvertement à nos filles et jeunes sœurs notre soutien. Parce que vous savez, le patriarcat est très malin, il a créé des espaces, des moyens d’opposer des personnes qui mènent le même combat. Donc ce que j’entends souvent dire en Côte d’Ivoire injustement aux jeunes féministes c’est « mais ah ouais, vous vous êtes juste larguées, vos mères ou vos aînées étaient plus souples… » Des foutaises quoi ! Que des mensonges pour dire qu’il y a les bonnes féministes, il y a les mauvaises féministes. Je leur apporte mon soutien d’abord parce qu’elles sont dans le vrai, et puis pour que la lutte aboutisse. Il faut bien qu’il y ait continuation. Si nous coupons ce cordon là, c’est fichu ! Il nous faut absolument les soutenir. Moi je n’ai aucun complexe et je leur apporte mon soutien total et publiquement.

Comment soutenez-vous donc aujourd’hui les jeunes féministes ?

Déjà par rapport à la visibilité. C’est vrai que les moyens qui existent aujourd’hui permettent d’amplifier la voix des jeunes féministes, je pense aux réseaux sociaux. Mais je crois qu’elles ont aussi un espace à prendre. Et nous devons participer à leur présence effective sur le terrain et se démarquer de tous ceux qui veulent banaliser leur combat en s'affichant clairement à leurs côtés. Aussi bien en Côte d’Ivoire que dans la sous-région. Elles ont besoin de notre soutien, elles ont besoin de notre présence. Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, je dis à mes jeunes féministes si vous avez besoin de mon nom, ne demandez même pas, utilisez-le. Les anciennes que nous sommes, soyons aussi un tremplin, soyons un lieu de passage pour la jeune génération.

Comment on peut aujourd’hui renforcer la collaboration intergénérationnelle au sein du mouvement féministe africain ?  

Le mot est là : collaboration. Pour dire on n’est pas obligées de mener les mêmes actions, mais il faut des connexions. Il faut qu’on se retrouve. Ce n’est pas parce que vous êtes jeunes ou vieilles que vous êtes plus ou moins efficaces. Il y en a qui ont du temps à donner. Il y en a qui n’ont pas de temps comme d’autres. Il y en a, ce sont des formations, des conseils, des programmations ou simplement la présence…Je veux dire que tout cela compte.

Il y a une femme qui était secrétaire générale adjointe d’un syndicat de travailleurs, le plus gros syndicat de travailleurs de Côte d’Ivoire, UGTCI - Union Générale des Travailleurs de Côte d'Ivoire. À cette femme, je ne lui demandais rien d’autre que d’être assise à nos côtés. Je lui ai dit : « Tantine, si tu veux tu prends la parole, si tu veux tu ne parles pas, mais ta présence me suffit largement ». Quand les débats commencent, elle ne peut plus se contenir et elle prend la parole. Si bien qu’elle est devenue des nôtres. Et c’est avec beaucoup de bonheur que nous avons travaillé avec elle. 

Nous parlons de la collaboration intergénérationnelle dans le mouvement. C’est sans oublier la gestion des conflits. Comment est-ce qu’on transcende les conflits ou les différences pour continuer à faire ce qui nous unit ?

J’estime que les conflits sont inhérents. Mais nous devons nous dire quelles sont les valeurs qui nous unissent ? Pourquoi nous sommes là ? Pourquoi nous sommes ensemble ? Et l’avoir souvent à l’esprit pour pouvoir transcender les conflits. La bienveillance pour moi est la base. Quand l’autre parle, c’est en fonction de la perception qu’elle a des choses en ce moment. Dans la mesure où la bienveillance est à la base de nos rapports, je t’écoute.

Les féministes ont beaucoup à apporter à l’humanité. Nous devons nous interdire d’être un obstacle. Je m’interdis d’être responsable du retard de ce combat. Bien au contraire, je dois être celle sur laquelle ma sœur s’appuie pour avancer. On n’a pas le choix. Il faut briser les barrières de l’égoïsme, les barrières du mépris. Nous sommes l’avenir du monde, nous sommes l’avenir de la politique, nous sommes ce qui va permettre au monde d’en finir avec les guerres, d’en finir avec les injustices, d’en finir avec les souffrances. Donc un mouvement comme celui-là, il a de l’avenir.

C’est une belle conception de ce qu’est la sororité.

Exactement. Sans employer le mot, c’est exactement ça que je dis. Grâce au féminisme aujourd’hui, c’est toujours avec bienveillance que je regarde les autres femmes. Le féminisme m’a appris justement à être solidaire des femmes en lutte. Je ne peux pas agresser d’autres femmes. Ma sororité me l’interdit. 

Vous avez été ministre de la Solidarité et de la Promotion de la Femme. Beaucoup de jeunes féministes ont des ambitions politiques. Parlez-nous un peu de cette expérience dans la politique. 

Je pense que les féministes seront plus fortes si elles acceptent de briser les barrières qu’on appelle prétendument politiques. Chacun choisit le parti politique de son choix. Les féministes doivent transcender ces choix et se retrouver. Elles ne sont pas obligées d’être du même parti. Je rêve dans nos pays d’un collectif des féministes des partis politiques. 

Pourquoi ?

À l’époque où j’étais dans le gouvernement, un gouvernement majoritairement d’un bord, je n’étais pas dans la majorité malheureusement. Mais quand j’arrivais en conseil des ministres, je prenais le temps de parler. Au début, nous n’étions que deux femmes dans ce gouvernement. Et l’autre dame, d’abord beaucoup plus âgée que moi, était très écoutée. Et c’est justement celle-là qui est devenue la première femme responsable d’institution en Côte d’Ivoire Henriette Diabaté. Et je lui disais, « Tantine, je vais présenter ceci ou cela  la semaine prochaine, il faut qu’on en discute, il faut... » J’avais besoin d’aide et c’était une stratégie que je mettais en œuvre.

Je me dis, nous sommes dans les sociétés gérontocratiques, donc les gens regardent beaucoup l’âge, on respecte les aînés. Donnons à nos aînés le respect auquel ils ont droit, sans être flagorneurs, sans être lèche machin, sans se mettre à plat ventre devant les gens, en gardant notre dignité, mais en les respectant. Et personnellement cela m’a aidée à faire avancer certaines décisions difficiles que j’avais besoin de pousser à cette époque-là.

Donc non on ne pourra rien faire si on ne crée pas, je vous l’ai dit tout à l’heure un peu plus haut, des connexions. Les féministes n’ont pas le choix, elles ne peuvent pas faire autrement, nous devons créer des connexions. Et elles ne sont pas obligées d’être du même parti. Nous devons encourager nos femmes, nos filles, à entrer en politique, à être dans les syndicats. Nous devons être là, nous devons être présentes et surtout sans complexe.

Tout ceci pourrait par exemple être divulgué à plus de féministes via la production de connaissances. Comment est-ce qu’aussi on peut encourager cette production dans notre région ? Je rappelle que vous avez écrit un livre, « Traditions-Prétextes, le Statut de la Femme à l'épreuve du culturel ». 

C’est important. J’ai profité de mon séjour ici pour échanger avec quelques féministes. Je pense qu’il nous faut même trouver les moyens de créer une maison d’édition pour encourager les féministes à produire. Parce que des manuscrits, il y en a beaucoup. Je milite pour que des maisons d’éditions se créent, et celles qui existent s’ouvrent et s’intéressent aux productions littéraires féministes. 

Quel est votre espoir aujourd’hui pour les filles et femmes en Afrique ? 

Il faut que nos pays financent le féminisme. Et moi je pense que c’est mon prochain combat, des fonds nationaux pour les femmes, des fonds nationaux pour les droits des femmes. On a tendance à oublier que sans les moyens, les besoins ne sauraient être satisfaits. Il faut un soutien, aussi bien national qu’international. Tant que les soutiens seront internationaux, notre combat sera vécu comme un combat des autres. Il faut aussi trouver des fonds endogènes. Il n’est pas normal que des pays regardent leur jeunesse, leurs femmes pleurer alors que les moyens existent pour faire changer la donne.

C’est une grande question et très pertinente. Merci beaucoup d’avoir pris le temps de le partager avec nous.

C’est à vous !

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« Nous sommes féministes parce que nous sommes amoureuses de la liberté » – Constance Yaï (Côte d’Ivoire) 1/2

Constance Yaï est une féministe ivoirienne, auteure, Professeure spécialisée dans la rééducation des troubles du langage. Elle est la Fondatrice de l'Association Ivoirienne des Droits des Femmes (AIDF) et ancienne ministre de la Solidarité et de la Promotion de la Femme en Côte d’Ivoire.

Au cours d’un voyage au Sénégal, notre Chanceline Mevowanou a rencontré Constance Yaï qui participait à une session aux côtés de plusieurs jeunes féministes du Niger, de la Côte d’ivoire et du Bénin. Dans cette conversation, elle nous parle de la naissance de son engagement féministe et de sa vision pour construire un mouvement féministe intergénérationnel en Afrique (Partie 2). 

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Merci Mme Constance Yaï d’avoir accepté d’échanger avec nous. Pouvez-vous vous présenter ? 

Je suis Constance Yaï. J’habite en Côte d’Ivoire, à 4-5 km d’Abidjan dans une zone qui se remet progressivement de la crise post-électorale de 2011. Je suis membre de l’AIDF où je coordonne aujourd’hui les activités avec les femmes en milieu rural. 

C’est quoi l’AIDF ? 

L’AIDF est l’Association Ivoirienne pour les Droits des Femmes. C’est l’une des premières organisations féministes de la Côte d’Ivoire. Elle existe depuis 1992. Elle est née à l’issue de quelque chose de dramatique auquel nous avons assisté. 

On reviendra plus en détails sur l’AIDF dans cet échange. Avant de commencer,  nous avons parlé de Eyala. J’expliquais que Eyala explore ce que signifie être féministe pour les femmes africaines y compris les personnes non binaires et de genres divers. Cela m’amène à vous poser cette question : pour vous, c’est quoi « être féministe » ? 

Être féministe pour moi, c’est d’abord prendre conscience de l’injustice qui est faite de façon récurrente et permanente aux femmes. Ensuite c’est donner de la voix, s’engager pour que cela change. Observer et se dire qu’il s’agit d’une injustice est une chose. S’organiser pour que cela change en est une autre. Utiliser sa voix, sa position pour faire changer le statut de la femme, c’est cela être féministe. Et ce à défaut même d’être dans une organisation féministe.

Avant de commencer votre engagement féministe de façon plus affirmée, y a-t-il un moment dans votre enfance qui vous a marqué et qui a été déterminant pour votre parcours féministe ? 

Je pense à la période où j’étais au collège, quelques années avant le bac. Ce qui m’a marqué, ce sont mes échanges avec mon père. Il était dur avec ma mère. Mais admiratif de ses filles. Je suis née d’une mère dont la mère était l’une des plus grandes exciseuses de la région. Mon père en épousant ma mère lui a dit qu’aucune de ses filles ne sera excisée. C’est la première condition qu’il a posée.

Ensuite il a dit qu’il faut que ses filles soient toutes alphabétisées, elles doivent avoir le même niveau que les garçons. Personne n’arrêtera les études sans avoir eu un Bac. Mon père disait souvent que le premier mari d’une femme, c’est son travail. Il disait « Aucune urgence pour vous marier. Je serai là pour vous protéger, je serai là pour subvenir à vos besoins. Ne vous laissez pas marcher sur les pieds, il n’y a pas de raison. Même vos frères n’ont pas le droit de vous piétiner  parce que vous êtes tous mes enfants, vous avez les mêmes droits. » 

Malheureusement, il n'a pas pensé qu'il partirait tôt. Dès la classe de première, je l’ai perdu. J’ai été fortement traumatisée par ce décès. Ma vie a pris un cours. Je me suis dit qu’il n’est plus là mais je ferai tout ce que je lui ai promis de son vivant. 

Les paroles de votre père vous ont certainement motivé et encouragé dans votre parcours féministe. Comment cet engagement a débuté ? 

J’ai commencé par observer les choses autour de moi. Ce n’est pas exagéré de dire que tout autour de moi est injustice quant à la question de la femme. Quand vous avez un papa qui a toujours raison sur votre maman ; quand vous avez à l’école des garçons qui prennent toute la place pendant la récréation et les filles qui se font toutes petites quand les garçons arrivent... Dans ma langue j’entendais les gens dire « Il n’y a personne, il n’y a que des femmes ». On demande si quelqu’un est dans la maison et on répond « Non il n’y a personne, il n’y a que des femmes ». Je parle d’une époque d’il y a 40-50 ans.

Et en même temps je voyais que quand on n’avait plus d’arguments pour expliquer les injustices faites aux femmes on courait à la tradition en disant ce sont les traditions, ce sont les coutumes. Toutes ces femmes qui ne veulent pas accepter le statut discriminatoire de la femme, elles sont contestataires. Et moi j’accourais. Je réagissais. J’ai commencé à être intéressée par la question culturelle du statut de la femme. En étant étudiante, j’ai beaucoup milité dans des syndicats d’étudiants, dans des mouvements de contestation.

À un moment donné, je me suis dit que ça ne suffisait plus. Il me faut rencontrer d’autres femmes qui pensent comme moi pour porter des projets, pour aller plus loin. Ma voix seule ne suffisait pas. Vous n’êtes pas obligés de militer dans une organisation pour être reconnue comme féministe. Mais en même temps il faut avoir aussi du respect pour celles qui sont engagées dans les organisations. Je pense que le féminisme est cette pensée, cette philosophie qui admet la liberté. Et justement nous sommes féministes parce que nous sommes amoureuses de la liberté. 

Quand vous avez commencé, vous avez eu du soutien de la famille ? 

Ma mère était malheureuse de me voir engagée dans la lutte contre l’excision. Je me suis faite porte-parole de ces femmes qui sont en train de dénoncer, d’invectiver une pratique dont ma grand-mère était fière. Ma grand-mère n’a pas eu la joie d’exciser ses petites filles. Elle croyait bien faire. Elle me disait « je ne fais ça que pour le bien des femmes, parce que les hommes ne vous épouseront pas si vous n’êtes pas excisées ». Je lui disais mais quels hommes ? Nous n’épouserons pas des hommes de cette communauté. J’ai eu beaucoup de discussions avec ma grand-mère. Je la contestais, je l’aimais beaucoup, je l’écoutais et je crois que cette complicité m’a aidée. Elle m’a dit « si tu y crois vas-y. Si tu penses vraiment que ce sera bien pour les femmes, vas-y. Mais sache que tu vas en souffrir. » J’ai eu sa bénédiction et je me suis dit que plus rien ne m’arrêterait. 

Parlons maintenant de l’AIDF. Comment est-ce que l’AIDF est née ? 

Je disais plus haut que l'AIDF est née suite à des viols des filles sur le campus universitaire d’Abidjan en 1992. Des gens militaient contre le parti unique, contre les conditions des étudiant.e.s. Des étudiantes protestaient sur le campus universitaire après le viol d’un certain nombre de femmes. À l’avènement du multipartisme, les manifestations étaient malheureusement réprimées de façon systématique. La gendarmerie est montée, les corps habillés comme on les appelle chez nous. Ils sont montés sur le campus, ils ont frappé les étudiants et ils ont violé les filles.

Nous avons décidé que trop c’était trop. Il n’y a pas de raison. Nous avons dit qu’il n’était pas normal de réprimer des étudiant.e.s qui protestent. Il n’est pas normal qu’en plus d’être violées, qu’elles soient réprimées et frappées sur le campus. Pour exprimer notre ras-le-bol, nous avons créé cette association. Pour dire que les femmes ont des besoins spécifiques qui doivent être respectés même dans le cadre de conflits ou de crises.

Quelles étaient les actions de l’AIDF ?

Je vous parlais de ma relation avec l’exciseuse que fut ma grand-mère…Nous avons mené une campagne contre l’excision. Nous avons eu la joie de constater que le gouvernement ivoirien nous a donné raison et a estimé qu’il était temps qu’une loi soit votée et décrétée l’application pour éradiquer les mutilations génitales féminines. Nous organisions des tournées dans les commissariats de police, dans les postes de gendarmerie pour distribuer ce que disait la loi par rapport à la protection de la femme dans les familles. Nous étions en 1992. On ne parlait pas encore de violence conjugale, on ne parlait même pas de violence domestique. Nous avons fait le travail de sensibilisation des forces de sécurité jusqu’au point où aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, nous avons des bureaux VBG gérés par des femmes des corps habillés. Nous avions aussi fait des dénonciations. Il y a une jeune fille dont on a beaucoup parlé en Côte d’Ivoire. Là nous sommes en 1996. Elle s’appelait Fanta Keita. 

Oui, nous entendons beaucoup parler d’elle par les jeunes féministes actuelles.

