« Nous devons canaliser toute notre colère afin de préserver les droits concernant l’avortement qui existent déjà » - Dr Satang Nabaneh (Gambie)

Par Jama Jack

Une récente fuite a révélé l’intention de la Cour suprême des États-Unis d’annuler l’arrêt historique Roe v. Wade qui garantissait des protections constitutionnelles fédérales pour le droit à l'avortement dans le pays. Une indignation légitime a résulté de cette fuite, avec des appels à la résistance pour s’assurer que le droit à l'avortement reste accessible à toutes les personnes qui accouchent, partout dans le monde.  

Si cet événement affecte directement les États-Unis, les répercussions sur le droit à l’avortement, et d’un point de vue plus large, sur les droits sexuels et reproductifs dans la communauté internationale sont évidentes. 

Nous avons discuté avec le Dr Satang Nabaneh, universitaire et militante féministe originaire de la Gambie à propos de la récente évolution de la situation. Satang a mené des recherches approfondies sur le droit à l'avortement en Afrique. Elle a également participé à la création de mouvements et au plaidoyer politique dans ce domaine. Dans cet entretien, nous parlons de ce que la décision de la Cour Suprême des Etats Unis signifierait pour les pays africains, et la manière dont les féministes Africaines peuvent se mobiliser. Voici notre bref entretien.

Bonjour Satang ! Merci d’avoir accepté notre invitation à parler de cette question importante. Peux-tu brièvement te présenter et expliquer ce que tu fais à notre communauté ?

Je m’appelle Satang Nabaneh, je suis originaire de la Gambie et je vis actuellement aux États-Unis. Je suis universitaire et militante féministe, et fière de l’être. Mon objectif est de lier la théorie et la pratique. Mon travail féministe, à travers l'activisme, la recherche orientée vers l'action et la production équitable de connaissances sur diverses questions dans le cadre d'efforts collectifs continus, est largement orienté vers la remise en cause des inégalités entre les sexes et d'autres inégalités croisées.

Parle moi un peu de ton travail autour du droit à l’avortement. Qu’est-ce qui t’as menée vers ce parcours et à quoi ressemble ton expérience jusqu’ici ?

Je suis née et ai grandi dans une société essentiellement musulmane en Gambie, où le droit à l’avortement est très restreint. Si la religion a une place primordiale dans ma vie, je me considère comme une féministe avec de très fortes convictions pro-choix, et ayant défendu toute ma vie l'autonomie corporelle, la santé et les droits sexuels et reproductifs, ainsi que l'égalité des sexes. C'est ce qui a suscité mon intérêt dans la cocréation du Sexual Reproductive Rights Network, organisé par Think Young Women, une organisation féministe dirigée par des jeunes femmes que j'ai cofondée en Gambie.

En raison de mon désir de longue date de contribuer à la promotion de la justice sociale et reproductive, j'ai plaidé et mené des recherches visant à découvrir comment les lois, les politiques, les facteurs socioculturels et institutionnels affectent la santé et les droits sexuels en Afrique. À l'université de Pretoria, j'ai mené des recherches féministes sociojuridiques pour ma thèse de doctorat, et j’ai un livre à paraître sur l'avortement et l'objection de conscience en Afrique du Sud. J'ai également dirigé plusieurs projets universitaires sur les droits de l'homme, le genre et la santé et les droits sexuels et reproductifs. J'ai été chargée de fournir un soutien technique au rapporteur spécial de l'Union africaine sur les droits de la femme en Afrique, d'entreprendre des actions de plaidoyer pour la mise en œuvre du protocole de Maputo et de former les gouvernements africains et la société civile aux systèmes africains des droits de l'homme.

Aux échelles internationale, régionale et nationale, mon activisme et mes recherches ont été clairement axés sur la remise en question et le développement d'idées sur les facteurs politiques et juridiques déterminants dans le cadre d'un discours plus large sur les droits sexuels et reproductifs liés à l’Afrique.

« Si la religion a une place primordiale dans ma vie, je me considère comme une féministe avec de très fortes convictions pro-choix.»

Il y a quelques jours, nous avons appris par la fuite d’un document de la Cour suprême, que cette dernière envisageait d’annuler l’arrêt Roe v. Wade. Quelles sont tes premières réactions face à ce rebondissement ? 

La fuite indique que la Cour suprême des États-Unis pourrait annuler l’arrêt Roe v. Wade de 1973. Lorsque (et non si) cela arrivera, cela constituera une violation manifeste des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par le pays. Les personnes qui peuvent donner naissance ne devraient pas être forcées à mener des grossesses à terme. Cela représente un éloignement dangereux des normes internationales en matière de droits de l'homme et un geste politique fort signalant une position conservatrice à l'égard du droit à l'avortement. Cela exacerbera l'opposition internationale et nationale à l’accès aux services sexuels et reproductifs tels que l'avortement, le planning familial et l'éducation complète à la sexualité (ECS).

Cela se déroule actuellement au États-Unis, mais l’impact potentiel de cette décision sur le monde est alarmante. À quelles répercussions pouvons-nous nous attendre, et que signifieront celles-ci pour les personnes qui accouchent dans les pays africains ?

En raison du pouvoir et de l’influence des États-Unis, ce qui s’y passe actuellement pourrait sérieusement menacer le droit à l’avortement dans le reste du monde et l’Afrique ne fera pas exception. Malgré l'engagement à faire progresser l'accès à l'avortement, cela révèlera la position des États-Unis sur la question, surtout si les Républicains gagnent du pouvoir, cela affectera également le financement et les politiques dans le pays.

Nous avons vu les implications de la « règle du bâillon mondial », selon laquelle les organisations internationales (non américaines) qui reçoivent des fonds américains ne peuvent fournir un accès, donner des informations ou faciliter l’accès à l'avortement. Le président Joe Biden a mis fin à cette règle lorsqu’il est entré en exercice en 2021. 

Il est important de souligner que l'Afrique a connu des développements régionaux significatifs et des réformes nationales qui ont abouti à ce qu'au moins plus de la moitié des pays africains autorisent désormais l'avortement pour des raisons qui concernent la santé de la femme. Le Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (protocole de Maputo) de 2003 est l'un des instruments les plus complets et les plus progressistes en matière de droits fondamentaux des femmes adoptés par l'Union africaine (UA) et a été ratifié par 42 États membres. Il existe des preuves montrant la progression des pays africains dans l'amélioration de la législation et des politiques grâce à une sensibilisation soutenue, notamment à propos de la libéralisation de la loi sur l'avortement, élargissant ainsi les motifs de viol, d'inceste et de danger pour la santé ou la vie du fœtus.

Et crois-tu que cela suffira à bloquer les retombées des événements aux États-Unis ?

Le renversement envisagé des progrès obtenus grâce à Roe v Wade pose un précédent négatif pour la communauté internationale. Nous avons vu la montée des activités et de la visibilité du mouvement anti-choix sur le continent lié à des acteurs ultra-conservateurs basés dans les pays du Nord. Ces organisations situées localement en Afrique sont financées et affiliées à des acteurs occidentaux en créant des bureaux satellites ou des branches régionales. Elles font des campagnes conjointes et autres stratégies collectives. 