Elle a été mariée contre son gré et lasse de supporter des viols répétitifs a égorgé le monsieur. Et elle a été mise aux arrêts. Nous avons organisé toute une panoplie d’activités liées au fait que les lois ivoiriennes ne permettaient pas de mettre aux arrêts une petite fille. Nous avons sorti tout un arsenal pour démontrer au gouvernement qu’il fallait trouver une solution pour cette petite fille. Nous avons bénéficié des médias internationaux qui avaient des bureaux à Abidjan pour occuper l’espace. Sur toutes les tribunes nous prenions le micro pour dire que si quelqu’un devait être en prison c’était l’État qui n’a rien fait pour protéger cette fille, puis dans une moindre mesure la communauté et la famille de la petite.

Et pendant ce temps qu’elle était en prison que tous les matins nous organisions des manifestations devant la maison d’arrêt. Elle a été libérée. Elle était en détention préventive, malheureusement la détention préventive a duré 11 mois. Le gouvernement était très embarrassé, la solution qu’il a trouvée c’était de sortir la petite de prison et de nous la donner et reconnaître que l’AIDF a fait ce qu’elle devait faire. De là vient la jurisprudence qui permet aujourd’hui à beaucoup d’organisations de mener ce genre de combat et d’utiliser ça pour défendre des jeunes filles qui sont dans la même situation. C’est la jurisprudence Fanta Keita.

Félicitations à vous !

Merci. Il y a aussi la hiérarchisation des rapports hommes-femmes dans le mariage. Une chose que nous avons demandé que la loi corrige depuis près de 15 ans et qui a été acceptée aujourd’hui.

En Côte d’Ivoire, la loi spécifie que l’homme et la femme sont tous les deux responsables de la famille, l’homme et la femme sont les chefs/cheffes de la famille. A l’époque c’était l’homme qui était le chef et il prenait tellement de décisions anachroniques. Des fois il n’exerçait pas une activité, c’est la femme qui rapportait l’argent dans le foyer, mais elle avait besoin de la permission de son mari pour ouvrir un compte, pour voyager. Nous sommes contentes de voir que notre pays a un peu évolué par rapport à ces questions.

Nous avons aussi mené le combat pour qu’il y ait des femmes à la tête de nos institutions. On l’a dénoncé. Au cours d’une de nos rencontres avec le chef de l’État, il nous a dit « vous avez dénoncé pendant près de 15 ans le fait qu’aucune institution de ce pays n’est dirigée par une femme et vous avez estimé que c’était une discrimination. Je vais vous faire une surprise, je nomme une femme…» Ainsi donc nous avons eu la première femme présidente d’institution. Je vous jure qu’il pensait avoir réparé une injustice en nommant une femme sur 10 hommes. Je trouve cela triste. 

Lorsque nous créions l’association, il n’y avait aucune organisation de femmes à commémorer le 8 mars. Le premier 8 mars associatif, nous l’avons fait et on nous a regardé avec beaucoup de curiosité. Le combat reste. Il y a encore des luttes à mener, des obstacles à surmonter. Nous avons fait des petits progrès. On pourrait en avoir plus. Et le temps aidant, moi je suis tellement optimiste parce que de plus en plus nos filles, nos sœurs, nos petites filles s’engagent. 

Dans la seconde partie, nous parlerons de la vision de Mme Constance Yaï pour construire un mouvement féministe intergénérationnel en Afrique. Cliquez ici pour lire cette partie.

Faites partie de la conversation

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« Je pense qu’il est primordial de se soutenir mutuellement avec grâce dans notre processus de guérison » – Lorato Palesa Modongo (Botswana) 5/5

Voici la cinquième et dernière partie de notre entretien avec Lorato Palesa Modongo, féministe et psychologue africaine du Botswana. 

Nous avons exploré l'éveil féministe de Lorato dès son jeun âge (partie 1), sa formation et ses expériences en tant que psychologue sociale (partie 2), ses pensées et ses expériences dans les mouvements et les espaces féministes africains (partie 3), et ses observations sur les tensions qui entravent parfois la construction de mouvements féministes africains intergénérationnels, ainsi que les solutions possibles pour faire avancer la situation (partie 4). Dans cette dernière partie, nous discutons de la guérison personnelle et collective pour soutenir nos mouvements, du travail actuel de Lorato avec l'Union africaine et de son chemin vers l'auto-réconciliation pour découvrir sa vision personnelle de son identité. 

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Chaque fois que nous nous réunissons dans des espaces féministes et que la question de la construction d'un mouvement intergénérationnel est soulevée, c'est toujours le même cycle de blâme, et la conversation n'a pas vraiment évolué de ce point vers des solutions. À quoi ressemblerait cette étape d’après toi, personnellement, et sur la base des expériences que tu as vécues ? 

Je pense que pour moi, il s'agit d'abord d'essayer de comprendre. Si nous nous penchons sur le « pourquoi », nous comprendrons qu'il s'agit d'une question d'objectif, d'autodétermination et d'utilisation des ressources dont nous disposons à un moment précis. Si nous nous concentrons sur le « pourquoi », nous verrons que la conversation est plus complexe que le simple fait de penser délibérément que l'autre groupe est inefficace ou à blâmer. Nous découvrirons qu'il y a d'autres aspects interconnectés en arrière- plan. Après le démêlage, je pense qu'il est important, dans notre processus de guérison, de se soutenir mutuellement avec grâce. Beaucoup de grâce. J'ai vraiment de la chance d'avoir évolué dans des espaces où il y a beaucoup de grâce, où même si je fais une erreur, il y a de la grâce. 

Cette grâce nous permettra de réellement pardonner, car cesser de blâmer implique également de reconnaître et de pardonner. Parfois, même sans avoir reçu d’excuses, on pardonne, on fait grâce et on trace de nouvelles voies.

Après le démêlage, je pense qu’il est important, dans notre processus de guérison, de se soutenir mutuellement avec grâce. Beaucoup de grâce.

La conversation doit porter sur la question suivante : « Pourquoi ne nous laisse-t-on pas d'espace ? » La réponse est souvent : Elles ne nous laissent pas d'espace parce qu'elles ont été socialisées dans une société qui pense que lorsqu'on est jeune, on ne sait rien. C'est ainsi qu’elles ont grandi et influencé leurs processus. Personne ne les a écoutés lorsqu'elles étaient plus jeunes. Même inconsciemment, ce traumatisme subsiste, et cela affecte les espaces dans lesquels nous nous engageons. 

Nous pouvons donc nous émerveiller de leurs connaissances et de l'immense travail qu'elles ont accompli, tout en les considérant comme des personnes en train de démêler les complexités de leur vie. Et elles souhaitent simplement ce que nous voulons toutes : la liberté et l'émancipation. Je pense que c'est ce à quoi ce mouvement ressemble pour moi. 

Quelles opportunités vois-tu ou quelles opportunités pouvons-nous créer pour faciliter cette guérison, ce pardon, cette création d'un espace de grâce et aller de l'avant vers la libération ? 

L’accompagnement ! Je pense que le mentorat représente une grande opportunité. Je parle ici d'un mentorat délibéré qui nous permet d'écouter l'histoire de l'autre, même à un niveau personnel. Je pense qu'entendre l’histoire d’une personne l’humanise. Nous pouvons créer différentes plateformes pour être encadrées. Dans le mentorat, il n'y a pas que la personne plus âgée qui vous comble, vous la comblez aussi. C'est aussi vous qui la comblez. 

Deuxièmement, je pense qu'il y a tellement de possibilités de documentation. Nous devons tous nous documenter, effectuer un travail d'archivage, un travail de mémoire, retourner dans nos communautés et nous engager auprès de ces femmes âgées et écrire tout ce qu'elles nous donnent. Numérisons leurs histoires. Intégrons-les dans les espaces pour que les gens puissent s'y intéresser. Formons des partenariats avec les institutions de la mémoire dans nos différents pays, nos différentes communautés, pour voir comment amplifier le travail effectué par ces institutions de la mémoire. 

Il existe d’après moi, de nombreuses possibilités, mais aussi des possibilités de financement. Comment pouvons-nous créer des espaces de collaboration où nous recevons des fonds pour réaliser tous ces projets dont nous parlons ? Nous laissons toujours de côté la question du financement. Si vous n'avez pas accès au financement, peu de travail sera réalisé, notamment dans l'économie actuelle. C'est une conversation qui doit avoir lieu. Comment s'en assurer ? Comment rémunérer ces voix que nous disons vouloir légitimer ? Car je ne pense pas que les orateurs du Nord parlent gratuitement, si ? Ainsi, pourquoi ne pas rémunérer le travail de ma grand-mère, lorsqu'elle partage et m'enseigne des choses? Cela fait partie du travail de légitimation de la voix des gens, des systèmes de connaissance et de la production de connaissances. 

Parle-moi de ton travail actuel au Burkina Faso et de la manière dont il s'inscrit dans ton parcours féministe et dans tous les sujets que nous avons abordés. 

Je travaille actuellement pour le Centre de l'Union africaine pour l'éducation des filles et des femmes en Afrique, l'UA/CIEFFA, dont le siège se trouve ici, à Ouagadougou, au Burkina Faso. J'occupe actuellement le poste d'analyste de recherche sur le genre. En ce qui concerne le travail politique effectué ici, nous examinons les chiffres et les données qualitatives sur l'éducation des filles sur le continent. Quels sont les modèles et les tendances que nous observons afin de les intégrer dans les politiques lorsque nous élaborons des stratégies sur la nécessité pour les gouvernements d'investir dans l'éducation des filles en Afrique ? 

Nous connaissons également le problème des données en Afrique. Nous n'avons pas accès à des données fiables et cohérentes. Nous ne pouvons donc pas dresser un tableau réel et précis de la situation. Mais maintenant, nous considérons qu'en l'absence de statistiques, c'est le récit qualitatif qui compte. Quelles sont les voix des personnes sur le terrain ? Comment pouvons-nous amplifier ces voix pour inciter les gouvernements, les États membres à ramener les filles à l'école ? C'est mon travail actuel. 

Tu n'y es que depuis un an environ. Y as-tu trouvé un espace féministe ? 

Je ne parle pas français, et il est donc très difficile de nouer de véritables liens avec les gens d'ici, car c'est un pays francophone. La langue est un outil tellement puissant, non seulement pour la communication, mais aussi pour la communauté. Malheureusement, je n'ai pas encore réussi à créer de liens. 

Nous sommes sur le point de conclure notre conversation. Y a-t-il des sujets que tu souhaites partager et que nous n'avons pas abordés ? 

Oui, je pense que dans la discussion sur le féminisme intergénérationnel, une forte guérison collective doit se produire. Il y a un besoin de repos collectif, de joie collective et d'amour collectif également. Et à quoi ressemble cet amour ? Il s'agit de l'amour de la communauté et de l'amour de soi, car l'amour de soi inclut la discipline, l'intégrité, la responsabilité et le fait d'être guidé par des principes féministes éthiques. Je sais que nous définissons ces principes pour nous-mêmes, mais il est également nécessaire de définir collectivement les principes féministes qui nous guident. 

Je souhaite ce soft-landing pour nous toutes. Je pense que nous méritons de rayonner. Nous nous battons, mais nous rayonnons parce qu'il y a de la joie, de l'amour, de la paix et tellement de choses qui se passent. Nous méritons tous cela dans nos espaces individuels, mais aussi dans le collectif. Nous portons beaucoup de traumatismes générationnels. Les voix de nos arrière-arrière-grands-mères qui n'ont pas pu s'exprimer et leurs rêves qui n'ont pas pu se réaliser à cause de la façon dont le système les a étouffés sont traumatisants, d'un point de vue générationnel. 

Il est crucial que nous soyons la génération qui mettra fin au traumatisme, ou du moins qui allègera le fardeau. Je ne veux pas que mes enfants portent le même fardeau que moi. J’estime que la guérison est un mécanisme qui fonctionne – guérison du cerveau, de l'esprit, de l'âme, du cœur et du corps. Manger sainement, s'hydrater pendant que l'on fait ce travail, se reposer, se présenter apaisée autant que possible, non ? Je pense que c'est très, très important. 

Tu as parlé d'éclat et depuis le début de notre entretien, je voulais qu’on parle de ton rouge à lèvres rouge. C’est un style unique que tu arbores et il est sublime ! Je suis d'ailleurs surprise de te voir sans aujourd’hui. [rires]  Quelle est l'histoire derrière ce look ? 

Rien de particulier ou de symbolique. J’ai simplement flashé dessus rien de plus. J'ai juste aimé. J'aime bien la mode. C’est sympa. 

T’arrive-t-il de te sentir obligée de concilier ce joli look « je suis là, je suis à la mode » avec l'idée que les féministes ne sont pas belles ? 

En réalité, je suis devenue stylée en raison de ma conciliation. J'ai obtenu une bourse de la Fondation Mandela Rhodes (FMR), qui organise quatre ateliers de développement pour ses boursiers - sur le leadership, l'éducation, l'esprit d'entreprise et la conciliation. La question était de savoir ce que nous voulions réconcilier intérieurement. J’ai répondu : « Je veux être douce et mignonne ». Une fois de plus, je vais rendre hommage à mon amie Iris, car nous avons eu de nombreuses conversations à ce sujet. 

J'ai grandi comme un garçon manqué. À l'époque, je pensais que c'était un choix, mais ce n'était pas vraiment un choix. J'étais un garçon manqué parce que je voulais ressembler aux garçons. Je me suis rendu compte qu'ils ne me tourmentaient pas autant qu'ils tourmentaient les autres filles avec lesquelles nous jouions. J'essayais donc de me protéger en devenant un garçon manqué. C'était ma signature : les pantalons larges. Plus tard, en suivant le processus de la FRM, j'ai réalisé que j'aimais vraiment jouer avec la mode. Je veux des boucles d'oreilles originales. Je veux le rouge à lèvres rouge. Je veux les nuances. Je veux la jolie robe. La réconciliation m'a donc permis de savoir que je pouvais rester féminine tout en faisant ce travail, parce que c'est aussi une façon de faire face à la représentation erronée de ce qu'est le féminisme. 

Et pour terminer, dis-moi quelle est ta devise féministe pour la vie ? 

Je sais que c'est un cliché, mais c’est réellement « Le privé est politique ». Je m'en inspire beaucoup, car même lorsque je me dis qu'il ne s'agit que de mon expérience personnelle dans la maison, je me rends compte qu'elle est liée à la politique. 

Mais si j'ai de la place pour une autre chose, c'est le souvenir que le féminisme m'a donné des mots pour exprimer mes pensées. Et de fait, j'ai eu l'impression de respirer. Et quand on respire, on est vivant. C'est donc ma devise féministe : naviguer, démêler et donner du sens en permanence et, ce faisant, respirer. C'est ainsi que je peux avancer dans le monde. 

Je l'adore. Merci beaucoup, Lorato. Je suis vraiment ravie d'avoir pu avoir cette conversation avec toi. 

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« Nous ne devons à personne une version aseptisée du féminisme » – Lorato Palesa Modongo (Botswana) 4/5

Nous nous entretenons avec Lorato Palesa Modongo, féministe et psychologue africaine originaire du Botswana. 

Dans notre série de conversations sur la construction du mouvement féministe africain intergénérationnel, nous avons exploré l'éveil féministe de Lorato dès son jeune âge (partie 1), sa formation et ses expériences en tant que psychologue sociale (partie 2), ainsi que ses pensées et ses expériences dans les mouvements et les espaces féministes africains (partie 3). Dans cette partie, nous entrons dans le vif du sujet de la construction d'un mouvement féministe intergénérationnel, Lorato partage ses observations sur les tensions qui entravent parfois le progrès, ainsi que les solutions possibles pour améliorer la situation. 

**********

Passons maintenant à la construction du mouvement féministe tel que tu l’as vécu au Botswana et en Afrique. Il y a de nombreux réseaux dans lesquels tu es engagée et dont le travail contribue à notre mouvement collectif. Que penses-tu de la construction du mouvement féministe sur le continent ? 

Je pense qu'il y a là un fort potentiel de changer les choses. Je pense qu'il y a un espace pour cette organisation collective, et un espace pour que nous puissions penser à différentes façons de la mettre en œuvre. Le fait qu'il s'agisse d'un mouvement collectif ne signifie pas qu'il y une seule façon de procéder. Cela signifie que nous apportons différentes manières d'organiser nos expériences, nos défis et nos meilleures pratiques, afin de donner un sens aux complexités que nous apportons, de faire face aux contradictions violentes auxquelles nous sommes confronté.e.s et de trouver des solutions. C'est un peu difficile, mais je pense que nous avons la possibilité de  nous améliorer, et c'est là que l'intersectionnalité entre en jeu. 

Nous ne pouvons pas construire le mouvement si nous ne remettons pas en question le classisme et nos privilèges. Je pense que le mouvement a la possibilité de se développer, mais il y a également la possibilité de réfléchir profondément à nos propres contradictions. Et de se demander : « À quoi ressemble le féminisme africain pour nous ? » Je sais qu'il existe la Charte du féminisme africain et je l'aime beaucoup. Lorsque j'ai vu le document pour la première fois, je me suis dit : « Oh, j'adore ça ». Mais il faut aussi redéfinir en permanence à quoi cela ressemble pour nous. Aujourd'hui, nous avons la génération Z, avec les réseaux sociaux et les espaces numériques utilisés pour l'organisation. Où allons-nous ? Que disons-nous ? Je pense que nous avons de nombreuses possibilités d'évoluer et de faire face à nos défis et à nos privilèges, et de reconnaître nos lacunes.

Le mouvement féministe Africaine a la possibilité de se développer, mais il y a également la possibilité de réfléchir profondément à nos propres contradictions.

Nous reviendrons sur la question de la confrontation avec les domaines dans lesquels nous ne sommes pas performants. Tu as parlé des générations. D'habitude, on parle beaucoup de cette tension persistante entre les générations. Quelles ont été tes observations dans ces espaces en tant que jeune féministe engagée avec des personnes qui ont probablement fait ce travail avant même ta naissance, mais aussi avec des personnes plus jeunes ? 

Je commencerai peut-être par mon lieu de travail. C'est grâce au travail féministe que les femmes ont dû assumer des rôles de décideurs. Cependant, les personnes opprimées, pour fonctionner dans un système oppressif, ont tendance à imiter les comportements de l'oppresseur comme mécanisme d'adaptation. Et il s'agit là des générations qui se sont succédé. Elles avaient fait le travail nécessaire pour accéder à ces espaces, mais maintenant elles y sont et pour fonctionner dans ce système patriarcal, elles doivent imiter les comportements patriarcaux pour être perçues, validées ou même légitimées en tant que leaders. Ainsi, les outils qu'elles utilisent pour diriger ne sont pas nécessairement des outils libérateurs. C'est parce que c'est ce dont elles disposaient pour survivre. Par exemple, le fait d'accepter d'être « douce » a pu être considéré comme une faiblesse pour elles en tant que « leaders féminines ».

Mais nous reconnaissons également les répercussions de la douceur. Et la douceur dont je parle est la gentillesse, la compassion et la vulnérabilité. Elle consiste à se fixer des limites et à s'honorer en tant que personne. Il s'agit de s'apprécier, de se voir et d’avoir une haute estime de soi tout en restant ferme. C'est ce que nous entendons par « adoucissement maitrisé ». Mais elles n'ont pas pu le faire. Parce que le monde aurait dit : « Vous voyez pourquoi nous n'amenons pas les femmes à diriger. Maintenant, elles viennent ici avec leurs émotions sensibles. Qu'est-ce que la compassion ? Vous ne pouvez pas faire preuve de compassion à l'égard de vos travailleurs. Vous devez être méchant pour prouver que vous êtes un.e patronne/patron/chef/cheffe ferme ». Ce n'est qu'un exemple de comportement sur le lieu de travail, mais c'est ainsi que ce système fonctionne. En tant que jeune génération, nous savons qu'il est possible de faire preuve de compassion à l'égard des gens tout en les obligeant à rendre des comptes. Plusieurs vérités et émotions peuvent exister en même temps. 

Et avec grâce, je dois le dire. 

Beaucoup de grâce. Et en me rappelant que je peux en faire autant pour moi- même. Je peux me demander des comptes et même me réprimander, avec grâce. Ce sont les nouvelles conversations autour de la vulnérabilité et de l'honneur que nous nous rendons à nous-mêmes. 

L'autre problème que je constate, c'est que la forte personnalité des jeunes féministes perturbe en quelque sorte les féministes plus âgées. Elles se disent : « Non, peut-être qu'il ne faut pas trop bousculer le système, parce qu'il faut être diplomate ». Et je comprends cela, mais pourquoi être diplomate et conciliante avec un système qui ne l'est pas avec vous ? Le patriarcat ne sera jamais gentil avec vous. Le jour où le patriarcat décide « toutes les femmes », ce sont toutes les femme effectivement subissent les conséquences. Il ne se soucie même pas de savoir si, en 1992, vous avez été gentille et diplomate. 

Il n'y a pas vraiment de distinction entre les « bonnes » femmes et celles qui sont considérées comme « mauvaises ». 

Il n’en fait aucune. Le patriarcat s’attaquera à la femme qui cuisine à la maison 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, de la même manière qu'il s’attaquera à celle qu'il qualifie de « pute ». Il n'y a pas de filtre. Et je pense que c'est ce que je vois... Les générations plus âgées pensent que nous devons nous rabaisser gentiment et faire preuve de diplomatie afin d'être acceptables. 

Il y a quelque temps, j'ai eu une conversation avec l'une des femmes les plus âgées. Elle m'a dit : « Je ne suis pas à l'aise avec ce mot, avec ce truc féministe. Il me met mal à l'aise parce qu'il fait fuir les partenaires en leur faisant croire que nous détestons les hommes. Et je pense qu'il est important pour nous d'articuler continuellement que nous avons besoin d'hommes dans ces plateformes. Nous avons besoin d'hommes parce que c'est ainsi que les gens s'identifieront davantage à notre travail ». Et je lui ai répondu ce que je vous ai dit maintenant, qu'il s'agit d'un travail féministe. Et les gens doivent voir le travail féministe comme étant exactement ce que nous faisons aujourd'hui. Nous ne devons à personne un féminisme aseptisé. 

Je pense que c'est un problème pour moi. La génération plus âgée... celles avec qui je me suis engagée, veulent le bon paquet. Ils veulent de la diplomatie, de l'aseptisation et des négociations à outrance. Mais on ne peut pas négocier avec son oppresseur. [rires] Négocier quoi ? Il ne négocie pas votre vie. Lorsque des lois et des règlements sont adoptés, les gens ne négocient pas votre vie. Lorsque les filles sont contraintes à des mariages précoces, à des mutilations génitales féminines, qu'elles sont forcées de quitter l'école, qu'elles sont violées, qu'elles n'ont pas le droit d'accéder à l'espace politique, personne ne négocie. Alors pourquoi devriez-vous négocier dans votre combat, votre résistance, votre organisation et votre contestation ? 

Qui plus est, comment négocier quand on n'est pas au même niveau et qu'on n'a pas le même pouvoir ? 

Tout à fait. Voilà donc quelques-unes des principales contradictions que j'ai observées dans le travail. Mais j'aime les leçons parce qu'elles nous transmettent « nous sommes passés par là nous aussi ». Et elles ont gagné. Je veux dire que la génération de Pékin et tant d'autres mouvements ont gagné de bien des façons. Même à l'époque précoloniale, elles ont gagné. Comment y sont-elles parvenu et que pouvons-nous apporter ? Peut-être ont-elles raison, et il y a certaines choses que nous devons faire. Mais il se peut aussi que nous ayons raison sur certains points. Je pense donc que nous pouvons nous inspirer mutuellement. 

Il y a donc des différences générationnelles liées à l'âge, mais au sein du mouvement, il y a aussi des différences générationnelles liées au début du parcours ou au moment où l'on a commencé à travailler. Qu'avez-vous observé à cet égard ? 

Ces éléments existent bel et bien. Tant que vous reconnaissez le sexisme, mais que vous ne reconnaissez pas l'âgisme, il y a un problème. Maintenant, vous voulez que je vous respecte et vous voulez avoir du pouvoir simplement parce que vous êtes plus âgée ou parce que vous êtes dans le mouvement depuis plus longtemps ? Il y a aussi la (dé)légitimation de la voix des personnes en fonction de leur ancienneté dans le mouvement. Mais nous savons que les gens peuvent être dans le mouvement plus tôt ou plus tard en fonction de leur agence. 

Je pense qu'il est important que nous nous souvenions que le fait d'être dans des espaces féministes ne signifie pas que ces questions de dynamique de pouvoir n’existent pas. Cela ne signifie pas que le problème de pouvoir est éliminé simplement parce que nous sommes féministes, parce que les dynamiques de pouvoir se déplacent dans des poches différentes. Nous pouvons être dans un espace féministe, mais qui est le/la plus riche ? Qui s'exprime le mieux ? Qui est dans le mouvement depuis longtemps ? Qui a étudié à Oxford ? Qui a fréquenté l'une des institutions anonymes du continent ? Ainsi, le démêlage du pouvoir sera toujours présent, même dans les mouvements féministes. Savoir que le pouvoir ne cesse pas d'exister simplement parce que nous sommes dans des espaces féministes si nous ne nous confrontons pas à d'autres espaces où se trouve le pouvoir. Il s'agit donc d'une question importante. La question de l'âgisme, du validisme, de la hiérarchie, du pouvoir, de la voix légitime en raison de l'âge, et maintenant de la longévité de vos expériences. 

Dans certains espaces, nous entendons des féministes plus âgées décrier la question de l'effacement et l'utiliser comme un moyen de s'accrocher au pouvoir qu'elles ont réussi à avoir parce qu'elles ont l'impression que les générations suivantes tentent d'effacer le travail qu'elles ont accompli. Comment créer un équilibre concret ? 

Je pense à deux choses. Chaque génération doit être autodéterminée. Quels sont vos problèmes actuels ? À quoi êtes-vous confrontés ? Quels sont les outils dont vous disposez aujourd'hui ? Que pouvez-vous faire pour affronter les problèmes qui se posent à vous ? 

Alors peut-être que dans le processus d'autodétermination, je reconnais que les autres générations ont oublié le travail, mais je ne pense pas qu'il s'agisse d'un exercice délibéré pour les effacer. Je pense que c'est à cause de la représentation et de la documentation, et tout cela est lié à tant d'autres choses. Pourquoi ne lisons-nous pas nos douleurs féministes dans nos espaces ? C'est une raison politique, pour que vous pensiez que vous avez commencé les choses ; vous ne connaissez pas les outils qui existent ; vous ne savez pas le chemin que les gens ont parcouru ; vous n'avez pas l'énergie renouvelée et l'esprit neuf pour mener le combat, et pour honorer les personnes qui ont fait le travail avant vous. Vous êtes donc comparable à un hamster sur une roue. 

L'effacement des voix, des connaissances, des visages et même des noms des personnes doit être délibéré. Je ne pense pas que les jeunes féministes effacent dans le but d'effacer. Mais je pense que les jeunes générations utilisent désormais les outils dont elles disposent pour capturer, en temps réel, les voix des féministes, mais aussi pour creuser, rechercher et faire un travail de mémoire. Elles font également un travail d'archivage pour dire : de qui nous souvenons-nous ? Comment nous souvenons-nous d'elles ? Quand nous souvenons-nous d'elles ? Et quel est le but du souvenir et de la mémoire ? Et nous faisons tout notre possible pour les remettre dans le domaine public. 

Existe-t-il des exemples qui le démontrent clairement et qui pourraient servir d'inspiration pour aller de l'avant et dépasser cette tension ? 

Je me souviens que lorsque Winnie Mandela est décédée et que la nouvelle a été annoncée, les médias occidentaux ont annoncé que « la méchante n'était plus là ». Grâce aux réseaux sociaux et à d'autres plateformes numériques, le mouvement féministe du continent s’est levé et a dit « Non, pas cette fois ». J'ai vu la vague des médias occidentaux passer à la Winnie que nous avons appris à aimer et conserver les contradictions qu'elle représentait. J'ai vu l'émerveillement de son être et de son travail, ainsi que certains points que nous contestions à propos de ses prétendues actions. Le fait de la voir représentée et honorée de la sorte a été un moment très fort. 

C'est ainsi que l'on honore, que l'on se souvient des femmes qui nous ont précédé dans cette mission et qui sont propulsées dans le domaine public. Je pense que c'est ce que les jeunes générations font aujourd'hui avec les outils dont nous disposons. Je pense que nous essayons de faire le tri. C’est le cas pour moi. J'aime découvrir les travaux de nombreuses féministes plus anciennes, notamment au Botswana, les travaux intellectuels du Dr Godisang Mookodi, du Dr Sethunya Mosime et de bien d'autres. 

Dans la dernière partie de cette conversation, Lorato parle de la guérison personnelle et collective pour soutenir nos mouvements, de son travail actuel avec l'Union africaine et de son chemin vers l'auto-réconciliation. Cliquez ici pour lire. 

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« Penser aux progrès déjà réalisés grâce à mes prédécesseurs me donne du courage » – Lorato Palesa Modongo (Botswana) 3/5

C’est la troisième partie de notre entretien avec Lorato Palesa Modongo, une psychologue féministe africaine originaire du Botswana. 

Dans notre série de conversations sur la construction du mouvement féministe africain intergénérationnel, nous avons exploré l'éveil féministe de Lorato dès son plus jeunes âge (Partie 1), sa formation et ses expériences en tant que psychologue sociale (Partie 2). Nous allons maintenant explorer ses pensées et ses expériences dans les mouvements et les espaces féministes africains. 

********** 

Nous avons parlé de la construction de l'avenir que nous méritons et de ce à quoi cela ressemble pour toi. Tu es activement impliquée dans différents espaces féministes dans le cadre de ton travail. Quelle a été ton expérience ? 

L'expérience est une myriade d'émotions. Je crois que le monde peut parvenir à un changement positif parce que nous l'avons vu. Qui aurait pu imaginer que deux femmes noires puissent être en train de discuter en ce moment même, deux femmes africaines échangeant des idées ? Nous pouvons partager publiquement nos pensées et affirmer nos ambitions sans craindre de réactions négatives. Nous allons à l'école, nous votons et nous nous présentons aux élections. Je sais donc que les êtres humains ont la possibilité et la capacité de changer le monde. Cela m'aide lorsque je me sens fatiguée et vidée. Même dans les moments où je me sens désabusée et où j'ai l'impression qu'il n'y a pas de progrès, penser aux progrès déjà réalisés par mes prédécesseurs me donne le courage de penser qu'un jour, dans cent ans, notre travail aura de l'importance. C'est donc utile. 

À quoi ressemble cette reconnaissance ? S'agit-il d’un travail interne sur soi ou également d'une reconnaissance externe qui va aux personnes qui ont tracé la voie ? 

Oui, cela va dans les deux sens. Elle est interne, je garde constamment à l’esprit le travail réalisé auparavant et je m'en imprègne. C'est aussi reconnaître les voix qui ne sont peut-être pas légitimées en tant que sources de connaissances. C'est observer les femmes dans les villages qui font ce travail et reconnaître que même si elles ne se disent pas féministes, même si elles ne qualifient pas leur travail de travail féministe, je suis capable de voir qu'il s'agit bien de cela. C'est la reconnaissance interne. 

La reconnaissance externe se traduit par quelque chose d'aussi simple que de rendre hommage à leur travail et de l'incorporer dans notre propre travail pour montrer aux gens que ce que je ressens et ce que je pense n'est pas nouveau. Je l'exprime peut-être différemment, mais ce n'est pas nouveau. D’autres ont ressenti et réfléchi à ces questions et ont réalisé des travaux que vous n'avez peut-être pas vus pour des raisons évidentes, notamment un manque de documentation, et c'est pourquoi je dis que des plateformes comme celle-ci sont très importantes. Personne ne pourra dire dans 50 ans qu'il n'y avait pas une seule femme qui documentait le travail en Gambie, alors qu'on peut le trouver sur Google et voir que Jama Jack faisait ce travail. C'est pourquoi nous sommes reconnaissant.e.s de bénéficier d’espace tel que celui-ci. La reconnaissance externe s’ajoute aussi à nos réseaux de pairs, qui se reconnaissent les uns les autres dans nos espaces. 

Tu dis que ton expérience a été un mélange d'émotions. Peux-tu m'en dire plus à ce sujet? 

Nous sommes humains. Nous sommes fatigué.e.s, mais cela fait partie de l'expérience humaine, en particulier lorsque l’on interagit beaucoup et que l’on est exposé au travail, car tout le monde ne se lance pas dans le travail avec de bonnes intentions. Nous devons reconnaître que chaque mouvement a ses propres victoires et ses propres défis. Je pense qu'il y a parfois une désillusion et une question qui se pose : « Est-ce que cela en vaut la peine ? Pourquoi ne puis-je pas simplement regarder ces choses et les ignorer comme tout le monde ? Malheureusement, je ne suis pas fait.e pour cela. Je ne peux pas voir la pauvreté et l'ignorer, surtout quand je sais qu'il y a assez de ressources pour nous tous. Il y a donc cette contestation, cette désillusion, cette colère parfois, cette perte d'espoir. Mais la beauté de la chose, c'est que grâce à la communauté que j'ai construite, nous partageons des idées et nous réfléchissons de manière authentique et ouverte les uns avec les autres. 

Selon toi, quel a été le principal enseignement de ces réflexions à titre individuel, mais aussi en tant que membre de la communauté qui t’entoure ? 