Par exemple, les arguments avancés dans l'affaire de l'enterrement des restes de fœtus en Afrique du Sud, Voice of the Unborn Baby NPC et l'archidiocèse catholique de Durban contre le ministre de l'Intérieur et le ministre de la Santé sont similaires aux arguments avancés dans l'affaire Box v Planned Parenthood de 2019. Dans cette affaire, la Cour suprême des États-Unis a décidé de confirmer la constitutionnalité de la loi sur l'avortement de l'Indiana qui impose à tout clinicien ou établissement fournissant des services d'avortement d'enterrer ou d'incinérer les restes fœtaux plutôt que de les éliminer comme déchets médicaux.

J'ai récemment fait partie d'une équipe d'universitaires et de militant.e.s qui a réalisé une cartographie commandée entre 2020 et début 2021 de la mobilisation contre les droits sexuels et génésiques dans trois pays : le Ghana, le Kenya et l’Afrique du Sud. Nous avons cherché à comprendre la nature transnationale de ce lobbying, les discours principalement utilisés, et l'impact sur le débat public et les sphères juridiques, politiques et éducatives dans les trois pays. Nous avons découvert comment des ONG ultra-conservatrices ont non seulement coopté le discours sur les droits de l'homme, mais également l’existence de liens clairs entre les organisations nord-américaines, qui se décrivent comme « pro-famille », et les groupes locaux du continent africain qui partagent les mêmes idées.

Au fil des années, nous avons également constaté que les représentant.e.s des gouvernements africain.e.s aux Nations Unies étaient du côté conservateur de l’échiquier. Par exemple, les États membres du Groupe africain se sont opposés à plusieurs résolutions relatives aux questions d'éducation complète à la sexualité, d'orientation sexuelle et d'identité de genre. Cela n'est pas surprenant car les organisations conservatrices ont non seulement des liens étroits avec les acteurs de la lutte contre les droits de l'homme en Afrique, mais elles mènent également un plaidoyer ciblé sur les représentants de l'Afrique au sein des Nations Unies.

En substance, je vois une « menace politique » plus évidente pour de nombreux pays africains, notamment pour des pays tels que l'Afrique du Sud qui disposent d'une législation solide, et peut-être une menace juridique pour les pays africains qui veulent faire pression pour une législation plus conservatrice limitant l'accès à l'avortement.

Si cette situation a suscité une grande indignation (à juste titre !), des voix se sont également élevées pour exprimer l’espoir de la mise en place d’une résistance. Que pouvons-nous réellement faire ? Comment crois-tu que les féministes africaines pourront s’organiser et agir pour protéger le droit à l’avortement ? 

Nous devons canaliser toute notre colère pour agir afin de sauvegarder les droits concernant l’avortement qui existent déjà et empêcher tout retour en arrière. Les féministes africaines doivent continuer à se contre-mobiliser et à répondre aux réactions négatives et aux efforts continus pour réduire les droits durement acquis en Afrique. Bien qu'ils ne soient pas monolithiques, les réseaux pro-SRR ont besoin d'une action plus unifiée. Compte tenu de l'agilité et de la présence d'un fort mouvement anti-SRR, nous ne devons pas ignorer les tendances mondiales. À l'ère de la montée des politiques de restauration masculiniste, de la gouvernance autoritaire, de la montée du populisme et de la suprématie blanche, nous devons être stratégiques. Nous devons tirer parti de l'organisation intersectionnelle comme une stratégie qui construit la solidarité entre les enjeux, les organisations et les communautés. Le pouvoir se trouve dans l'action collective !

Absolument ! Nous ne pouvons pas conclure cet entretien sans te poser la question phare d’Eyala : quelle est ta devise féministe ? 

J’ai récemment adopté « Lever les yeux au ciel = pédagogie féministe » tirée du livre Living a Feminist Life (en français : Vivre une vie féministe) de Sara Ahmed. Sara nous rappelle que lever les yeux au ciel est une stratégie du féminisme dit rabat-joie ; un langage commun que nous partageons avec les autres féministes pour exprimer nos opinions en public.

Je suis totalement d’accord ! Nous levons tous.tes les yeux ciel face à cette décision de la Cour suprême. Nous avons apprécié d’avoir ton ressenti, Satang. Merci d’avoir pris le temps de le partager avec nous.

Ressources supplémentaires

Satang Nabaneh, The Status of Women’s Reproductive Rights in Africa, Völkerrechtsblog, 09.03.2022, doi: 10.17176/20220309-120935-0.

Satang Nabaneh, ‘The Gambia’s Political Transition to Democracy: Is Abortion Reform Possible?’ (December 2019) 21(2) Health and Human Rights Journal 167-179.

Satang Nabaneh, ‘Abortion and ‘conscientious objection’ in South Africa: The need for regulation’ in E Durojaye, G Mirugi-Mukundi & C Ngwena (eds) Advancing Sexual and Reproductive Health and Rights in Africa: Constraints and Opportunities (Routledge, 2021) 16-34.

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« Vous avez besoin du pouvoir d'un système de soutien qui vous protège. » - Aya Chebbi (Afrique - Tunisie) 3/3

Nous sommes à la dernière partie de mon entretien avec Aya Chebbi, et je dois avouer que son histoire me fascine. Nous avons parlé de son identité panafricaine et comment cela a influé sur son travail (Partie 1) ; ses expériences pendant la révolution tunisienne et son travail comme Envoyée de l’UA pour la jeunesse (Partie 2).

Dans cette dernière partie, on parle de féminisme, d’engagement communautaire féministe et de navigation des espaces patriarcaux.

Quand tu as parlé au W7 à Paris, la première chose que tu as faite a été de te présenter comme féministe. Ça veut dire quoi pour toi d’être féministe ?

Être panafricaniste signifie être féministe, je ne fais aucune distinction entre les deux. Je dis toujours qu’il n’y a pas de panafricanisme sans féminisme. Sans les femmes qui ont mené les mouvements de libération.

Si les femmes ne s’étaient pas sacrifiées, si elles n’avaient pas lutté dans  l’ombre pour la libération, il n'y aurait pas d'agenda panafricain. Dans mon esprit, les deux sont intrinsèquement liés, et pour moi, quand je dis panafricain, cela inclut la perspective féministe. Le féminisme, pour moi, c'est la libération de soi en tant que femme. Il ne s'agit pas d'une femme qui vient vous voir et vous dit : « Tu as le droit de faire ça, cette personne ne peut pas te battre à cause de ça. » Si vous n'êtes pas libérée et que vous ne pouvez pas être vous-même dans chaque espace, pour moi, vous ne pouvez pas venir me donner des leçons de féminisme.

Quel a été, d’après toi, le moment déterminant de ce parcours dans ta vie ? Il ne s'agit pas nécessairement du moment où vous tu t’es dit « C’est bon, je suis féministe », mais d'un moment que tu considères comme charnière dans ton parcours en tant que féministe jusqu'à présent. Il peut s’agir d’un moment de transformation, ou de réalisation.