Une très bonne amie, Iris, m'a beaucoup aidée. Elle m'a appris à considérer le repos comme un acte de résistance féministe délibéré. Le capitalisme exige que vous soyez épuisée et que vous n'ayez plus la force de lutter contre quoi que ce soit. Vous êtes alors épuisée, vous ne pouvez plus rien donner et le mouvement s'éteint. C'est comme ça que le patriarcat progresse et prend de l'ampleur. Il est donc important de considérer le repos comme une forme de résistance. Prenez le temps de revenir à la source, à votre pourquoi, à la façon dont nous pouvons collectivement nous organiser de différentes manières, mais aussi de vous reposer et de ne penser à rien. 

Je me suis rendue compte que j'aimais les plans d'eau. Ils m'intimident, mais il y a aussi quelque chose qui me guérit. Alors parfois, mon repos consiste à aller à la plage, à prendre des vacances dans un pays où il y a une plage et à m'y reposer. Je suis minuscule, insignifiante face à tout cela. Mais je suis aussi important parce que je peux faire une petite différence. 

Et enfin, je pense que c'est simplement le fait de savoir que nous aurions essayé. L’activisme apporte donc tout cela. La colère, la désillusion, la confiance renouvelée, l'apprentissage, le courage, mais aussi la perte. C'est le chagrin parce que nous perdons certaines choses au cours de notre voyage, mais c'est aussi le chagrin collectif. 

Qu’as-tu déjà peut-être perdues et dont tu fais peut-être encore le deuil ou dont tu as fait le deuil lors de ton voyage ? 

Je pense qu'il s'agissait de certaines parties de moi-même. Si je rencontre de nouvelles parties de moi-même, cela signifie que les anciennes parties disparaissent ou sont reconstruites. Certaines parties devaient disparaître. J'ai perdu des amitiés où les gens se sentaient peut-être à l'aise pour plaisanter sur des sujets comme le viol. Je ne plaisante pas avec ça. Il y a donc eu une période douloureuse parce que j'avais l'impression de devoir constamment être une rabat-joie. C'était douloureux à l'époque, mais ça ne l'est plus aujourd'hui. Il fut un temps où je me cachais, où je diminuais. Et je pense que j'ai fait mon deuil de cette partie, parce que je me suis trompée moi-même. J'aurais pu saisir certaines occasions, mais je ne l'ai pas fait parce que j'étais timide. Et j'en suis désolée pour cette version de Lorato. 

Mais il y a aussi le chagrin collectif, car vous voyez que les femmes sont confrontées à la même situation. Vous lisez des articles sur les agressions sexuelles, sur les viols, sur leurs ambitions politiques, sur ceci, sur cela. Et vous voyez que c'est un peu la même chose, dans le chagrin collectif. Mais la joie collective aussi. Oui, la joie collective... 

Parlons-en ! Comment fais-tu de la place pour la joie, pour toi-même, mais aussi dans les espaces féministes dans lesquels tu te trouves et qui peuvent parfois devenir très sérieux, très techniques, mais aussi très enracinés dans la colère ? 

Tu sais, quand nous disons qu'il y a tant de pouvoir dans le fait de nommer les choses, je pense que cela nous libère et nous soulage, et il y a de la joie dans cela, parce que la tension liée au fait que nous ressentions ces émotions sans pouvoir les exprimer disparaît. Lorsque vous les exprimez par des mots, vous respirez, et c'est une source de joie. Il y a tant de joie à pouvoir s'exprimer. 

C'est aussi la capacité de supporter le mauvais et le bon en même temps, et de dire : à quoi ressemblent la justice, la liberté, la démocratie et la joie pour moi ? C'est être capable de rêver à des avenirs féministes et savoir que cette imagination est source de joie. C'est savoir que je peux partager cette imagination avec mes ami.e.s, et qu'il.elle.s peuvent partager leur imagination avec moi, et que c'est rempli de joie. Je pense donc que le simple fait de pouvoir partager aide beaucoup, mais aussi le simple fait de pouvoir lire les histoires de réussite. 

Je me souviens, au Botswana, de l'une des jeunes féministes que j'admire, Bogolo Kenewendo. Elle a été ministre du commerce et de l'investissement au Botswana. Elle a toujours beaucoup œuvré en faveur de la justice sociale et a été une source d'inspiration pour beaucoup d'entre nous. Elle était audacieuse, courageuse et sûre d'elle. Aussi, sa nomination en tant que ministre, n'a surpris personne. Elle a toujours fait ce qui devait être fait. Et en tant que ministre, elle remplissait sa mission, en articulant les questions de justice sociale, et il y avait tellement de joie dans cela ; dans le fait de voir une jeune femme à l’œuvre et les résultats de son travail. Ainsi, lorsque nous documentons et recueillons des voix, je pense qu'il y a beaucoup de joie à découvrir qu' un fil qui nous lie. Et nous disposons actuellement, et nous aurons les outils pour défier quelque peu le patriarcat. 

Dans la quatrième partie, Lorato partage ses observations sur les tensions qui entravent parfois le progrès, ainsi que des solutions possibles pour combler le fossé. A lire ici. 

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« La liberté pour moi, c’est de ne pas avoir à expliquer ses choix » – Lorato Palesa Modongo (Botswana) 2/5

Nous poursuivons notre entretien avec Lorato Palesa Modongo. Lorato est une féministe africaine originaire du Botswana. Elle est psychologue et s’intéresse à la psychologie sociale, le milieu universitaire, la recherche qualitative sur la violence sexiste, la décolonialité et les féminismes africains. Lorato est dotée de compétences et de connaissances dans ce domaine depuis plus de sept ans. 

Dans la première partie de cette conversation, Lorato a partagé avec Jama Jack son parcours féministe. Dans cette deuxième partie, nous explorons de manière plus approfondie sa formation et ses expériences en tant que psychologue sociale et le lien entre ces dernières et son travail et ses actions en qualité de féministe africaine. 

**********

Nous allons donc nous pencher sur ton parcours éducatif. Pourquoi t’es-tu orientée vers la psychologie ? 

J’ai quatre raisons principales ! Initialement, je voulais étudier le droit. J'ai grandi en résistant, en me battant, en disant non aux gens. Et le plus beau, c'est que j'ai bénéficié d’un espace pour m’exprimer à la maison. Même si les rôles des hommes et des femmes étaient bien établis, il y avait de la place pour la curiosité et pour le fait de dire non. J'ai donc postulé en droit et, malheureusement, je n'ai pas été admise à la faculté de droit. J'étais vraiment triste parce que j'avais centré mon existence sur le fait de devenir avocate. Je me suis demandé ce que j'allais bien pouvoir faire. Quel serait mon prochain choix. À l'époque, beaucoup de gens s’orientaient vers des études d'économie parce que le président du Botswana était économiste. Il s'en sortait très bien et il était toujours présent sur les tribunes internationales pour parler de développement. Alors tout le monde voulait en faire autant. Je me suis donc dit d'accord, je vais essayer et je me suis inscrite en économie et les calculs... hmmmm [Rires]

Tu t’es donc dit « Ça n’est pas pour moi » ?

Je me suis dit : « Je ne vais pas faire ça ». Tous.tes les étudiant.e.s en économie devaient donc suivre le cours "Introduction à la psychologie", et il y avait une jeune femme qui venait d'arriver des États-Unis. Le Dr Mpho Pheko. Elle était très brillante, énergique, confiante, expérimentée, élégante et s'exprimait bien. Et elle ne se laissait pas faire par les étudiants. Nos cours se déroulaient dans de grands auditoriums où il y avait environ 200 étudiant.e.s et cela ne l’intimidait pas. Je le mentionne parce qu'elle avait l'air très jeune, ce qui m'a semblé très intéressant. Nous avons échangé et elle m'a expliqué ce qu'était la psychologie. C'est le deuxième élément : la représentation. J’ai vu quelqu'un à qui je m'identifiais et qui m'inspirait.

Troisième aspect, plus j'avançais dans ce domaine, plus je réalisais qu'il affirmait la curiosité dont je parlais, la curiosité, la compréhension du comportement humain. Il s'agissait de donner un sens aux choses qui se produisaient et de donner un sens au monde.  Ce fut un moment très fort pour moi. 

Le quatrième aspect était en grande partie d'ordre spirituel. Je rêve beaucoup quand je dors. Mon grand-père est venu me voir en rêve et m'a dit : « Tu dois étudier la psychologie », et il m'a donné des raisons logiques de le faire. Étant donné que mon grand-père ne savait pas ce qu'était la psychologie à l'époque, il était intéressant que dans le rêve, il m'explique les raisons pour lesquelles je devais travailler dans ce secteur. Lorsque je lui en ai parlé des années plus tard, il m'a dit : « Tu sais que mon grand-père m’est aussi apparu en rêve pour me dire que j'allais faire ce que je fais maintenant ? »

Waouh ! Sérieusement ?

Oui ! C’est l’aspect spirituel des choses. Ce sont mes quatre raisons. J’ai été rejetée par ma première passion : le droit. J’ai vu une personne que j’admirais à l’œuvre, il y a donc une représentation. C’était également un espace disponible pour exprimer ma curiosité et comprendre le comportement humain. Et enfin, il y a l’aspect spirituel de tout ça. Je considère que j’ai été appelée à travailler dans ce domaine.

C'est incroyable. Et comment s'est déroulé le parcours qui t’a mené de tes études à ton activité professionnelle actuelle ?

Ça a été un parcours magnifique et gratifiant. Au quotidien, je n'ai pas l'impression de travailler, mais de découvrir de nouveaux aspects de ma personnalité, de nouveaux aspects du travail et de trouver des moyens pour m'améliorer, mais aussi d'améliorer la communauté, la société, à tous les niveaux, notamment à l’échelle mondiale. Je pense que le plus bel outil que ce parcours m’a donné c’est de trouver les mots pour articuler les contestations internes, parce que... Tu sais quand vous pouvez nommer les choses et le pouvoir qui vient avec le fait de pouvoir les nommer ? 

Je sais parfaitement ce que ce pouvoir fait ressentir et ce qu’il bouscule dans l’esprit.

C'est ce qui fait sa beauté. Il y a de nombreux aspects avec lesquels je suis en désaccord. Le regard colonial sur le domaine, ou l'occidentalisation si l'on veut s'exprimer ainsi. Par exemple, l’un des angles les plus élémentaires : l’usage dans la psychologie clinique de manuels de diagnostics pour identifier les problèmes de santé mentale dont sont atteints les patient.e.s. Bien sûr, c’est un aspect non-négligeable, mais qui laisse complètement de côté l'aspect spirituel et les connaissances indigènes des Africains. Elle ignore que les Africains sont aussi des êtres spirituels. Parfois, les gens ont des hallucinations, non pas parce qu'ils sont schizophrènes, mais parce qu'ils sont appelés à effectuer un travail ancestral, un travail de guérison ou tout autre type de travail. Ils entendent des voix, voient des choses. Tout ce dont ils ont besoin, c'est de faire ce qu'ils croient devoir faire, et alors tout va bien. Mais si la psychologie les diagnostique comme schizophrènes, cela signifie que nous utilisons un regard colonial et que nous essayons de mettre ces personnes dans des institutions psychiatriques dans une boîte selon les règles coloniales, et cela me pose problème. 

Je pense que la raison pour laquelle nous avons besoin davantage de psychologues africain.e.s est d'articuler ces contestations et de confronter l'industrie, mais aussi de trouver de nouvelles façons de penser et d'imaginer les questions sociétales. Je pense que c'est la beauté de la chose; même si je ne suis pas d'accord avec certains éléments de la discipline de la psychologie en tant que domaine en Afrique, je pense que c'est une opportunité pour nous de créer des connaissances, de réimaginer le comportement humain et de créer de nouvelles façons de donner un sens au monde.

La psychologie clinique laisse complètement de côté l’aspect spirituel et les connaissances indigènes des Africains. Elle ignore que les Africains sont aussi des êtres spirituels.

À quoi ressemblerait la création de connaissances dans ce sens ? Qui crée cette connaissance, et pour qui ?

Je dois préciser qu'il ne s'agit pas seulement de créer de la connaissance, car la connaissance existe. Il s'agit plutôt de savoir comment légitimer les différentes sources de connaissances. Qui est référencé et pourquoi ? Pourquoi vous référez-vous à un vieux psychologue du Nord, sans tenir compte des réflexions, des dictons et des connaissances de ma grand-mère sur le comportement humain ? On constate qu'il y a beaucoup de travail psychologique, même dans notre langue, dans des choses aussi simples que nos proverbes ou nos expressions idiomatiques.

Dans ma langue, lorsque l’on est épuisé.e, on dit "ke a go itheetsa". En anglais, cela signifie « je veux me reposer », mais la traduction littérale est « je veux m'écouter ». La méditation, c'est essentiellement cela ; c'est vous qui vous écoutez. Suivre une thérapie, c'est bénéficier de l'aide de quelqu'un pour s'écouter soi-même. Mais cette connaissance a toujours existé. 

Pour moi, créer de la connaissance signifie donc que nous avons la possibilité de légitimer les sources de connaissance de notre peuple, en créant de nouvelles façons de penser la connaissance, la psychologie, la condition humaine, l'être. Nous devons également comprendre que nous côtoyons aujourd'hui des personnes d'horizons différents, que le monde évolue et s'enrichit de nouvelles formes de pensée. Comment pouvons-nous emprunter ce que nous possédons déjà pour donner un sens à notre situation actuelle, afin d'envisager et d'imaginer des avenirs meilleurs, ou des avenirs plus apaisés ? 

Tu exerces donc principalement dans le domaine de la psychologie sociale et non dans celui de la psychologie clinique. Qu'est-ce qui a motivé ce choix ? S'agit-il de tout ce que tu viens de dire ? 

Oui, oui. La psychologie sociale n'a donc pas vocation à pathologiser ou à diagnostiquer. Elle veut simplement poser la question suivante : que se passe-t-il dans la société ? D'où cela vient-il ? Elle n'individualise pas les problèmes. La psychologie clinique individualise les problèmes et dit : « Lorato, vous êtes schizophrène ». La psychologie sociale dit : « Très bien, pourquoi observons-nous de nombreux cas de violence dans notre société ? Quels sont les schémas qui les provoquent ? »

Quel lien vois-tu entre ta pratique de la psychologie sociale et ton féminisme ? Comment relies-tu les deux ?  Comment intègres-tu ton féminisme intersectionnel africain dans ton activité professionnelle de psychologue sociale ? 

Oh, les deux sont indéniablement liés. Et je pense que lorsque je dis aux gens que je suis heureuse de mon choix de carrière, c'est parce que c'est comme une recette où les choses se mélangent et se complètent parfaitement dans une marmite. Comme je l'ai dit, c'est parce que le patriarcat est un système qui provoque ces frictions internes et externes. La psychologie sociale a alors dit : « Le patriarcat est à l'origine de cela parce que... » et a ensuite donné un sens et des réponses au questionnement. Et parce que j'ai un sens et des mots, quand j'arrive dans l'espace de l'activisme, je suis capable de mieux articuler, de mieux enseigner, de mieux apprendre. Mais je suis également en mesure d'utiliser ce que j'obtiens dans l'espace de l'activisme pour alimenter la production de connaissances dans mon métier. En quelque sorte, les deux s'aident mutuellement à donner un sens au monde et aux questions qui m'intéressent.

Tout à l'heure, tu as évoqué la question de la valorisation des savoirs traditionnels africains, de leur légitimation et de leur utilisation pour construire l'avenir que nous méritons. À quoi ressemble cet avenir pour toi ?

Il ressemble à la liberté, pour le dire très simplement. La liberté d'être, la liberté d'expression et la liberté de savoir que nous n'avons même pas besoin de valider les informations et les connaissances dont nous disposons. L'expression « savoir indigène » me dérange. Je ne l'aime pas parce que je ne comprends pas pourquoi elle est qualifiée d’« indigène » ? Le fait de l'appeler indigène signifie qu'il contient un aspect non indigène, et c'est ce savoir qui est propulsé dans le discours public. Je pense que nos connaissances africaines ne sont que cela : des connaissances. 

Tu estimes qu'il y a un savoir de premier choix, puis un second et ainsi de suite...

Exactement ! Et c'est pour cela qu'il fallait le nommer ainsi. S’il est considéré comme un simple savoir, alors il y a de la liberté en lui parce que je n'ai pas besoin de le légitimer. Pour moi, la liberté, c'est l'être. Et à quoi ressemble l'être ? Vous n'avez pas besoin d'expliquer vos choix. Vous êtes simplement l'expression la plus complète et la plus élevée de vous-même, dans la mesure où vous ne faites de mal à personne et que vous vivez votre vie dans cet écosystème interconnecté, avec d'autres personnes et avec l'environnement. Je pense que c'est à cela que ressemble l'avenir pour moi. La liberté d'être.

Lorato nous en dit plus à ce sujet dans la prochaine partie de notre conversation, où nous aborderons également ses expériences d'organisation au sein de mouvements et d'espaces féministes. Cliquez ici pour lire la troisième partie.

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« Le patriarcat en tant que système me déplaît profondément » - Lorato Palesa Modongo (Botswana) 1/5

Lorato Palesa Modongo est une féministe africaine originaire du Botswana. C’est une psychologue qui s’intéresse à la psychologie sociale, le milieu universitaire, la recherche qualitative sur la violence sexiste, la décolonialité et les féminismes africains, avec des compétences et des connaissances dans ce domaine depuis plus de sept ans. 

Dans notre série de conversations autour de la création d’un mouvement féministe africain intergénérationnel, Jama Jack s’est entretenue avec Lorato afin d’en savoir plus sur son parcours féministe depuis sa prise de conscience et sa résistance dès son plus jeune âge jusqu'à son implication et son engagement actuels dans des mouvements féministes à des échelles variées. Nous découvrons également son parcours éducatif et du lien de celui-ci avec son travail de féministe (partie 2) ; ses réflexions et ses expériences en tant que membre de mouvements et d'espaces féministes (partie 3) ; ses observations sur les tensions qui entravent parfois la construction de mouvements féministes africains intergénérationnels, ainsi que les solutions possibles pour combler le fossé existant (partie 4). Nous parlons enfin, de la guérison personnelle et collective nécessaire pour soutenir nos mouvements, du travail actuel de Lorato avec l'Union africaine et de son parcours vers la réconciliation avec soi-même pour découvrir sa vision d'elle-même (partie 5).

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Bonjour Lorato! Merci de te joindre à moi aujourd’hui. Nous sommes vraiment ravies de pouvoir discuter avec toi et d’en apprendre davantage sur toi, ton parcours, ton travail féministe et bien plus encore. Comment aimerais-tu te présenter ?

Je discutais avec un.e ami.e récemment, et je lui disais que ma façon de me présenter n’évolue pas mais change selon l’endroit où je me trouve. À l’époque, je me présentais comme une jeune Motswana. Puis j’ai déménagé en Afrique du Sud afin d’y poursuivre mes études supérieures et à cause de ce que à quoi j’étais confrontée, j’ai réalisé que ma manière de me présenter s’était transformée en : « Je suis une jeune femme noire ». Je savais que j’étais une femme ; je savais que j’étais africaine et je n’avais jusqu’alors pas ressenti le besoin de déclarer que j’étais Noire. Cependant, une fois en Afrique du Sud, j’ai eu besoin d’insister sur mon identité noire. 

Avec le temps, j’ai dû m’adapter et ne plus uniquement dire que j’étais une femme noire, mais que j’étais une féministe noire. Au fur et à mesure, j’ai également dû préciser la nature du féminisme, qui pour moi, est un féminisme africain intersectionnel. 

Donc aujourd’hui j’aime me présenter ainsi : Je m’appelle Lorato. Tout d’abord, je suis originaire du Botswana. Je suis une jeune femme noire africaine et je défends l'idéologie féministe intersectionnelle africaine. C’est l’un de mes points d'ancrage, parmi d'autres. Je suis également chercheuse en psychologie et me spécialise en psychologie sociale. Je travaille au développement et au renforcement communautaire dans les différentes communautés où je me trouve, aux échelles nationale, continentale et internationale.

Lorsque tu parles de ton ancrage dans le féminisme africain intersectionnel, qu’est-ce que cela signifie pour toi ? 

Cela veut dire que je reconnais que je suis africaine. Je suis née ici, mes racines sont en Afrique. La question de l’intersectionnalité signifie comprendre la manière dont les autres « -ismes » sont liés et multidimensionnels. Lorsque j’identifie les oppressions à mon encontre, je dois également reconnaître les situations dans lesquelles je suis privilégiée et la manière dont je peux utiliser ce privilège dans d’autres espaces. Je pense que c’est important. 

Dans la mesure où je comprends le sexisme ou le racisme, je comprends également que pour moi, le fait d’être titulaire de trois diplômes universitaires, de pouvoir m’exprimer en anglais après avoir obtenu ces diplômes provenant d’établissements coloniaux, a le pouvoir de me faire entrer dans certaines sphères auxquelles d’autres n’ont pas le privilège d’accéder.  Et cela sans que je sois nécessairement la meilleure. C’est un fait que j’identifie et reconnais.  Parallèlement, je suis consciente, que même si j’ai accès à ces espaces, j’y serai toujours perçue comme étant Noire, jeune, comme étant une femme africaine ou comme étant originaire du « Sud global ». L’aspect féministe demeure cependant au cœur de tout ça. Le patriarcat en tant que système me déplaît profondément. Je ne sais pas si nous parviendrons à totalement y mettre fin.

As-tu pu identifier l’origine de cette aversion au patriarcat ? T’est-il arrivé quelque chose en particulier ? Peut-être lorsque tu étais jeune ? 

Tout à fait. Je m’en souviens parfaitement. C’était dans mon village. J’avais 8 ans. J’ai grandi dans une famille recomposée. Mes grands-parents m’ont élevé. Mes oncles – les petits frères de mon père – avaient soit mon âge ou étaient à peine plus âgés. C’était eux et moi…trois enfants donc. Ma grand-mère faisait presque tout dans la maison. Elle cuisinait, faisait le ménage et s’occupait de nous. À cet âge, je croyais qu’elle faisait tout ça parce qu’elle était plus âgée. 

Une fois, ils nous ont laissé seuls à la maison pour le week-end. Nous avons donc fait ce que tout enfant aurait fait. Mes oncles ont cuisiné. Nous n’avions pas lavé la vaisselle et nous avions mis du désordre dans la maison. Lorsque mes grands-parents sont rentrés, la première des remarques était « Pourquoi est-ce que ma cuisine est si sale ? Pourquoi l’évier est plein de vaisselle sale alors qu’il y a une fille dans la maison ? » Je n’avais que huit ans. Je me suis arrêtée un instant et j’ai dit « Mais, ils sont plus âgés que moi. C’est à eux de nettoyer ». Pour moi, c’est comme ça que les choses fonctionnaient. Les adultes devaient s’occuper des choses d’adultes et j’étais une enfant. Je ne voyais pas mes oncles – je les appelais mes frères – comme des hommes. Je les voyais comme des personnes plus âgées que moi. J’ai donc dit non et j’ai commencé à protester… [rires].

Ma grand-mère faisait presque tout dans la maison. Je croyais qu’elle faisait tout ça parce qu’elle était plus âgée. 

Ça a commencé comme ça. C’est comme ça que j’ai réalisé que ma grand-mère ne s’occupait pas des tâches ménagères parce qu’elle était plus âgée mais parce que mon grand-père ne les faisait pas. Je m’en plaignais tellement à la maison qu’ils ont commencé à m’appeler Emang Basadi. Le mouvement féministe prenait de l’ampleur au Botswana et l’association de la société civile cheffe de file s’appelait Emang Basadi, ce qui signifie « Femmes, levez-vous ». 

Et lorsqu’ils te surnommaient ainsi, est-ce que tu te les approprié en te disant « Oui, c’est qui je suis. » Ou cela a-t-il créé un conflit ?

Dans ma tête c’était « Oui, les femmes doivent se mobiliser, qu’est-ce que c’est ? » J’ai même commencé à l’inculquer à mes cousin.e.s plus jeunes. Si je voyais l’une d’entre elles cuisiner, je laissais faire. Mais lorsque je la voyais laver la vaisselle après avoir cuisiné, alors que les garçons ne le faisaient pas, je lui demandais de s’arrêter.

Je sais que nombre d’entre nous ont commencé le militantisme féministe (feministing) bien avant la naissance du vocabulaire autour du féminisme que nous employons aujourd’hui, avec la conscience que nous avons. Te souviens-tu des premiers moments où tu t’es définie comme étant féministe ? 

Oui, je m’en souviens. C'était aux alentours de 20/10/11. J’éludais la question et marchais sur des œufs lorsque j'utilisais ce terme. C'était au Botswana. J'avais été recrutée pour un projet de recherche par l'un.e de mes professeur.e.s du département de sociologie. Il s'agissait d'un projet de recherche de l'Africa Gender Institute, situé à l'université du Cap, qui menait une recherche active pluri-institutionnelle sur le genre, la politique et la sexualité dans la vie des jeunes femmes âgées de 16 à 25 ans dans cinq universités de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC). L'université du Botswana avait été sélectionnée comme l'une d'entre elles, et je faisais partie de l'équipe qui menait cette recherche fondée sur l'action. J'étais encore étudiante. Nous partagions nos histoires, parlions de nos vies et nos projets jusqu'à ce que je tombe sur ce mot qui décrivait notre travail, mais dont je n'avais jamais entendu parler auparavant. Les réseaux sociaux n'étaient pas encore très répandus à l'époque.

Oui. C’étaient encore les prémices par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui, du moins en ce qui concerne l'utilisation de cet outil pour la construction de mouvements. 

Exactement ! Et puis internet n’était pas aussi omniprésent à l’époque. Je n’avais même pas d’ordinateur. Nous nous rendions à la bibliothèque universitaire pour utiliser les ordinateurs mis à disposition là-bas. J’ai effectué des recherches sur ce mot et je ne tombais que sur des résultats négatifs. S’approprier ce mot c’était…controversé. Pour être franche, c’était embarrassant de revendiquer ce mot, cela revenait à dire ouvertement que nous étions en colère. Pour vous aider à mieux comprendre : le Botswana est considéré comme l’un des pays les plus paisibles d’Afrique en raison de la paix qui y régnait et de la démocratie. L’activisme n’était pas aussi important. C’était alors comme si je cherchais à tout prix une raison de protester. Donc, je n’employais pas ce mot. J’étais consciente de son existence, mais je ne l’utilisais pas sciemment. 

Jusqu’à mon arrivée en Afrique du Sud…Parce que j’allais y poursuivre mes études supérieures en psychologie, et que je m’intéressais à la psychologie sociale, je devais approfondir ma réflexion autour de cette question. Ce terme revenait souvent. De nombreuses personnes l’employaient et effectuaient un travail que j’admirais. Je me suis alors dit, « Oh, ce n'est pas si grave que ça ». J’ai donc commencé à lire davantage sur le sujet, à employer le mot plus souvent, à gagner en confiance, à être plus indépendante et à m’affirmer davantage. Et cela non seulement auprès de mes semblables, mais également devant mon patron par exemple. Lorsqu’il me présentait, il disait : « Elle mène une excellente action féministe ». Et les gens répondaient, « Oh nous voulons que tu participes à ce projet ». Et je disais : « Je n’ai donc pas à avoir honte ? ». Je pense que la sphère sud-africaine a validé mon travail, mais j’ai commencé à me former sur le sujet au Botswana en 2010.

Tu as dit que lors de tes recherches, tu ne trouvais que des résultats négatifs. Qu’est-ce qui était si mauvais ? Comment cela se présentait ? 

C’était la représentation dans les médias. La manière dont les gens traitaient la question. Les subtilités autour desquelles c’était intégré dans les conversations quotidiennes. La question de la sexualité était également abordée. Et à l'époque, je n'étais pas prête à avoir des conversations sur la sexualité. Je pense que dans l’environnement dans lequel j’ai grandi ces conversations n’existaient pas. Parce que nous n'avions même pas les mots pour décrire la sexualité. Par exemple, lorsque les gens disaient « Oh, elles sont lesbiennes », c'était considéré comme une insulte à l'époque. C'était donc l'une des nombreuses contestations autour de ce sujet. Mais...Je crois qu’il y avait également le rejet immédiat du mot. Il n’existait même pas d'espace pour dire « non, ce que nous voulons dire, c'est que... ». Le terme a été immédiatement rejeté. 

Est-ce dû à la culture du Botswana ? Quelle était la véritable raison de ce rejet, alors qu'il n’existait même pas d'espace pour ce genre de conversation ? 

Oui, la culture avant tout. Mais je pense aussi que le conditionnement du féminisme et le manque d'information, comme je l'ai dit, en sont peut-être les causes. Le mouvement des droits des femmes a fortement gagné en visibilité avec l'avènement des réseaux sociaux. Nous devons reconnaître leur pouvoir. On peut voir en temps réel les conversations qui prennent place. Et avec un meilleur accès. Mais à l'époque, il fallait parfois attendre une publication dans la presse écrite ou dans les livres. L'énergie et la propension des gens à rechercher des connaissances ne sont pas nécessairement aussi immédiates qu'elles le sont aujourd'hui sur les réseaux sociaux. Il me suffit de passer du temps sur mon téléphone pour être informée. Je pense donc que le manque d'informations, de connaissances et de compréhension est à l'origine de la résistance. 

Dans la deuxième partie de notre conversation, Lorato nous parle du chemin qui l'a menée à la psychologie sociale et de la manière dont elle s'engage à l'intersection de ce domaine et de ses actions féministes. Cliquez ici pour lire la partie 2.

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Afrifem en Action : Bénédicte Bailou présente Femin-In, un mouvement féministe qui promeut la participation des jeunes femmes en politique (Burkina Faso)

Notre série d’interviews Afrifem en Action met en lumière les initiatives, les actions et les mouvements créés et dirigés par et pour les féministes africaines. Dans cette interview, Chanceline Mevowanou discute avec Bénédicte Bailou, une juriste féministe originaire du Burkina Faso, fondatrice et présidente de Femin-In, un mouvement féministe qui travaille pour plus de femmes en politique. 

Bonjour Bénédicte. Merci de prendre le temps de discuter avec nous. Peux-tu te présenter ?

Je suis Bénédicte BAILOU. Je suis juriste, spécialiste des questions liées aux droits des femmes et violences basées sur le genre (VBG).  Je suis du Burkina Faso et je vis à Ouagadougou. Je suis la Directrice Exécutive de Fémin-in, une organisation féministe et de jeunesse du Burkina Faso. Je suis également députée désignée à l’Assemblée Législative de Transition (ALT) pour le compte des organisations féminines de la société civile au plan national.

Félicitations pour cette désignation. Députée pour la transition. Est-ce que tu peux expliquer un peu ?

Député.e pour la transition, c’est comme un.e parlementaire, juste qu’on n’est pas élu.e mais désigné.e par nos composantes. Moi je suis la représentante des organisations de la société civile féminine sur le plan national. Donc, ce sont des composantes de la société qui désignent des personnes pour venir siéger à l’Assemblée Législative de Transition, afin de pouvoir faire respecter la constitution, les prérogatives de la constitution, et accompagner le chef de l’État et le gouvernement à la résolution du problème que nous vivons aujourd’hui au Burkina Faso.

Pour toi Bénédicte, c’est quoi être féministe ?

Pour moi être féministe c’est être révoltée. Être révoltée contre le patriarcat qui est un système d’oppression des femmes sur la base d’une supposée suprématie naturelle des hommes sur les femmes. Donc je suis quelqu’une de révoltée. Je suis contre tous les rapports sociaux qui mettent la femme dans une position de subordination. Pour moi c’est ça être féministe.

Tu as dit tout à l’heure dans ta présentation que tu es la directrice exécutive de Fémin-In, qui est une organisation féministe et de jeunesse du Burkina Faso. Quelle est la signification de Femin-In ? 

L’objectif principal qui a conduit à la création du mouvement, c’est la promotion de la participation des jeunes femmes en politique de façon générale et aussi la promotion de la participation citoyenne des jeunes femmes. Donc Fémin-in veut dire « Fémin » pour femmes, « In » pour “dans”. Pour dire “Les femmes dans…la politique”.

Comment Femin-In est née ? 

L’idée de Femin-in est née au début de l’année 2017. J’avais participé à un programme de leadership féminin. Ce programme m’a aidé à mettre le point sur ce que je voulais faire, la vision que j’avais de ma vie et ce que je pouvais apporter à ma communauté. Ensuite j’ai rencontré notre secrétaire générale actuelle lors d’un forum et on a réfléchi ensemble. On avait la même façon de voir les choses. On dit que les jeunes femmes ne sont pas suffisamment engagées en politique. Pourtant, ce n’est pas vrai. Il y a cette présomption d’incompétence qu’on attribue aux femmes automatiquement quand elles sont promues. Pour combler ça, pour qu’on ne dise plus aux femmes qu’elles ne sont pas compétentes, on a qu’à les former à la chose politique. On va le faire et aussi on se forme en même temps, parce que nous avons des ambitions politiques dans ce pays-là. C’est ce qui a motivé la création de Femin-in. 

Inspirant. Comment Fémin-In a commencé ses actions alors pour plus de jeunes femmes en politique ? 

Femin-In a été lancé en 2019 après la phase d’idéation. Nous avons la reconnaissance légale depuis le 06 Novembre 2021. Nous avons fonctionné depuis 2019 sans reconnaissance légale. Mais les réalités nous ont fait…On va dire nous ont un peu obligées. Les réalités nous ont un peu forcé à faire la démarche de l’enregistrement légal. Nous avons commencé les actions en mettant en place un programme d’incubation qui offre aux jeunes femmes qui veulent s’engager une formation sur un an. Pour démarrer, on s’est rapproché d’une grande sœur qui travaille aussi pour la promotion de la participation politique de la jeune femme. Elle nous a donné des conseils, nous a montré comment nous pouvons agir.  Nous avons ainsi lancé le programme. 