Je pense qu'il y a de nombreux moments, mais lorsque j'ai commencé à voyager et à me concentrer sur les jeunes, faire partie de cercles de femmes ; ces choses m'ont ouvert les yeux, car j'étais aussi dans une bulle où les définitions du féminisme, de la sororité et de la féminité peuvent être restrictives. En entrant dans ces nouveaux espaces, j'ai réalisé qu'il y avait tellement plus que cela et j'ai eu le sentiment de faire partie d'un plus grand mouvement. Je fais partie – à l'époque, je n'en avais même pas conscience – de la sororité ou plutôt d'une communauté de femmes qui se battent pour leurs droits, qui y croient et qui vous font croire que nous pouvons y arriver. Je pense que de nombreuses conversations avec des femmes m'ont inspirée. Qui plus est, je suis fille unique et toute ma vie, j'ai grandi entourée d'hommes, pas de femmes. On m'avait toujours dit que les femmes sont jalouses les unes des autres et je me suis sentie par mes amies. La première fois que j'ai reçu le soutien d'une femme a été un moment fondamentalement déterminant pour moi.

« La première fois que j’ai reçu le soutien d’une femme a été un moment fondamentalement déterminant pour moi. »

Cela a complètement changé mon idée de ce qu’une communauté de femmes était. Que le soutien était là du fait que, je te soutiens parce que tu es une femme et je comprends ta douleur. C'est aussi à ce moment-là que j'ai réalisé que dans ma vie, j'avais besoin d'un système de soutien. J'ai besoin que des femmes fassent partie de ma vie. Je pense que cela définit aussi mon féminisme, parce que lorsque vous vous battez pour le féminisme, au bout du compte, vous êtes un peu une amatrice dans des espaces masculins sans vraiment vous battre avec d'autres femmes. Cela n'a aucun sens. Le mouvement féministe mondial avait du sens pour moi, parce que je ne me définissais pas, avant, comme faisant partie du féminisme mondial, de la quatrième vague de féministes, parce que je ne suis pas d'accord avec l’idéologie. Pour moi, tout prend son sens si une femme vient me serrer dans ses bras et dans ce moment sincère de sororité.

Je vois. Donc ton expérience féministe se manifeste dans les moments de partage, d’affection et de bienveillance plutôt que dans les grands discours ? 

Absolument. Le cercle Eyala qui s’est tenu à Vancouver a été très bénéfique pour moi. C'était si apaisant d'être dans un espace sûr, même sans rien dire. Je n'ai jamais appris à être vulnérable, et c'est si difficile. Il m’est encore très difficile de me trouver dans un espace sûr et de pouvoir être vulnérable et de partager ma propre expérience. Mais entendre d'autres personnes me donne du pouvoir, et il est possible de partager la douleur sans dire un mot. C'est tellement utile.

Il existe cependant des espaces, et tu évolues dans un certain nombre d’eux, où l'on ne te laisse pas être féministe. Quand je vivais en France et que je m'intéressais aux questions liées au fait d'être une femme noire en France, à tout le mouvement contre le racisme, et même au mouvement panafricaniste, il y avait ce refus d'intégrer les questions liées à nos défis particuliers en tant que femme africaine. Je ne peux qu'imaginer que c'est la même chose pour toi aujourd'hui encore. Est-ce un phénomène que auquel tu es confrontée ou pas du tout ? Comment cela se manifeste-t-il et comment t’en sors-tu ? Comment négocies-tu ?

Je pense que c'est pire parce que tu es jeune et que tu es une femme. C'est comme si tu avais commis un double crime. C'est un aspect sur lequel j’essaie encore d’avancer, parce qu’à chaque fois que j’y pense... le patriarcat est si créatif. Chaque fois que je me dis : « Je peux gérer ça, je me retrouve dans telle situation, je sais comment remettre les gens à leur place. » Et puis le patriarcat arrive d'une manière différente, se manifeste différemment.

J'ai aussi vécu une expérience horrible en France, lorsque j'ai prononcé un discours au Forum Génération Égalité à Paris, à l'été 2021. Je portais fièrement ma robe et mon châle africains, je faisais partie d’un panel avec Melinda French Gates, la Première ministre Sanna Marin et la ministre Elisabeth Moreno. Le discours a été publié par le média Brut et est devenu viral et j'ai reçu les commentaires et les messages directs les plus islamophobes et misogynes de ma vie. J'ai dû me déconnecter des réseaux sociaux pendant une semaine. 

En diplomatie et même dans les espaces où les personnes sont le plus éduquées, le pouvoir entre toujours en jeu, et cela complique les choses. Comment gérer cela ? Honnêtement, j’y travaille toujours. Je me sens bien dans ma peau quand je suis juste moi, libre, audacieuse, sans complexes et j’essaie de ressentir ces sentiments davantage et d'emmerder le patriarcat.

Comment arrives-tu à canaliser ce pouvoir, en tant que jeune femme, africaine, nord-africaine qui s’exprime au nom de l'Afrique ? Comment avances-tu et négocies-tu ces moments où le patriarcat s'installe, car il peut être si dévastateur pour certains petits détails ?

J'en parlais hier, dans un groupe avec des jeunes marocain.e.s. Nous parlions du harcèlement et des gens qui veulent me voir échouer. Un mécanisme qui fonctionne pour moi, que j'ai commencé il y a trois mois, consiste à écrire des journaux intimes et à traiter les gens comme des personnages. Que ce soit le patriarcat ou les personnes qui veulent m'utiliser, me manipuler, les personnes qui veulent m'instrumentaliser ou les personnes qui veulent me voir échouer, j'observe simplement leur comportement. 

Je me souviens que les trois premiers mois, je réagissais de manière virulente aux attaques et je me sentais frustrée. Cela ne fonctionne pas dans le monde de la politique et de la diplomatie et cela ne permet pas de se faire des ami.e.s. Et je pense qu'une fois que j'ai commencé à écrire, j'ai commencé à prendre mon temps pour absorber tout ce qui arrivait et y faire face. Et je pense que cela m'a aidé à gérer certaines situations difficiles. J'ai commencé à sourire davantage lorsque les autres sont mal à l'aise avec ma présence, mon opinion ou ma manière de diriger. 

 Selon toi, quel aspect de ta personnalité fait de toi une militante féministe accomplie ?

Je ne suis pas certaine d'être une féministe accomplie.  J’estime avoir réussi lorsque j'atteins mes objectifs. Je n'ai pas l'impression d'avoir accompli ma mission, donc je n'ai pas l'impression d'avoir réussi. Le succès pour moi n'est pas évident, donc je ne sais pas. Je dirai que je suis une source d'inspiration, oui, parce que je vois beaucoup de gens changer des choses après notre rencontre et cela me touche beaucoup. Je ne le vois pas cependant comme un succès.

Ce qui me pousse à aller dans certains espaces ou me donne ma plateforme, puise sa source dans mon enfance. Mon père et moi vivions comme des nomades. J'ai vécu de nombreuses expériences qui m'ont fait comprendre la diversité. Même lorsque j'ai commencé à voyager, à rencontrer des gens qui ne me ressemblent pas, qui sont différents à tous points de vue, en idéologie, en expériences, etc. J'y ai été préparée par 20 ans de déplacements en Tunisie et de compréhension de notre mosaïque. Je ne voyais pas cela comme quelque chose à gérer, mais comme quelque chose de naturel.