Comment se passe le programme de façon concrète ? 

Nous commençons par un appel à candidatures pour des jeunes filles et jeunes femmes de 18 à 35 ans. Lorsqu’on finit de faire le recrutement, il y a la première phase d’entretien. Puis la formation de façon pratique. Parce qu’on n’a pas des financements pour ce programme-là, on se rapproche des formateurs et formatrices qui sont convaincus de la nécessité de capaciter les jeunes filles et aussi qui épousent la vision de Femin-In. Nous les contactons, nous demandons à ce qu’ils•elles mettent leur temps à la disposition de ce programme pour les formations. Lors du programme, les participantes sont formées sur la rédaction des discours, la communication politique, l’analyse des programmes politiques des candidats et candidates. On travaille les samedis et en ligne. Parce que nous avons des participantes qui ne sont pas à Ouagadougou. 

Et est-ce qu’à la fin de l’incubation, il y a d’autres actions avec les participantes en matière de suivi ? 

Oui, on fait un suivi. Au cours de l’incubation, on a un programme de mentorat. C’est-à-dire qu’on met les jeunes filles en contact avec des hommes et des femmes engagé.e.s en politique, pour qu’elles puissent toucher du doigt la réalité des choses. Parce qu’il ne sert pas de former et de les laisser. Le programme de mentorat rentre dans le cadre du suivi que nous faisons. Il y a aussi des missions terrain qu’on fait comme des visites auprès des municipalités, au parlement pour que les jeunes filles puissent voir. Pour la première édition du programme d’incubation, nous sommes parties avec quinze jeunes femmes. Parce que nous estimons que quinze jeunes femmes, c’est un nombre qu’on peut suivre après le programme. Le suivi peut se faire sur cinq ans. Notre objectif c’est d’aller avec le moins de personnes, mais d’avoir des résultats palpables. 

En 2021, on devait avoir les élections municipales et législatives. On avait des incubé.e.s de notre programme qui voulaient se présenter à ces élections. Certaines avaient rejoint des partis politiques et voulaient participer à ces élections en tant que candidates. Malheureusement, la situation politique devenue problématique dans notre pays a fait que les élections ont été annulées. Elles n’ont pas pu se présenter.

Très intéressant à savoir. Vous êtes déjà à combien d’éditions de ce programme ?

C’est juste la première édition que nous avons faite en 2021. On est en train de réorienter le programme. Parce qu’on s’est rendu compte qu’une année, c’est lourd pour les filles. On est en train de revoir le format. En 2023 nous allons relancer. 2022 a été une année pour solutionner toutes les lacunes de la première édition.

Quelles sont les défis que vous avez rencontrés pour la mise en œuvre de ce programme  ?

Femin-in c’est une organisation féministe. Dès le départ, la couleur était déjà donnée. Fémin-In est féministe, Bénédicte est féministe, toutes celles qui sont à Femin-In sont des féministes. Donc, le premier défi qu’on a eu c’était la compréhension du mot féministe, l’acceptation du mot féministe dans notre société. 

On a eu beaucoup d'attaques, de cyber harcèlements. On continue toujours à le vivre, mais on va dire que malheureusement on s’est habitué. Ce n’est plus quelque chose d’exceptionnel. Le deuxième défi c’était la participation politique des femmes. Pourquoi est-ce qu’on veut que les femmes participent ? Pourquoi est-ce qu’on veut que les femmes occupent les postes de responsabilité ? Pourquoi est-ce que les femmes doivent être présentes dans les sphères de décision ? Les responsabilités traditionnelles des femmes dans les partis politiques c’est chargée à la mobilisation, chargée à la restauration, chargée de la trésorerie. Ça, c’était le deuxième défi, faire accepter à la société que les femmes doivent participer, ont leur mot à dire, leur partition à jouer aussi dans le développement du Burkina. 

Pour surmonter ces défis et pour la mise en œuvre en général du programme, vous avez eu du soutien des  femmes aînées qui sont déjà dans le milieu politique au Burkina ?

On va dire oui, en général…Il y a eu quelques-unes qui n’étaient pas disponibles pour nous accompagner, parce qu’elles estimaient que l’idée devrait venir d’elles. Mais dans le grand nombre de soutien qu’on a eu, c’est vraiment des gouttes d’eau dans la mer de soutien qu’on a reçu. On a eu beaucoup de femmes qui nous ont soutenues, beaucoup de devancières qui nous ont portées, qui nous ont fait rencontrer des personnes formidables, qui ont été des mentors pour nos jeunes incubées. 

Comment est-ce que tu penses que la collaboration intergénérationnelle peut aider à pousser le travail de participation politique et citoyenne des jeunes femmes que Femin-In fait  ? 

La collaboration intergénérationnelle est une belle chose hein. Elle est importante parce que ça permet aux jeunes, aux plus jeunes, de voir les réalités, de connaître les réalités et aussi d’éviter les erreurs, d’éviter de commettre les erreurs que ces devancières-là ont faites.

Mais je pense que le problème qu’on a franchement pour avoir l’accompagnement des devancières, c’est la communication. Parce qu’elles ne voient pas forcément les choses de la même façon que nous. Certaines voient toujours les choses sous le prisme de l’après-colonisation. Enfin, je veux dire des indépendances, des réalités des indépendances. Pourtant, aujourd’hui, l’ouverture au monde qu’ont les États africains nous offre des facilités qu’elles n’ont pas eues malheureusement. Et ces facilités qu’on a, même s’il y a encore des difficultés dans ces facilités-là, nous placent dans une position où elles vont dire “on n’a pas souffert”. Mais c’est important de discuter, de collaborer avec elles.  

Dans le mouvement féministe au Burkina Faso, les collaboration avec des devancières se passe comment selon toi ? 

Le problème au Burkina Faso c’est qu’il n’y a pas beaucoup de devancières qui se déclarent féministes. Elles se disent défenseurs des droits des femmes, mais elles ne se disent pas “féministes”. Donc on ne peut malheureusement pas discuter avec quelqu’un qui refuse même la terminologie féministe… Féminisme. C’est difficile. Il y en a quelques-unes qui se disent féministes. Notamment une, que je connais beaucoup, qui accompagne les organisations féministes, Monique Ilboudo. Elle a été ministre des droits humains ici au Burkina Faso et est professeure de droit à l’université. Elle a même écrit beaucoup de livres. Elle est écrivaine. Elle porte la casquette de féministe. Il y a aussi Madame Mariam Lamizana qui lutte contre les mutilations génitales féminines. Elle aussi, elle se dit féministe. Elles ont participé à faire évoluer les textes de loi ici. Avec elles, le dialogue peut se faire…

Quelles sont les autres actions que Fémin-In mène aujourd’hui en dehors du programme pour la participation politique des jeunes femmes ?

Après le programme pour la promotion de la participation politique des jeunes femmes, Femin-In a commencé par organiser des sensibilisations sur les violences basées sur le genre et sur la santé sexuelle et reproductive. Nous faisons de la sensibilisation, de la formation et de la documentation. En Afrique de l’ouest, nous avons une absence de données réelles et récentes en matière de santé sexuelle et reproductive. Nous faisons beaucoup d’études comme par exemple des études sur la disponibilité des intrants en matière de santé sexuelle et reproductive pour les jeunes, pour les adolescents et pour les minorités. Fémin-In mène aussi des actions de réparation des violences faites aux femmes. Nous avons mis en place la clinique juridique et psychologique qui accompagne les filles et femmes victimes de violences sur le plan judiciaire et automatiquement sur le plan psychologique. 

C’est bien cet accompagnement psychologique. Nous en avons besoin. 

Oui. Parce que malheureusement les organes étatiques ne prennent pas automatiquement en compte le volet psychologique. Même des organisations de la société civile ne mettent pas ça en priorité automatiquement quand une femme ou une fille est victime de violences. Nous avons aussi le volet social qu’on met en marche quand il se trouve que la femme, la survivante n’a pas de revenus pour pouvoir se prendre en charge. C’est par exemple la mise en place d’une activité génératrice de revenus pour elle. Notre accompagnement est holistique.

Fémin-In fait aussi de l’éducation au féminisme. Nous sommes une organisation féministe et nous pensons que plus il y aura de féministes au Burkina Faso, plus les problèmes que les femmes et les filles vivent pourront être résorbés. Nous éduquons la population de façon générale et les filles et les femmes de façon spécifique au féminisme, à la compréhension du féminisme et à ce qu’elles deviennent des féministes. 

Est-ce que le travail que tu fais avec Femin-In pour la participation politique des femmes a un impact sur toi-même ? 

Oui, indéniablement. Parce que j’aime dire que moi aussi j’ai besoin d’être formée. Les formations, moi-même je les suivais. Parce que j’avais besoin de ça, et d’autres aussi avaient besoin de ça. Lors de la validation de notre mandat, on devait faire l’élection du président ou de la présidente de l’ALT. Je tenais vraiment à me présenter à cette élection en tant que candidate présidente de l’ALT pour deux messages. 

Pour les plus jeunes, parce qu’on parle de représentativité, de représentation, jamais au Burkina Faso, une femme n’a été candidate à l’élection de président de l’assemblée. Donc, dans la conscience collective, la société pense qu’il n’y a qu’un homme pour occuper ce siège. Moi je me suis présentée pour dire que non, les femmes aussi peuvent occuper cette position. Le deuxième message aussi c’était pour dire que les femmes peuvent et les femmes font…et vont le faire. Elles sont capables. Les jeunes femmes sont engagées, sont suffisamment engagées, sont suffisamment compétentes pour occuper ces postes de responsabilité là. La formation du programme d’incubation m’a beaucoup servi pour le faire. 

Quelles sont tes ambitions avec Femin-In pour les années à venir et de quoi auriez-vous besoin pour arriver à concrétiser ces ambitions ?

L'ambition de Femin-In, c’est de former le plus de femmes possibles, le plus de jeunes femmes possibles à assumer qui elles sont, à avoir confiance en elle et à occuper les postes de responsabilité. Qu’elles puissent être aujourd’hui, qu’elles puissent être dans cinq ans, des candidates ou électrices. Qu’elles décident que si elles ne sont pas des candidates, qu’elles jugent les programmes politiques des candidats et des candidates. On ne va plus voter quelqu’un parce qu’il est de mon village. On ne va plus voter quelqu’un parce qu’il parle bien, il est éloquent. Non. On va voter la personne sur un projet de société. Quelle est la place des femmes dans son programme politique ? Quelle est la place de l’éducation dans son programme politique ? C’est ça que nous voulons faire. C’est ça que nous voulons avoir. Nous voulons former des femmes qui feront de la politique et qui verront la politique autrement. C’est ça l’ambition première de Femin-in. 

La deuxième ambition de Femin-in c’est de devenir une organisation féministe de référence au Burkina Faso et dans la sous-région, parce que nous croyons que le féminisme est politique. Nous savons que c’est en ayant une approche féministe des problèmes que nous vivons que nous pouvons avoir des solutions durables. Pour le faire, Femin-In a besoin de capacitation technique sur beaucoup de thématiques et aussi des financements pour pouvoir mettre en œuvre nos programmes. Le programme d’incubation n’a pas encore de financement.

Aujourd’hui si on veut suivre les actions de Femin-in, où est-ce qu’on peut se rendre ? 

On a un site en construction. En attendant, sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter.

Merci Bénédicte. Nous souhaitons plus de portée aux actions de Fémin-In. 

Connectez-vous avec Femin-In

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« Il faut faire en sorte que ton propre bien-fondé prime sur l’avis des autres » - Salamatou Traoré (Niger) - 4/4

Dans cette quatrième et dernière partie de notre discussion avec Mme Salamatou Traoré, elle réfléchit au féminisme plusieurs années après sa participation à la Conférence de Beijing en 1995. Précédemment, nous avons parlé de sa vie (Partie 1), son travail dans la santé publique (Partie 2) et le travail qu’elle fait au Centre DIMOL (Partie 3).

Merci de nous avoir parlé de votre organisation, le Centre Dimol. Parlons maintenant de vous. Quand on parle de la femme nigérienne, on nous dit souvent qu'elle est soumise, silencieuse,  faible…Avec vous, c’est tout le contraire. Quand on vous rencontre, on voit d’abord que vous n'avez pas la langue dans votre poche.

Pas du tout! (Elle rit)

J’imagine cependant que ce n’est pas tous les jours facile de sortir autant du lot ? Comment est-ce que vous vivez cela?

Tout commence au niveau de ma famille. J’ai toujours eu un dialogue franc avec ma famille, dans l'éducation de mes enfants et même des petits enfants maintenant. Il faut être franc, il ne faut pas tergiverser. Aujourd'hui vous ne pouvez pas éduquer un enfant en lui cachant des choses. Je parle franchement des sujets tabous au sein de la famille. 

Vous pouvez me donner un exemple ?

Oui. J’ai un de mes fils, je ne me rappelle plus à quel âge, il était en train de manger. Il a posé une question à ma sœur. Il a dit : « Tantine, comment on fabrique une personne ? » Et ma sœur lui a dit : « On prend du sable, on met du sang et on tourne. » Mais moi, j’ai dit : « C‘est pas comme ça. Dis-lui la vérité. C'est le papa et la maman qui font le bébé. C'est comme ça qu’on fabrique un être humain. Tu vois je suis ta maman et lui c'est ton papa, donc c'est nous qui t’avons mis au monde. Plus tard je vais te dire la suite. » Il est devenu médecin maintenant et il a compris. (Rires)

Et comment ça se passe en dehors du cercle familial?

Même dans la famille ce n’est pas toujours si facile. Je vous donne un exemple. Mon fils s'est engagé en  politique et il ne voulait pas que je le sache pour que je ne dise pas mon point de vue. Donc ceci fait que, quand dans une famille, vous êtes quelqu'un qui voit clair, parfois les autres ne sont pas avec vous. « Ce qu'elle dit est vrai, mais c'est choquant. » « Faites attention, il fait la politique ». 

C'est comme ça qu'ils me gèrent. C’est ce qu'on me dit, que je ne suis pas diplomatique, je dis ce que je pense et parfois c'est choquant. Peut-être certaines choses, quand vous le dites ouvertement, alors qu'il faut les cacher ou bien il faut bien trouver des formules plus souples. Il y en a qui ruminent les phrases avant de les dire mais chez moi, c'est spontané. 

Est ce qu'il y a une femme dans votre vie qui vous a vraiment inspiré à vivre comme vous le faites ?

Ma maman. Elle est très dynamique. C’est une femme formidable. Elle a élevé et elle a défendu beaucoup d’enfants, même ceux qui n’étaient pas les siens. Elle n'allait pas à la cuisine. Non. Et quand elle dit quelque chose, le papa le fait. Et elle n’a jamais failli, même pour l’éducation des enfants. Chez nous, ma maman gérait tout, elle n'avait pas de problème. 

Il y en a qui ruminent les phrases avant de les dire mais chez moi, c'est spontané.

Quand vous y repensez, quelle est la chose que vous avez vraiment appris de votre maman qui vous permet aujourd'hui de porter ce combat-là ?

C'est sa patience. Elle l’a héritée de sa maman. Ma grand-mère, on l’appelle Aya, était purement du monde rural et elle a été surnommée “mouregn”, ça veut dire “négliger, il faut banaliser” en quelque sorte, c’est ce que ça veut dire dans notre langue. Quand par exemple vous venez vous confier à elle, elle vous dira toujours : « sois patiente. Il faut de la patience. » Elle répète toujours ça. Quand vous venez lui poser un problème de matériel ou de besoins, si même elle n'en a pas, elle me dit : vas-y, je vais t’envoyer ça. Un jour, mon papa a voulu la ramener à Niamey. Elle a dit : « Non. Les gens qui sont là-bas, ce sont mes enfants aussi, comment je vais les abandonner ? On va dire que j’ai privilégié ma propre famille au détriment des autres. » C’est quelque chose qu'elle a fait que que j'ai beaucoup admiré.

Donc elle était vraiment engagée pour la communauté. 

Houla lala, elle a fait plus que ça! Tous les enfants qui sont chez elle sont ses petits-enfants, ils lui appartiennent tous. Un beau jour, je suis venue, et c'est moi la financière, donc tous les trois ou quatre mois, il fallait aller chercher les vivres. Je suis allée la trouver et je lui dis : « Aya, est-ce que tu peux remettre à chacun son enfant ? Tu vois, mon budget est épuisé avec ces enfants et aucun des parents ne survient à leurs besoins. » Elle a souri et ne m'a rien dit. J'ai quand même continué à faire ce que je peux. 

Bien plus tard, quand j’ai eu mes propres petits-enfants, je suis retournée lui en parler. Je lui ai dit : « je viens m'excuser auprès de toi. Un jour je t’avais demandé de renvoyer tous ces enfants que chacun n’a qu’à prendre ses responsabilités. Je ne savais pas qu’un petit fils était aussi agréable que ça. » Elle a ri et a dit : « tu as compris maintenant. » (rires) Les vieilles, elles sont très dynamiques. 

En parlant d'inspiration, vous êtes de la génération de féministes qui a participé à la Conférence de Beijing [la Quatrième conférence mondiale sur les femmes en 1995]. C'était important pour vous? 

Oui j'ai fait Beijing. J’y tenais mais c'était difficile de trouver les financements pour y aller. J’avais décidé d’aller à la conférence, même si je devais payer de ma propre poche. Je suis allée d’abord de Niamey à Addis. J’étais aidé par une autre femme guinéenne qui m’a donné un ticket en trop de Addis à Beijing. Alors je suis allée à Beijing et j'ai reçu le remboursement après mon retour. Je tenais vraiment à y être.

Beijing c'était il y a 25 ans. A votre avis, comment la situation de la femme nigérienne a évolué en 25 ans ? 

Au niveau du monde rural, il y a eu un changement. On a des foyers, il y a des groupements, il y a des femmes qui ont des fermes, des jardins, et des potagers. Il y a également le leadership féminin au niveau du monde rural qui a progressé. Je sais que j'ai vu des cas de femmes qui se sont défendues pour pouvoir sauvegarder leur lopin de terre par rapport à l'héritage. Donc vraiment il y a eu une évolution sur le plan mental, il y a plus d’ouverture. Surtout par rapport au crédit au niveau des villages, les tontines, là aussi il y a eu une forte évolution. Les moulins à grains, l'Etat a pris en charge pour soulager la pénibilité de ces femmes. La scolarisation de la jeune fille également, vraiment il y a eu un changement. Maintenant en milieu urbain, les filles ont accès quand même à une éducation plus élevée.

On dit que le Niger c'est un pays où ce n'est pas facile d'être porteur de changement parce qu'il y a des pesanteurs et les questions sont tabous. Qu’est-ce qui a bien évolué et qu’est-ce qui n’a pas trop marché ?  

Malgré le fait qu'on dise que le Niger est le dernier pays...selon moi, non. Moi, je dirai que c'est en matière d'indice de pauvreté qu'on peut le dire mais si on va en profondeur, on va trouver quand même des indicateurs qui nous permettent de dire que le Niger a évolué. On a évolué. Même si on dit que le Niger est dernier sur le plan politique et le développement, il y a quand même des indices de développement qui nous mettent en situation d’aisance. Nous avons également, toujours en milieu urbain, des femmes qui sont en retrait parce qu'il y a des hommes qui mettent la pression sur elles. Même en milieu rural, des femmes n'ont pas accès à toute l'information ni le droit d'aller dans les formations sanitaires si elles ne sont pas autorisées. Et là c'est un blocage pour le développement.

Quand notre génération pense à Beijing, nous sommes très inspirées et reconnaissantes. Vous avez tracé une partie du chemin sur lequel nous marchons aujourd’hui. Mais parfois on se rend compte que nos aînées ne se voient pas comme féministes… Quel est votre rapport avec ce mot? Est ce que vous vous considérez comme féministe ? 

Oui et non parce que ce sont les autres qui doivent évaluer mon action et décider si je suis feministe ou pas. Pour moi être feministe, c’est défendre les droits des femmes, leur liberté, et tout ce qui est en faveur de leur promotion. De ce point de vue, je suis feministe.

Je pense que le féminisme, au-delà de notre engagement associatif, c’est aussi quelque chose qu’il faut  incarner dans sa vie quotidienne, notamment dans la façon dont on gère nos relations avec nos proches. Comment est-ce que vous vous y arrivez ? 

Comment l'incarner ? Il faut parfois faire fi de l'observation des autres. Il faut faire en sorte que ton propre bien-fondé prime sur l’avis des autres. 

On dirait que les gens refusent de comprendre. Ce n'est pas qu'ils ne comprennent pas : ils refusent d'accepter ce changement, c'est ça qui est choquant. Les hommes connaissent les droits des femmes mais parfois choisissent d’entraver la bonne jouissance de ces droits. Pourtant, s’ils acceptaient le changement, qui en bénéficierait? Pas juste la femme, ce serait un resultat positif pour le développement futur de leur progéniture.

Il faut donc faire fi de tout ce que les gens pensent. Si on doit continuer à lutter, à défendre, à réprimer, à guider, à conseiller et tout, alors qu’en face de vous, vous n'avez pas un interlocuteur de taille…c'est décourageant. 

Les hommes connaissent les droits des femmes mais parfois choisissent d’entraver la bonne jouissance de ces droits.

Quand vous, qui êtes de la génération Beijing, pensez aux féministes de la génération Beijing +25, quel conseil leur donneriez-vous? 

Penser plus au collectif et moins à l'individu. Moi je trouve que maintenant, cette génération montante ici au Niger, c'est une génération qui lutte pour des intérêts individuels. On sent que la lutte elle est individuelle, elle n'est pas collective. Dans une ONG, on voit souvent une personne dire “c’est moi qui ai fait” au lieu de “c’est l’organisation qui a fait”. Ça ce n’est pas bon. Il n'y a pas de collaboration.

Mais il y a des jeunes organisations montantes que j'apprécie beaucoup. La génération d'avant avait plus de facilité à travailler avec les partenaires techniques et financiers qu'aujourd'hui. Les financements se font rares, vous avez plus de difficultés, ce n’est pas la même chose. Néanmoins le peu de financement dont vous disposez, vous devrez coordonner avec ladite génération de Beijing. 

Ma dernière question, celle que je pose à toutes mes invitées : est-ce qu'il y a une phrase ou une citation, une devise féministe, que vous appliquez à votre vie ? 

Aucune femme ne doit donner sa vie en donnant de la vie. Ça c'est ma devise. Aujourd'hui il y a beaucoup de femmes au Niger qui donnent leur vie. Mais moi, je veux vraiment le bien-être des femmes et voir les femmes toujours souriantes.

Tout à fait. Merci beaucoup Mme Traoré, c'était vraiment une très belle conversation. 

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« Elles rentrent en tant que victimes et elles ressortent en tant que leaders » - Salamatou Traoré (Niger) - 3/4

Notre conversation avec Mme Salamatou Traoré continue et devient de plus en plus intéressante avec chaque nouvelle partie. Nous avons parlé de ce qui a inspiré son choix de construire une carrière dans la santé (Partie 1) et son expérience dans la santé publique (Partie 2).

Dans cette troisième partie de notre conversation, nous en apprenons davantage sur le centre DIMOL qu’elle a créé pour soutenir les femmes souffrant de la fistule.

Vous venez de me dire comment vous avez créé votre ONG. Pour commencer, « Dimol », qu’est que cela signifie ? 

« Dimol » veut dire « dignité » en peul. J’ai créé le Centre Dimol à cause du problème de la fistule qui était toujours présent.

Est-ce que vous pouvez me parler un peu du Centre Dimol et du travail que vous y faites avec les femmes atteintes de fistule obstétricale ?

Les femmes que nous accueillons accèdent au Centre dans des situations difficiles à cause de la fistule. D'abord leur pagne est toujours mouillé car plein d’urine. Elles sont vraiment stressées, elles sont mal à l'aise. Dès qu’elles arrivent, elles ont droit à deux culottes et à deux savons par semaine. Elles se font propres. Le lendemain, quand vous revoyez chaque femme, il n'y a ni l'odeur, ni le stress; On ne les voit plus toucher sans cesse leur pagne pour vérifier s'il est mouillé. 

Ensuite, la sage-femme du Centre fait une consultation, et elle identifie si une femme a un cas de fistule ou pas. La période de l’enregistrement est importante pour les données quantitatives. Si la patiente a en effet un cas de fistule, la sage-femme l’envoie en référence au centre où on opère pour faire la consultation aussi et suivre son cas si ça nécessite l'opération ou les bilans. 

Pendant que la femme est suivie et même pendant sa convalescence après l’opération, elle reste hébergée avec nous au Centre. Cette période d'attente est mise à profit pour aider la femme à comprendre les causes et conséquences de sa maladie. On lui enseigne l'hygiène du milieu, l'hygiène de l'environnement, l’importance de ne pas déféquer à l'air libre, l’importance d'aller à l'école, et à quoi ça sert les méthodes contraceptives. Tout ça c'est de la prévention, pour éviter de futures infections.

Surtout, on explique aux femmes les raisons qui les ont amenées là. Maintenant, à partir de ce moment, les patientes comprennent mieux que ce n'est pas une malédiction. 

Ah oui, il y en a qui pensent que c’est une malédiction ?

Oui, en effet, beaucoup pensent qu’on leur a lancé un sort. Au Centre Dimol, elles apprennent que la fistule est plutôt due à un retard dans la prise en charge de leur état de santé: le fait de ne pas aller en consultation prénatale, de ne pas aller accoucher dans les formations sanitaires. Alors une fois qu'elles comprennent, ça devient répétitif car chaque semaine c'est la même chose qu'on répète : hygiène de l'environnement, salubrité, scolarisation de la jeune fille, planification familiale et ainsi de suite. On passe tout notre temps à leur expliquer mais à partir du moment où elles arrivent à prendre conscience de ce qui s'est passé et qu'elles sont plus réceptives, on passe à l'action. 

Et la phase “action” consiste en quoi ?

En général, les femmes passent entre trois et six mois avec nous. Elles font la première intervention chirurgicale au bout de trois mois. Ensuite, après leur opération, on leur donne rendez-vous et elles font les va-et-vient entre le Centre Dimol et l'hôpital, jusqu'à leur guérison. Il y en a qui ont eu jusqu'à cinq interventions. 

Pendant ce temps, au Centre Dimol, elles apprennent un métier : la couture, les broderies, la vannerie, tricot, tissage…tout ce qu'elles peuvent apprendre. La patiente choisit, et elle apprend. Une fois qu’elle est guérie, on renforce la formation sur l'activité choisie par la patiente. Si c'est la couture qu'elle a choisie, on met l'accent dessus. Si on voit qu’elle ne maîtrise pas la coupe ou bien si elle ne maîtrise pas certains modèles, on accentue la formation. 

Au Centre Dimol, elles apprennent un métier : la couture, les broderies, la vannerie, tricot, tissage…tout ce qu'elles peuvent apprendre.

Et elle rentre chez elle avec la possibilité de mener une activité, c’est génial !

Une fois qu'elle est prête à rentrer au village, on lui donne pour mission d'enseigner à ses collègues femmes du village l’activité qu’elle a apprise au Centre Dimol. Elle va mener aussi des activités de sensibilisation à l'endroit de ses collègues, de guider les femmes vers les services de santé en cas de problèmes. Elle peut rechercher des cas de fistules dans le village, de bouche à oreille pour leur dire que la fistule est guérissable. 

On lui donne de l’argent pour lancer l'activité chez elle. Elle peut acheter le matériel dont elle a besoin pour son activité et aussi pour ses séances de sensibilisation sur la fistule: un banc, une table, tout ce dont elle a besoin. Ça aide les habitants à prendre au sérieux ce qu’elle est en train de faire. 

De bouche à oreille, les anciennes patientes sensibilisent, elles orientent ou accompagnent les femmes qui ont besoin d’accéder aux soins pour leur fistule. Elles deviennent des ambassadrices du Centre Dimol, et elles ramènent parfois de nouvelles patientes. Il y a même des anciennes patientes qui sont devenues des auxiliaires de santé. 

Et le cycle continue. C’est un cercle vertueux, en fait. Vous pouvez me parler d’une femme dont le parcours vous a marquée ? Je suis sûre qu’il y en a plusieurs.

Il y a Oumou, qui nous a déjà ramené 14 nouvelles patientes. Juste hier, elle a amené deux femmes. Oumou passe tout son temps lors des jours de marché à sensibiliser et à poser des questions : « avez-vous des cas de fistules chez vous ? Les femmes qui sentent les urines ? Si vous en avez, moi, j’ai quelqu'un qui traite gratuitement ». Et elle fait passer le message. 

Pendant son passage ici, Oumou avait choisi de faire de la couture. Elle a bénéficié des fonds de réintégration, d’une machine, et elle a appris à son mari à faire de la couture, puis le mari a appris à d’autres également. 

Ce qui est intéressant dans le modèle du Centre Dimol, c'est que la femme entre dans une position presque de victime et elle ressort en position d’actrice du changement. Elle est autonomisée personnellement, mais, elle change aussi la société. C’est très transformatif.

Les patientes entrent au Centre Dimol en tant que victimes et elles ressortent en tant que leaders. Il y en a qui ne les reconnaissent même plus, tellement elles ont changé. Quand une patiente retourne au village, elle est guérie, toute propre, bien habillée, avec des connaissances que les autres n’ont pas, et avec des fonds et du matériel ou du bétail que les autres n’ont pas. 

Elle accompagne des membres du Centre Dimol qui expliquent qu'elle est guérie et qu'ils doivent l'accepter et cesser de la stigmatiser. On explique devant tout le monde que l’argent et les matériels qu’elle a sont pour son activité, et pour financer de futures césariennes ou autres opérations, donc il ne faut pas les lui prendre. 

Et les femmes en général n'ont pas de difficultés quand elles rentrent, parce que vous faites un accompagnement. Vous avez dit que vous parlez avec la communauté, aux leaders et aux familles.

Oui, la sensibilisation c'est d'abord avec la famille. L’agent santé nous accompagne auprès des autorités pour leur dire que l'ONG va intervenir vers tel endroit, et voilà ce qui nous amène. Pour les patientes qui sont guéries de la fistule obstétricale, là, l'infirmier nous accompagne jusqu'au village. Parfois les infirmiers découvrent les localités qu’ils ont l'habitude d'écrire « banalement » alors qu'ils n’ont jamais été sur le terrain. Et quand ils se rendent compte de l'éloignement, des distances que parcourent ces femmes, alors ils prennent maintenant au sérieux les cas des femmes qui viennent de ces villages. Une fois arrivées dans le village, les femmes témoignent de leur vécu. Mais l’agent de santé a l’obligation aussi de parler. Il fait aussi son plaidoyer. Il dit ce qu'il attend les habitants de ces villages ou de cette communauté, qu'ils viennent vite pour les soins pour pouvoir guérir rapidement plutôt que d'être évacués car c’est coûteux. 

Au niveau de la famille, on fait aussi le plaidoyer auprès des hommes. On les met à témoin pour leur dire que la fistule n'est pas facilement guérissable, ça demande beaucoup de fonds, ça stigmatise, ça traumatise les filles. Alors, si vous évitez le mariage des enfants et les donner la chance d’aller à l’école, si vous évitez aux filles d'attendre avant d'aller aux soins, et vous leur permettez d'aller faire les consultations et les accouchements assistés à la place, vous n'aurez plus de cas de fistule. 

Et enfin, on responsabilise les chefs de village, en leur disant : si toutefois dans ce village, il y a un cas de fistule, c'est vous qui êtes responsables parce que vous êtes avertis. Vous l'aurez cherché, parce que, nous, on vous a prévenus. Et vraiment, ça marche: dès qu’un femme est malade, ils disent: faut aller vite au dispensaire et une autre femme doit vous accompagner. Alors ils ont toutes les informations sous la main et ils les respectent. 

Si vous évitez aux filles d'attendre avant d'aller aux soins, et vous leur permettez d'aller faire les consultations et les accouchements assistés à la place, vous n'aurez plus de cas de fistule. 

C’est super de voir la réussite de cette approche. J’imagine que vous rencontrez quand même quelques difficultés. Quelle est la plus grande d’entre elles ? 

La grande difficulté c'est l'incompréhension des autres vis-à-vis de la fistule. La fistule se trouve dans des zones reculées ou éloignées, dans des zones enclavées. Si vous n’y allez pas, on ne vous écoute pas, les gens ne prennent pas la lutte au sérieux. Pour lutter contre la fistule les gens ne parlent que de l'opération, encore et encore. Moi je dis, ce n’est pas l'opération qui va éradiquer la fistule. L'éradication de la fistule passe par la prévention. Premièrement, il faut bannir le mariage des enfants et il faut promouvoir l'accès aux services sociaux de base de proximité rapide. Deuxièmement, il faut amener les parents à comprendre les risques qu'il y a si on ne fait pas de consultations prénatales et d’accouchements assistés. 

Le Centre Dimol peut accueillir environ 50 femmes, mais la fistule atteint des milliers de femmes au Niger. De quoi auriez-vous besoin pour soutenir davantage de femmes ?

Il nous faut plus d’espace. Il faut pouvoir avoir la capacité d'héberger plus de femmes et mieux agencer la prise en charge des cas, et faire un meilleur suivi. Il faut aussi de l’espace pour les formations que nous faisons en couture, vannerie, tissage, tricotage, etc. Ces formations ne sont pas destinées seulement aux victimes de fistules. Nous avons les femmes des groupements féminins qui viennent acquérir des connaissances pour lutter contre la pauvreté. Nous, on se dit que le problème de la fistule est un problème aussi de pauvreté. Pour éviter les complications à ces femmes, si elles accèdent aux formations pour l'autonomisation économique, elles peuvent lutter aussi contre leurs problèmes de santé. Et ça marche parce que lorsqu’elles viennent pour l'autonomisation, ça leur permet d'écouter les causeries, et ça enrichit les femmes. On a besoin d’espace pour faire tout cela. 