Lorsque j'ai commencé à voyager et à croire vraiment en la vision panafricaine, à la porter, à convaincre les gens et à recruter des gens, les gens ont cru en moi ou m'ont rejoint parce que je les accepte sous toutes leurs formes. Je ne savais pas que c'était là mon pouvoir, mais après une décennie, en voyant comment le mouvement s'est développé et comment les gens se le sont approprié et se sont auto organisés, je suis fière de dire que j'en ai fait partie en tant que Tunisienne, malgré tous les stéréotypes à mon sujet. Grandir avec les valeurs de l'intégration des personnes au-delà des différences et de la diversité est la meilleure chose qui soit.

« Grandir avec les valeurs de l’intégration des personnes au-delà des différences et de la diversité est la meilleure chose qui soit. »

Qu'est-ce qui te donne le plus grand sentiment de réussite en tant que femme, en tant que féministe ?

Honnêtement, il y a tant de choses. Certaines d'entre elles sont très personnelles. Il y a ce grand changement de politique auquel j'ai participé en Tunisie, où nous avons modifié la loi qui permettait aux violeurs d'épouser des survivantes, et où nous avons réussi à faire reculer une loi qui disait que les femmes étaient complémentaires des hommes. Nous avons eu d'énormes manifestations, et les hommes étaient en première ligne avec nous, et ces grands moments de victoire sont très agréables en tant que féministe. Cependant, au quotidien, c'est vraiment tout ce que vous pouvez faire pour emmerder le patriarcat. Les autres moments où, en tant que communauté et en tant que féministes, nous nous rassemblons et nous nous sentons habilitées, ça me comble aussi. Et c'est tellement beau.

L'une des choses que je constate depuis que j'ai lancé Eyala... Je me rends compte, au fur et à mesure que je parle avec les gens et qu’elles partagent leurs expériences, que prendre la décision de vivre sa vie d'une certaine manière ou de se libérer, comme tu l’as dit, c'est parfois une grande décision, et parfois une petite. Quelle est la plus grande décision que tu aies eu à prendre ? Quel conseil donnerais-tu à quelqu'un qui hésite et ne sait même pas comment s'y prendre ?

Je pense d'abord à revendiquer son droit de choisir, d'être. J'ai pris de nombreuses décisions qui me semblent libératrices en commençant par ma famille, même si les conséquences ont été difficiles, surtout pour mes parents. Ma famille élargie est très conservatrice, sur le plan religieux. Il y a des traditions, des cultures, des valeurs spécifiques, ils ne comprendraient pas pourquoi je vis de cette façon où pourquoi j’ai certaines croyances. Finalement, tout le monde est fier de ce que je représente. Ils me voient enfin. Je pense que la plus grande décision que j'ai prise a été de m'opposer aux aînés de la famille et de dire simplement : « Voilà qui je suis ». 

Laisse-moi te contextualiser ce que je veux dire. J'ai été adoptée par le frère de mon père. Mes parents biologiques avaient déjà quatre enfants à ma naissance, et mon père a décidé de me « donner » à son frère pour qu'il m'élève comme son enfant. Nous avons quitté le village quand j'avais quatre ans, mais nous y retournions à chaque vacance. Nous sommes très liés au village, et à ma grand-mère. Le père qui m'a élevée est féministe, même s'il refuse de l'admettre. Mais il a eu le pouvoir de l'être, le droit de se rebeller, et quels que soient nos désaccords, mon droit de choisir était garanti. 

L'année de mes 18 ans, les choses ont changé car j'avais désormais ma propre vie, et je prenais mes propres décisions. Toute cette année-là a été difficile pour moi. C'était une année scolaire déterminante à cause du baccalauréat, mais aussi une année où mon père est parti en République démocratique du Congo pour une mission de maintien de la paix de l'ONU. Je suis très attachée à mon père, mon féministe, j’étais seule avec ma mère qui a dû elle aussi faire face à tant de pression. D'abord, après que j'ai eu mes règles, les gens ont commencé à me considérer comme une femme et non plus comme une enfant et ont commencé à me dire de ne pas faire certaines choses. Mes parents biologiques se sont également sentis investis d'un droit. Ils ont commencé à dire : « Nous avons notre mot à dire dans ta vie. Tu ne peux pas te comporter comme ça, porter ça ou autre chose. »  Nous sommes allés au village pour le mariage de ma sœur, et j'ai eu un désaccord public avec mon père biologique devant toute la famille étendue conservatrice, le village, la communauté. Vous m'imaginez, moi, cette petite chose debout devant l'aîné, en désaccord public avec lui : « Tu sais quoi ? je refuse d’aller à ce mariage et je vais porter cette robe. » Et puis ma cousine a dit : « Si Aya n'y va pas, je n'y vais pas ». C'était un vrai bordel. Et même la mariée attendait que je prenne une décision. 

Alors, ça c’est tellement de pouvoir ! Et qu’est-ce qui s’est passé après ça ? Qu’est-ce que tu as décidé ?

À ce moment-là, j'ai réalisé ce qui peut arriver lorsque l’on s’exprime ouvertement. À ce moment-là, vous êtes cette fille silencieuse, et vous vous dites : « Je suis face à l’oppression, que dois-je faire ? » Je n'aurais jamais rien fait dans ma famille si je ne savais pas que mon père était féministe parce qu'il me soutient et me protège. Il n'était même pas là, mais je me sentais habilitée à être moi-même. J'étais confiante. J’ai pensé : « J'ai mon père. » Vous avez besoin du pouvoir d'un système de soutien qui vous protège. Je dirais: Défendez vos droits et ne parlez que si vous avez une protection, un système de protection qui peut vous tirer d'affaire, que ce soit votre père, votre ami.e, votre camarade. Créez cet entourage pour vous soutenir, pour votre bien et soyez radical.e. 

Et parfois, nous devons créer ce système pour nous-mêmes. En tant que féministe, en tant que femme, mais plus généralement en tant qu'Aya, quel livre qui te viens à l’esprit et qui, selon toi, t’a grandement influencée ?

Il y en a beaucoup. Je voudrais commencer par Tahar Haddad. C'est un féministe tunisien qui a écrit un livre en arabe sur les femmes dans l'Islam et la société. Venant d'une société qui se dit libérale et progressiste depuis 1956, puis grandissant dans un environnement oppressif, il m'a confortée dans l'idée que tout commence par la communauté. Il parle beaucoup de politique et de droit, et de la nécessité de faire progresser les droits des femmes, car les femmes sont la moitié de l'humanité et de la société. On ne peut pas paralyser la moitié de la société. J'ai lu beaucoup de livres sur Elissa (également connue sous le nom de Didon), la fondatrice de la cité de Carthage. Les gens disent que son histoire est un mythe, mais je veux croire qu'elle a existé. Chaque fois que j'ai l'impression d'être jugée à cause de ma radicalité, je me replonge dans cette histoire et je me dis : « Si elle l'a fait, je peux y arriver. »

Et quelle est ta devise féministe ?

Dure à cuire, je le dis trop souvent. Je le dis aussi dans les espaces politiques, et la dernière fois que je l'ai dit, c'était au Sud-Soudan, devant la Première Dame et le Vice-président. Et le coordinateur m’a dit : « C’est pas vrai, Aya, tu l'as dit devant la Première Dame. » Cela définit tout simplement, pour moi, ce qu'est une femme à part entière. Je me dis : « Je suis moi-même, une dure à cuire ». Ça me fait me sentir tellement bien.

Et quelle belle manière de terminer notre entretien. Sur du lourd ! J'ai vraiment apprécié notre conversation, Aya. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de partager tout ça avec moi.

Note d’Eyala : Cet entretien a été enregistré pour la première fois par Françoise Moudouthe en juillet 2019. Nous avons effectué des mises à jour en avril 2022 pour refléter les changements et les progrès dans la vie d’Aya depuis ce premier entretien. 

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« Je suis une diplomate qui a un esprit militant. » - Aya Chebbi (Afrique - Tunisie) - 2/3

Je suis en conversation avec Aya Chebbi, organisatrice féministe panafricaine et la première Envoyée de l'UA pour la jeunesse. Dans la première partie de notre entretien, Aya nous a parlé de son identité africaine et de son enracinement dans le panafricanisme. 

Dans cette deuxième partie, nous creusons un peu plus pour découvrir sa vision d’une Afrique unie et unifiée et nous explorons son expérience quant à son rôle en tant que Envoyée de l'UA pour la jeunesse. 

Je voudrais parler de ton style, parce que tu es toujours bien mise. J’ai le sentiment que ça n’est pas uniquement une question de style, mais que tu désires faire passer un message à travers les vêtements que tu portes. Est-ce que c’est le cas ?

Tout à fait. J’estime qu’il s’agit d’une question d’identité et de libération personnelle. Tu sais, nous grandissons en mettant ce que l’on nous dit de mettre et il y a des standards de beauté particuliers, surtout en tant que femme. Mon expérience capillaire m’a fait réaliser que la manière dont je suis perçue reflète qui je suis. J’ai été harcelée à cause de mes cheveux naturels et donc j’ai pris l’habitude de les couper très courts, mais ensuite j’ai été obligée d’avoir les cheveux lisses. Ma mère les enroulait dans de longs collants tous les soirs pour qu’ils soient disciplinés le matin. Dès que je prenais une douche, je devais aller au salon de coiffure. C’était normal dans ma famille. 

Lorsque je suis allée à l’université, je n’avais plus le temps ni l’argent pour faire ça et je me souviens avoir été choquée de découvrir que j’avais les cheveux bouclés. J’adorais être au naturel, prendre simplement une douche et sortir en laissant mes cheveux tels quels. Dans ma famille les 2-3 premières années, on me disait « Va t’arranger, tu ne ressembles à rien. C’est quoi cette coiffure ? C’est n’importe quoi ». Les cheveux lisses étaient la norme. Je me suis rendue compte que mes cheveux étaient politiques et je les ai utilisés pour montrer qui je suis et que j’aime les porter au naturel. Cela demande du courage également de porter certaines de mes tenues et d’entrer dans une pièce. Je ne porte ni de tailleur ni de jupe cintrée ou une tenue que la société estime qu’une jeune femme ou ce qu’une diplomate doit porter, même dans les couloirs de l’Union africaine. 

« Je me suis rendue compte que mes cheveux étaient politiques et je les ai utilisés pour montrer qui je suis et aimer cela. »

Mon identité panafricaine m’a permis d’avoir le courage d’affirmer : « C’est ainsi que je souhaite être perçue. J’aime mes boucles d’oreilles africaines. Je ne peux pas les retirer. Elles représentent qui je suis ». C’est pour cela que je m’habille tel que je le fais, parce que c’est une démarche panafricaine pour moi.  Toutes les pièces que je porte proviennent d’une partie de l’Afrique, c’est comme si je disais « Je suis toute l’Afrique en mouvement ». Surtout en Tunisie, j’adore le fait que lorsque les gens me voient, ils commencent à poser des questions du genre : « Oh mon Dieu, d’où est-ce que ça vient ? » et que ça lance une conversation. J’aime beaucoup ça ; j’aime provoquer cette réaction. Cela me permet de lancer des discussions sur l’Afrique en Afrique du Nord, ce qui n’est pas évident à faire. J’ai également remarqué que lorsque je voyage, je blogue sur la nourriture, les vêtements et nombre des personnes qui me suivent veulent aller visiter les pays africains où je me rends. Cela leur fait apprécier la culture ou bien ça éveille leur curiosité à ce propos et j’adore ça. Ça change l’image de l’Afrique.

À quoi ressemble une Afrique unie aujourd’hui ? Si nous pouvions faire vivre le panafricanisme tel que tu l’entends, à quoi ressemblerait-il ? Quelle vision as-tu de cette utopie ? 

Bien que les années 60 m’inspirent beaucoup, je pense que nous avons une vision différente. Les dirigeants ont créé des frontières et se sont battus pour avoir des États-nations. Je pense que c’est l’opposé de ce que recherche ma génération actuellement. Nous voyons une Afrique sans frontières qui n’est pas dirigée en fonction des intérêts personnels ou des frontières coloniales. Les gens pourraient se déplacer partout. Ils connaîtraient l’histoire de la Tunisie, ce que les Tunisien.nes ont fait en 2011. Un enfant Zambien, par exemple, saurait ce que les Tunisien.nes ont changé et cela pourrait l’inspirer à agir. Nous serions puissants sur le plan économique, sans nous soucier de l’impérialisme colonial, nous siègerions aux Nations Unies en ayant un pouvoir décisionnaire. Ma vision de l’unité consiste en une population dont la conscience est africaine. Une définition commune de l’africanité et de l’appartenance à cet espace. C’est également une question de leadership. Sans un leadership panafricaniste, il est facile de vendre nos ressources et nos idées. Nous avons besoin de dirigeant.e.s qui pensent : « Je ne vais pas agir ainsi parce que ça pourrait porter préjudice au Ghana, mon voisin, ou à l’Algérie. Je ne procéderais pas de telle manière car cela pourrait porter préjudice au Kenya. » Une mentalité altruiste, qui pense aux autres pays, au peuple en tant qu’Africain, d’un point de vue idéologique… C’est ce que devrait faire un.e dirigeant.e panafricaniste à mes yeux. 

Tout à fait, un.e dirigeant.e seul.e ne peut pas penser au panafricanisme; une action de groupe est nécessaire. Est-ce ce que tu avais à l’esprit lorsque tu as fondé Afrika Youth Movement ? 