Il faut mobiliser des ressources par rapport à la création d'un Centre où nous allons proposer des formations pour les femmes, les ONG ou les associations, les décideurs communautaires, et autres. On a beaucoup à partager…mais où le faire ? 

Nous souhaitons aussi faire plus de travail au-delà de la question de la fistule. On veut prendre en charge les femmes qui ont subi des violences basées sur le genre. On veut soutenir davantage l'autonomisation économique de la femme. Pour augmenter notre impact, il faut plus de place et plus de ressources. 

Malgré les défis, on voit que vous avez beaucoup de fierté et de joie. Quand nous sommes arrivées au Centre tout à l’heure, j’ai vu comment votre visage s'est illuminé. Qu’est-ce que vous ressentez  à chaque fois que vous entrez ici ? 

Oui, quand je rentre et que je vois surtout l'environnement qui est sain et propre, quand je vois les femmes toutes propres, quand je vois les dispositifs que moi j'ai organisés qui sont en place, ça me donne de la fierté. Ça me donne de la fierté d'autant plus que je me dis au moins il y en a qui écoutent ce qu'on leur dit. Elles sont présentes. C'est ce que nous avons voulu pour les femmes qui sont là et ont besoin de nous. 

C’est aussi une responsabilité. Tout ce que vous faites comme gestes, tout ce qu’elles entendent, elles prennent cela pour argent comptant. Et donc, on évite de dire des choses qui ne sont pas faisables.

Vous évitez de faire des promesses que vous ne pouvez pas tenir ?

Oui. Et quand on traduit les paroles des visiteurs, on traduit exactement ce que la personne a dit. Parce qu’elles mémorisent tout. Elles n'écrivent pas mais elles enregistrent tout ce qu’on dit. Elles nous rappellent après. Ça me réconforte. Pour moi, c'est vraiment un honneur de voir qu'il y a des femmes qui attendent de nous. 

Est-ce que la prévalence de la fistule a évolué au Niger au cours de votre carrière? Quelles évolutions avez-vous observées ?

Il y a moins de fisules, et les cas sont moins graves aujourd'hui. Avant, on avait des fistules multiples. Maintenant le type de fistule est moins grave, c'est la fistule vésicale. Avant, on avait beaucoup de fistule recto vaginale. Il y avait beaucoup de décès au Niger. On a les dernières statistiques qu'on ne maîtrise pas encore, mais on a quand même une réduction, les décès ont été réduits. Ça déjà, c'est un résultat de voir que même si la fistule est là, au moins, il y a une réduction de la mortalité maternelle et la mortalité en suite de couches. 

Une de nos grandes réussites est que, grâce au fort plaidoyer que Dimol a eu à faire, aujourd’hui, la fistule n'est plus un secret pour quiconque. D'abord, il y a un réseau qui est créé, le Réseau pour l'éradication de la fistule ou REF. Dans les centres mères-enfants partout au Niger on parle de la thématique de la fistule. C'est un résultat pour nous, la fistule a été identifiée comme un problème de santé publique, ça c'est un honneur pour nous. 

Et ce n’est pas qu’au Niger. Je me souviens en 1998 ou 1999, quand j'ai parlé de la fistule lors d'une conférence, il y a un des pays dont le représentant disait : chez moi la fistule n’existe pas. Il ne savait même pas ce que c'était que la fistule. Mais aujourd'hui ce pays reçoit des centaines de millions pour la fistule. Au Burkina tout près, ils ont pris l'exemple de tout ce que j'ai dit. C'est comme si c'était une consultation. Il y a même une dame qui a créé une fondation sur la fistule. Et quand elle m'a vu, elle m’a dit : Mme Traoré, je vous respecte parce que c'est grâce à vous que j'ai eu mes idées de création de la Fondation au Burkina. La fondation s'appelle la fondation RAMA. Ça me fait plaisir. D’ailleurs, on a fait notre atelier de lutte contre la fistule avec un professeur du Nigeria, et ils ont fait un Centre pour la fistule sur le modèle de Dimol. 

Dans la quatrième partie, nous parlerons des femmes qui l’ont inspirée et les changements qu’elle constate vis-à-vis des femmes en tant que participante à la conférence mondiale sur les femmes à Beijing en 1995 mais aussi en tant que défenseuse depuis une décennie contre le stigma attaché à la fistule.

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« Je sais qu’avec mes dix doigts et ma tête, je peux subvenir à mes propres besoins » - Salamatou Traoré (Niger) - 2/4

Nous sommes en conversation avec Mme Salamatou Traoré du Niger. Dans la première partie de notre conversation, nous avons parlé de ce qui a inspiré son choix de construire une carrière dans la santé. Dans cette seconde partie, nous continuons notre discussion avec un focus sur sa carrière dans la santé publique.

Vous m’avez expliqué comment vous avez décidé de commencer une carrière dans la santé publique. Parlez-moi de quelques moments importants de cette carrière.

En 1983, je travaillais dans une maternité publique de référence, d’abord en tant que surveillante. Il n'y avait pas assez d'espace pour toutes les patientes atteintes de fistule: seulement neuf lits alors que le nombre de cas dépassait largement 20 femmes. On allouait les lits pour les cas graves ou urgents, mais toutes les autres étaient obligées d'être dehors, sous les hangars. 

Quand j'ai été promue directrice d'une autre maternité du quartier Lamor Dieng, j'avais 32 lits presque vides, car ils étaient pour les accouchements et il y avait rarement plus d’un accouchement par jour. J’ai donc pris le soin de demander à mon patron qui était également mon professeur, un Français qui s'appelait Docteur Bianchi, si je pouvais faire venir les femmes de l’autre maternité. De 1983 à 1988, elles sont restées avec moi à Lamor Dieng. Là on s'occupait entièrement d'elles. Elles avaient la gratuité de l'alimentation et des produits d'entretien comme le savon, grâce aux dotations de la maternite et les dons qu’on recevait parfois. On corrigeait les infections, et on les préparait à l'opération, et avant leur retour, on leur faisait passer des examens physiques afin d’éviter qu’elles rentrent avec des infections sans même savoir.

C'était vraiment bien et c'est une école que j'ai faite avec ces patientes. Pendant leur séjour, on leur apprenait les règles d'hygiène, les causes et conséquences de ce qu'elles avaient vécu, et comment se préserver après leur retour à la maison. On a fait aussi leur bilan pré-opératoire.

C’est fantastique. 

Mais ça n'a pas duré. Lorsque j'ai été nommée Directrice à la maternité de référence cinq ans plus tard, elles ont été virées de cette maternité à Lamor Dieng et ont dû revenir à la Centrale, sous les hangars. 

Ça reste une grande réussite, malgré les difficultés ! Vous pouvez me parler d’une des décisions les plus difficiles que vous avez pu prendre dans votre carrière dans la santé publique ? 

En 1991, alors que je travaillais comme directrice à la maternité Issaka Gazobi, qu’on appelle aussi la Centrale, j'ai pris la décision de quitter l’administration. J'ai été déçue par mon personnel qui n'aimait pas travailler. Dans mon poste précédent à la maternité de Lamor Dieng, j’avais réussi à convaincre le personnel de l’importance de la salubrité. Dès que j’arrivais, je commençais par vérifier la propreté des toilettes, avant même d’aller dans mon bureau. L'hôpital était aussi propre qu’une clinique privée. 

Quand je suis arrivé à la Centrale, j'ai essayé au maximum d'entraîner le personnel du service public mais je n’y suis pas arrivée. Le vendredi, quand il fallait laver la maternité à grande eau, tout le monde fuyait en donnant des excuses : « Mon mari est malade »; « Je dois amener mon enfant en consultation »… Je me souviens d’un vendredi ou il n’y avait presque personne pour faire le ménage, alors j’ai sorti mon savon (que j’achetais parfois de ma poche) et j’ai fait le ménage moi-même avec trois agents. On a tout désinfecté. 

Je suis rentrée dans le bureau, avec mes vêtements tout mouillés. Je me suis assise et j'ai attrapé ma tête. Je me suis dit : « Au fait, ce que je suis en train de faire dans ce service, ce n'est pas le travail d’une sage-femme, ce n’est pas le travail de ma valeur. Je peux faire plus que  la méchante avec ces gens. » Alors, j'ai pris une feuille. J'ai fait une demande de départ volontaire et je suis allée trouver mon professeur, je lui ai dit : « Docteur Bianchi, je vais partir de la Centrale ». Il m’a écoutée et puis il a éclaté de rire. Il m’a dit : « Moi, je savais que tu perdais ton temps ». C’était un encouragement. 

Aviez-vous du tout les doutes sur votre décision ?

Quand vous êtes en train de chercher une solution, vous ne savez pas ce qui est juste ou ce qui ne l'est pas. A partir du moment où vous trouvez une solution, juste ou pas, vous vous sentez à l'aise. 

Les gens étaient choqués, que ce soit mes collègues ou le staff du Ministère, après réception de ma lettre. « Une directrice qui démissionne ? Comment ça? Pourquoi tu pars ? » Je leur ai dit: « Je n'ai rien de plus que tout le monde, je sais que je rends service à mon État mais chaque chose a ses limites ». La situation m’a dégoûtée parce que je devenais méchante avec tout le monde. Alors j’ai arrêté et je suis partie.

Vous n’aviez pas de craintes pour l’avenir?

J’ai dit : « Je vais créer une clinique privée et voir ce que je peux faire ». Si ça ne marchait pas, en tant que suis sage-femme, je pouvais encore travailler dans d’autres cliniques, c’est quelque chose que je faisais déjà de tenps en temps pour les appuyer pour les accouchements et tout ça. Je sais qu’avec mes dix doigts et ma tête, je peux subvenir à mes propres besoins. J'étais en paix. Je sais que j'ai déçu certains qui croyaient que je tenais à cette maternité en tant que maternité de référence. Mais ils se rendent compte que je suis venue et j'ai fait plus que ça. 

Est-ce qu’il y avait un moment où vous avez senti que d’autres personnes ont vraiment reconnu vos contributions ?

Avant dedémissionner, j’ai rencontré Mme Aïssata Moumouni, la première femme membre du gouvernement nigérien. Nous étions à la conférence sur la maternité sans risque qui se tenait au Niger et à cette époque elle était Secrétaire d’Etat à la santé publique et aux affaires sociales, chargée de la condition féminine. Elle savait qui j'étais grâce aux changements que j’avais fait à la maternité, par exemple pour réduire les risques d’accidents causés par la présence de vendeurs ambulants devant le portail. Elle savait qui j’étais aussi grâce  un article que j’avais écrit sur la santé de la femme dans le journal Femme Action et développement.

Elle a trouvé que j’étais une femme très dynamique, et a décidé de m’envoyer à une conférence régionale sur les mutilations génitales féminines, qui se déroulait au Mali en 1988. A l’époque, tous les pays de la region avaient mis en place un Comité sur les mutilations génitales féminines sauf le Niger. Elle a pensé que j’étais capable de le faire. 

C’est comme ça que le CONIPRAT [Comité Nigérien sur les Pratiques Traditionnelles ayant effet sur la Santé des Femmes et des Enfants] a été créé en 1989. Après la conférence au Mali, j’ai collecté beaucoup d'informations de gauche à droite. J'ai fait le montage et ça a marché. J’étais la Secrétaire Générale et une autre de mes anciennes monitrices était la Présidente. J’y ai travaillé jusqu'en 1996. 

En 1998, j'ai créé une clinique privée et personnelle, Dimol, et c’est parti.

Mme Traoré a fondé le centre DIMOL pour soutenir les femmes souffrant de la fistule obstétricale. Nous parlerons plus du centre dans la troisième partie de notre conversation.

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« Mon père m’a éduquée comme un garçon » - Salamatou Traoré (Niger) - 1/4

Au cours d’un voyage à Niamey en Août 2019, Françoise a pu rendre visite à Madame Salamatou Traoré et son ONG, Dimol. Dans cette conversation, Mme Traoré parle de sa vie et de sa carrière en santé publique (Partie 2), sa mission d’aider les femmes souffrant de la fistule obstétricale à transformer leurs communautés (Partie 3) et ses opinions sur le féminisme (Partie 4).

Bonjour Mme Traoré, et merci de vous prêter au jeu de l’interview Eyala. Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

Je m’appelle Mme Salamatou Traoré. Je suis infirmière et sage-femme de formation. Je suis Nigérienne et très à cheval sur la défense des droits des femmes : voilà ce qui me caractérise. Je n’aime pas qu’on sous-estime une femme ou qu’on viole ses droits. Je souhaite vraiment le bien-être des femmes. 

Pourquoi avez-vous voulu devenir infirmière et sage-femme ? Quand est-ce que la santé a commencé à ’être une chose importante dans votre vie ? 

J'étais quelqu'un qui connaissait tous les problèmes de santé assez tôt. Mon papa était militaire et après il a été infirmier dans la vie civile. Il était dans toutes les régions. Il a servi au Niger et au Burkina. Je le voyais souvent aller en brousse, sur son cheval pour faire l'évacuation sanitaire avec son fusil sur l'épaule. S’il revenait avec du gibier, je savais que sa mission était une réussite, car il avait eu le temps de faire la chasse au retour. Si sa gibecière était vide, je comprenais que le malade était mort. 

Lorsque je lui ai fait cette remarque, il a constaté que j'étais très habile, et que je le connaissais parfaitement. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble. Mon père m’a éduquée comme un garçon. C’est moi qui l’aidais pour faire les travaux dans la cour ou pour faire la salubrité du quartier. Je poussais ma brouette et mes balais: je balayais et il ramassait. Je montais sur le toit pour faire des réparations. J'étais comme un petit garçon à côté de lui alors que les garçons de la maison étaient en train de dormir. Je portais ma culotte. J'étais vraiment libre, pas comme toutes les filles. C’est bien après que j’ai compris à quel point mon père était différent dans son rapport aux enfants. Mon père a protégé toute les filles de la famille de l’excision. Dans ma famille, toutes les filles ont réussi. 

Donc votre choix de devenir infirmière, c'était pour rendre hommage à votre père?

Oui. Au moment où j'avais découvert que j'étais admise au concours des infirmiers, il m'a dit : « Salamata, je veux te dire quelque chose. Si réellement c'est l’argent que tu cherches ne va pas à la santé, tu ne trouveras pas l’argent à la santé. Mais si tu veux la reconnaissance et les bénédictions des patients, là tu peux aller à la santé. » Je lui ai dit : « Je veux être comme toi, Papa. »

Mais il y a aussi une autre chose qui m’a convaincue de travailler dans la santé. Un jour, quand j'avais 13 ans, je suis allée à l'Hôpital National pour apporter quelque chose à manger à ma grande sœur qui était de garde au service maternité. Quand je suis arrivée, j’ai vu une fille dans le couloir qui marchait difficilement. Elle avait un tuyau à la main, et elle marchait en s’appuyant sur un bâton et sa maman était là pour l’aider. J’ai remarqué  qu’elle n'avançait pas vite, et qu’il y avait de l'eau qui suintait à son passage. Elle pleurait et tremblait, je sentais qu’elle avait très mal. Quand ma grande sœur est arrivée, et je lui ai demandé ce qu’elle avait, cette petite-là. Elle m’a expliqué: « Ce n'est pas une petite, mais une nouvelle mère. Elle vient d’accoucher mais maintenant elle a la fistule, donc elle n’arrive plus à retenir ses urines. En plus, son bébé est mort. » 

Ça m'a choquée de voir une petite fille toute maigre et plus jeune que moi, qui déjà mariée et avait accouché d'un enfant mort, et maintenant était malade. Moi, la fille de fonctionnaire, j’étais très forte et bien nourrie, mais elle, qui venait de la brousse, elle souffrait et ne pouvait pas retenir ses urines. Je me suis dit là, il y a un problème.

Alors, ça m'a guidée. Arrivée à la maison, j’en ai parlé à mon papa et je lui ai posé beaucoup de questions. J’ai appris que quand l'accouchement est difficile, l'enfant meurt et la femme meurt. Il m’a dit : « cette petite fille, c'est une rescapée de la mort ». J'ai gardé ça en tête, et j’ai dit, moi je vais faire la santé. Au total, j’ai travaillé dans le secteur de la santé pendant 25 ans: huit ans en tant qu’infirmière et sage-femme le reste du temps.

Dans la seconde partie, nous parlerons de la carrière de Mme Traoré dans la santé publique. Cliquez ici pour lire la conversation.

Lisez plus sur la fistule obstétricale ici: Fistule obstétricale | Fonds des Nations Unies pour la population (unfpa.org)

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