Oui. J’ai appris de la révolution tunisienne, un mouvement sans figure de proue. Je ne crois pas en Ghandi, Mandela, Martin Luther King ou en l’idée d’une personne seule qui lance un mouvement et mobilise les autres. Cette théorie a en réalité effacé de nombreuses femmes de l’histoire. Je crois qu’il existe des dirigeant.e.s et des personnes qui ont une influence ou un impact sur la vie des gens, mais je crois que si ces gens n’en ont rien à faire, il ne se passerait jamais rien. L’idée initiale avec la création d’Afrika Youth Movement était de réunir des jeunes qui, comme moi en 2011, n’avaient aucune idée de qui ils/elles étaient, les rassembler dans un espace et leur dire : « Peut-être que ce que tu es, c’est ça, cette identité ». Je suis très extrémiste dans mon panafricanisme, c’est pour ça que je dis que je « radicalise » la jeunesse, parce que je pose des questions critiques en ayant une idée derrière la tête. Je ne m’adresse pas à elle en disant « Tu es peut-être ceci ou cela ». Je mène mon mouvement en déclarant « Tu es avant tout Africain.e ». J’enrôle autant de jeunes que possible avec cette idéologie d’être africain.e d’abord et de placer les intérêts de notre communauté en premier.

A quoi cela ressemble-t-il? J’imagine que ça doit être une tâche très difficile vu la diversité présente, et ce, même au sein d’une seule nation.

La construction de ce mouvement a pris sept ans, avant mon départ et maintenant, en regardant d'autres mouvements comme Black Lives Matter, que nous considérons comme des mouvements importants et massifs, j’estime qu'il faudrait plus que ce que nous faisons actuellement. Chaque fois que je voyage, je réalise que celles et ceux que je recrute font plutôt partie de l'élite. Et beaucoup de ces jeunes occuperont des postes à haute responsabilité, mais cela ne mobilisera pas la base. Et si mon cousin qui vit actuellement dans le nord-ouest de la Tunisie, à la frontière algérienne, au milieu de nulle part, ne croit pas en cela, alors nous ne ferons rien. Si une révolution éclate demain, ces personnes vivant dans ces endroits ne le sauront pas. Elles ne savent même pas que la révolution a eu lieu. Elles ne savent pas qui est le président. Donc, si nous ne mobilisons pas ces personnes-là, nous n’arriverons à rien.

Est-ce à cela que tu souhaites te consacrer à l’avenir ? Quelle est ta vision pour ce projet ? 

Mon rêve serait que les 300 millions de jeunes en Afrique soient toutes et tous panafricanistes. Si j’avais les ressources nécessaires dans quatre ans, c’est mon objectif. Entre 2012 et 2015, lorsque nous avons créé le groupe Facebook et lancé le mouvement, je suis allée dans 35 pays africains, que j’ai sélectionnés en connaissance de cause, et j’ai profité de la moindre occasion pour rester plus longtemps et organiser des rencontres.  Je me rendais à des conférences mondiales, et j'organisais des réunions sur l’Afrique avec des jeunes africain.e.s en parallèle. Tout était réalisé consciemment. J'avais une stratégie. Je me rendais également très souvent dans les universités, ces grands espaces où je pouvais rencontrer de nombreux jeunes en même temps. 

Avant d'être nommée Envoyée de l'UA pour la jeunesse, j'allais réaliser une vidéo et j'avais commencé une tournée afin de voyager et donner des conférences à propos de la décolonisation dans toute l’Afrique. Mon rêve était de toucher 3 millions de jeunes en un an. En m'inspirant de la révolution tunisienne, je voulais aussi les connecter au mouvement... c'est-à-dire à l'infrastructure. Je recrutais ces personnes et leurs partisan.nes, en rassemblant tous ces mouvements. 300 millions de personnes, c'est énorme, mais je pense que si nous ciblons les bonnes personnes, celles qui disposent d’un public important et du pouvoir de mobilisation, nous pouvons y arriver. Ce n'est pas impossible, nous pouvons le faire.  

Tu as évoqué avoir été inspirée par ce que tu as appris lors de la révolution. En y repensant, comment cette expérience a-t-elle façonné la femme Africaine et Tunisienne que tu es aujourd’hui ?

La révolution m’a changé la vie. Tout d’abord parce qu’à mon avis elle est arrivée au bon moment - l'année de la fin de mes études. Elle est survenue à une période où je me rebellais dans ma famille, je remettais en cause des membres de ma famille qui tentaient de m’opprimer parce que je suis une femme. J’étais assez radicale dans ma famille, mais je n’étais pas politique. J’avais peur d’être une militante ou de parler de politique parce que mon père est dans l’armée et ne peut pas prendre part à la vie politique. Ma mère était harcelée elle aussi parce qu’elle porte le voile. J’ai mis mon énergie dans le bénévolat en faisant de la photographie et des ateliers de lecture dans les hôpitaux pour enfants.

Lorsque la révolution est survenue, je n'avais pas peur et j'étais prête grâce à mon expérience de bénévole. Je suis allée au camp de réfugiés. J'ai rejoint la Croix-Rouge et d'autres organisations. Je vois mon intrépidité comme la conséquence de se trouver à un stade où l’on n’est pas seule et où l’on peut dire : « J'en ai rien à foutre que vous me tuiez parce que je vais gagner et si je meurs, nous aurons un héritage parce que toutes ces personnes vont se lever. » Les gens ont essayé de me frustrer en prenant mon appareil photo, parce que je tenais un blog à l'époque. Je me souviens avoir eu peur de la police toute ma vie, mais la révolution a brisé ma peur du système, de l'institution, de l'establishment. Je ne m'étais jamais sentie aussi puissante de ma vie. Le mot « liberté » avait à nouveau un sens. 

Tu as parlé du blogging et je sais que ton blog, Proudly Tunisian (Fière d’être tunisienne en français, NDLR) est très suivi, même en dehors de la Tunisie. Parle m’en plus en relation avec la révolution. 

La deuxième chose que j'ai apprise pendant la révolution est liée au blogging, car j'avais le devoir de dire au monde ce qui se passait. J'étais vraiment frustrée, et la technologie m'a donné du pouvoir. Lorsque mes articles ont commencé à être repris par des médias internationaux, j'ai vu à quel point ma voix était puissante. J'avais l'habitude d’interpeller le New York Times sur Twitter et de leur dire : « Non, cette manifestation avait tel nombre de personnes, pas tel autre. » Et les journalistes changeaient l’information ! J'ai compris la manière dont je pouvais me faire entendre et de quelle manière je pouvais façonner les conversations. J'ai compris que si je ne m'exprimais pas, je ne changerais jamais les choses.

J’ai aussi appris l’engagement communautaire, car tout était organique et magnifiquement chaotique. J’ai rencontré nombre de mes ami.e.s. actuel.le.s dans la rue. Nous nous organisions toutes et tous sur internet. Nous ne nous connaissions pas et, d'une manière ou d'une autre, nous étions coordonné.e.s. Lorsque Ben Ali est parti, nous avons dû nous organiser pour empêcher d'autres personnes de s'emparer de l'espace politique. J'ai appris que l’engagement communautaire demande du temps et des efforts, qu'elle rassemble beaucoup de gens et qu'elle exige l'inclusion. Les concepts de création de coalitions, d'organisation, de rassemblement des gens, d'écoute des gens, de retour d'information, ont pris tout leur sens au final. Au cours des deux premières années, il y a également eu beaucoup de trahisons et de détournements de notre mouvement. J'ai donc également appris que l’engagement communautaire consiste à observer et à écouter, à ne pas porter de jugements hâtifs, à prendre du recul et à faire participer les gens, car vous aurez besoin de tout le monde. 

« J’ai appris que l’engagement communautaire demande du temps et des efforts, qu’elle rassemble beaucoup de gens et qu’elle exige l’inclusion. »

C'est ainsi que j'ai réussi à créer l’engagement, car l'organisation de la jeunesse est mouvementée, mais celle de la jeunesse africaine, qui est si diverse dans un même pays, avec des ethnies, des clans, des langues différentes, etc. l’est particulièrement. Même les personnes originaires d'un même pays ne peuvent pas s'asseoir et dialoguer. Sans la force de croyance dans le panafricanisme, j'aurais plus d’une fois tout abandonné. C'est ce que j'ai appris plus tard dans le mouvement des jeunes : il ne s'agit pas seulement de gagner le combat, mais aussi de construire en son sein. J'ai appris tant de choses ; il faudrait qu’un jour j’écrive un livre sur une révolution. 

Tu devrais ! Je travaille dans les secteurs des ONG et dans le développement international, et tout ce mouvement d’engagement significatif des jeunes… Je ne sais même pas ce que cela veut dire à ce stade. Lorsque tu as été nommée en tant qu’Envoyée de l’UA pour la Jeunesse, qu’en as-tu pensé ?

C'était une surprise, et je ne m'attendais pas à être sélectionnée, car deux ans avant ma nomination, j’avais organisé un boycott à l’UA en quittant la même salle dans laquelle j'ai prononcé mon discours d’investiture. Un dialogue intergénérationnel avait été organisé et je n’ai pas aimé la façon dont le dialogue avait été organisé. Cela ne ressemblait pas à un dialogue, et ne semblait pas démocratique, j’ai donc quitté la salle avec 20 autres jeunes. 

J’ai tout de même posé ma candidature parce que j’estimais mériter ce poste et parce qu’il s’agissait de la prochaine étape que je désirais franchir dans le système. J'ai également postulé pour le poste d’Envoyée des Nations unies pour la jeunesse, et j'ai fait partie des finalistes. C'était une surprise totale, et j'ai apprécié la façon dont j'ai été sélectionnée. C'était un processus rigoureux et transparent qui a pris plusieurs semaines. J'aime raconter cette histoire pour inspirer les jeunes et leur montrer qu'elles et ils peuvent occuper les postes haut placés qu'elles méritent. Vous n'avez pas besoin de connaître quelqu'un ou de travailler pour votre gouvernement ou parce que vous connaissez ou êtes apprécié à l'UA. Et beaucoup de gens croient encore que mon gouvernement m'a nommée ou que j’ai été pistonnée, mais j'ai passé toute ma vie dans la société civile. Je leur montre aussi que l’activisme peut ouvrir les portes de la diplomatie, de la politique, ou de tout ce que vous voulez. Ce n'est pas le poste qui compte, mais ce que vous voulez accomplir. Les titres ne sont que des vecteurs de changement. Je suis très fière de ce rôle. Je l'adore. J'aime servir la circonscription des jeunes. J'espère lui avoir rendu justice. Je pense que l'UA est très pertinente pour l’unité. 

Et pendant les 2 années que tu as passées à ce poste, quels ont été à tes yeux tes succès ?

J'espère avoir rendu justice à ce rôle et avoir posé des fondations solides pour les jeunes au sein de l'institution. J'ai tout rassemblé dans un rapport consacré à l’héritage dans le but d’amplifier l'impact des jeunes et de montrer ce que les jeunes peuvent faire lorsque davantage d’espaces d’innovation sont disponibles.

J'ai grandi entre la révolution et aujourd'hui, je suis passée de la résistance au système à la volonté d’en faire partie pour changer les choses de l'intérieur. C'était effrayant pour moi. Je ne voulais pas faire de compromis sur mon identité – ma personnalité radicale et bruyante – ni sur mes valeurs. Je suis une diplomate qui a un esprit militant, et ce que je veux être, c'est être un pont entre les générations, entre des systèmes déconnectés. Le problème est qu'en tant que jeunes, nous sommes ces personnes là qui sont radicales et nous dénonçons le système. Mais ensuite, nous ne trouvons pas de terrain d'entente. Parallèlement, il est très frustrant pour moi de m'asseoir dans des salles avec des vieux monsieurs qui n'ont rien à faire de la jeunesse de leur pays. Et ce, au niveau le plus élémentaire. Je ne parle même pas de politique ou de mise en œuvre de mesures particulières. Je parle de convaincre l’autre de la raison pour laquelle elle devrait s’en soucier. 

Parle moi de cette expérience de naviguer ces espaces en tant que jeune, surtout jeune dans une position de leadership. Comment t’es-tu sentie?

Actuellement, je suis épuisée d'avoir tant blâmé le système et je pense que nous devrions trouver un moyen de dialoguer avec les institutions. Cela ne marche pas pour nous de nous organiser simplement en dehors des couloirs du pouvoir. C'est ce qui m'a incité à organiser le co-leadership intergénérationnel, pour dialoguer et trouver des solutions ensemble. Ces espaces existent parce que nous les acceptons, et nous acceptons d'être là, de nous y asseoir pour que nos idées soient mises à profit. Là je pars dans un espace où je vais m’occuper de l’engagement. J’inviterai ces personnes à se rallier à ma cause et à s’engager. Je me sens plus confiante, plus puissante, plus motivée, et personne ne se sert de ma jeunesse. 

Je souhaiterais, après ces deux années, que ce concept soit ancré, que ce soit une normalité, et que chaque espace soit intergénérationnel et dirigé conjointement. Le processus de leadership, de gouvernance, les conversations, tous les sujets de haut niveau dont nous parlons devraient comporter ce co-leadership intergénérationnel. Je vois aussi une différence dans les espaces réservés aux femmes. Je pense que dans ces derniers, les personnes se sentent inspirées par les autres générations et sont plus à l'aise pour parler à une aînée que dans les espaces avec des hommes âgés.   

Je suis d’accord avec toi à propos de cette différence dans les espaces féminins, ou le co-leadership est un modèle que la plupart de ces espaces adoptent. Je sais que tu as parlé de ton expérience en tant que jeune dans cet espace souvent dominé par des vieux monsieurs. Quelle a été ton approche en tant que femme ?

Je suis allée dans ce rôle en tant que femme dirigeante. Mon idée du leadership féminin est collaborative. C'est l'intelligence émotionnelle ; d'unir les gens autour du panafricanisme, autour de l'agenda africain. Les deux sont d'abord liés parce que j'ai le sentiment que nous n’avons aucune idée de toutes ces femmes qui ont contribué à la libération. Je sais au fond de moi qu'il y avait un mouvement massif de femmes derrière tout cela. Aussi, les hommes qui m'inspirent, comme Thomas Sankara, sont féministes. Je ne peux pas considérer que Thomas Sankara était féministe sans être panafricaniste, car il s'est battu pour que l'Afrique soit indépendante et a déclaré que cela ne pouvait se faire sans la participation et l'émancipation des femmes. 

On ne peut pas unir notre continent ou parvenir à quoi que ce soit sans être féministe, sans croire à l'égalité et sans croire que les femmes font fondamentalement partie de la révolution africaine.

Dans la prochaine partie de cet entretien, on parlera de comment Aya est devenue féministe et ses efforts d’organisation de l’engagement des jeunes africain.e.s sur le continent. C’est ici pour cette dernière partie.

Note d’Eyala: Cet entretien a été enregistré pour la première fois par Françoise Moudouthe en juillet 2019. Nous avons effectué des mises à jour en avril 2022 pour refléter les changements et les progrès dans la vie d’Aya depuis ce premier entretien. 

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Nous avons hâte de savoir ce que vous en avez pensé. Vous pouvez écrire un commentaire ci-dessous, ou on pourrait se causer sur Twitter, Facebook ou Instagram @EyalaBlog.

Pour les actualités de Aya, c’est sur Twitter @aya_chebbi

« Je ne me considère pas comme originaire d’une seule partie de l’Afrique. » - Aya Chebbi (Afrique - Tunisie) - 1/3

Une des choses à propos d’Aya Chebbi est qu’elle ne passe pas inaperçue! Elle se démarque à tous égards, que ce soit par les vêtements et les bijoux qu'elle porte, par son langage ou par son approche féministe radicale. 

Lorsqu'Aya a participé à notre tout premier Cercle Eyala, qui s'est tenu à Vancouver en 2018, j'ai remarqué que c'était le plus calme que je l'ai jamais vue. Elle ne disait presque rien, et j'étais curieuse de voir comment elle pouvait être vocale dans des espaces qui exigent que nous le soyons, et combien dans un espace de communauté partagée et de vulnérabilité, elle était très silencieuse, réfléchie et repliée sur elle-même. 

Chaque fois que je vois une personne qui est si extravertie et audacieuse, je suis toujours intéressée à l'entendre, à connaître son histoire. Lorsqu'une personne a une forte personnalité publique, les gens oublient souvent qu'elle a des nuances et des complexités. Lorsque j'ai eu l'occasion de parler avec Aya, je lui ai demandé si elle voulait bien partager son histoire avec moi, et elle a accepté. Je voulais vraiment en savoir plus, et j'espère que notre conversation fera ressortir ces complexités. 

Nous parlons de son identité africaine et de la manière dont le panafricanisme constitue la base de son travail (première partie ci-dessous). Nous avons également parlé de son travail et des leçons qu’elle en a tiré en tant qu'organisatrice pendant la révolution tunisienne et de son expérience en tant que première Envoyée de l'UA pour la jeunesse (partie 2). Nous avons terminé notre conversation par une discussion sur son parcours en tant que militante féministe et sur sa façon de naviguer dans les espaces patriarcaux (partie 3).

C'est parti ! 

Bonjour Aya, merci d’avoir accepté mon invitation. Et quel plaisir de pouvoir discuter en vrai, ici au Maroc ! Je cherchais une manière brève de te présenter tout en rendant justice à tous tes accomplissements… ce n’est pas si facile ! Comment aimerais-tu te présenter ?

La première chose que je dis toujours c’est que je suis panafricaine. Lorsque je fais de nouvelles rencontres, on me demande toujours « D’où viens-tu ? » et quand je réponds que je suis Africaine, on essaie de limiter cette réponse au pays dans lequel j’ai grandi : la Tunisie. Mais je ne me considère pas comme originaire d’une seule partie de l’Afrique.

Je ne suis pas uniquement africaine. Je suis panafricaine. Ce sont deux choses distinctes. Être panafricaine c’est à la fois mon identité et mon idéologie. En me présentant comme telle, je ne dis pas seulement que je suis originaire d’Afrique mais aussi que je veux l’unifier. Comme l’a dit Kwame Nkrumah, « Je suis africain, non pas parce que je suis né en Afrique, mais parce que l'Afrique est née en moi ».

Commençons avec la question de l’identité.

Je viens d’Afrique du Nord ; j’ai une identité méditerranéenne, une identité amazighe, une identité maghrébine, mais également une identité africaine. Et aucune de ces identités n’efface l’autre, tu vois ce que je veux dire ?

Je vis en Afrique du Nord depuis un moment maintenant, et dire que tout le monde ne se sent pas aussi africain.e que toi, serait un euphémisme… 

C’est vrai et je le déplore. C’est parce que nous avons été privés de notre identité africaine. Les choses ont changé après l’indépendance : tout s’est arabisé et islamisé. On ne nous enseigne rien sur l’histoire africaine à l’école, et il y a la barrière de la langue qui rend difficile la lecture d’auteur.e.s originaires du reste du continent.

Dis-moi alors comment est né ton sentiment d’africanité ?

Je pense qu’il résulte de deux expériences que j’ai vécues très tôt dans mon parcours. J’ai rejoint mon père qui travaillait pour l’armée tunisienne dans le camp de réfugiés de Choucha à Ras Jedir. Il l’avait installé à la frontière tuniso-libyenne et il s’en occupait, à la suite du conflit entre les autorités pro Kadhafi et les rebelles libyens. Environ 1 million de réfugié.e.s, essentiellement des migrant.e.s africain.e.s, ont fui vers la Tunisie en passant par la frontière. C’était comme si j’étais dans un livre d’histoire sur l’Afrique. Je m’asseyais et je discutais pendant des heures avec des personnes venant de la « Sénégambie », du Bénin, de la Sierra-Leone et d’autres pays. Un pan de l’histoire dont je n’avais jamais entendu parler. Et pourtant, je me retrouvais dans certains de leurs récits. 

Ensuite, l’expérience de traverser les frontières coloniales et de visiter d’autres pays a été très importante. Mes premières destinations ont été le Kenya et le Sénégal. Je me suis sentie comme chez moi en partageant des repas, en rompant le jeûne et en ayant des conversations à propos de l’islamisation, en apprenant les liens entre le swahili et l’arabe ou en me promenant le long de l’avenue Habib Bourguiba à Dakar. Cette familiarité a été révélatrice, surtout parce que je viens d’un pays où les gens ont de nombreux stéréotypes sur le reste de l’Afrique. 

Et tu as été confrontée à des stéréotypes sur ta propre identité de la part d’autres Africain.e.s?

Lors de mon séjour au Kenya en 2012, j’ai réalisé que la plupart des personnes qui me voyaient ne me considéraient pas comme une africaine. Elles croyaient que je venais d’Espagne ou du Brésil et me surnommaient Mzungu (en swahili : la blanche). Cela a piqué ma curiosité, je voulais savoir pourquoi les gens ne me percevaient pas comme africaine et je leur ai donc demandé. Je leur expliquais presque tous les jours : « Je viens de Tunisie. C’est en Afrique du Nord, je suis africaine. » C’est comme ça que j’ai commencé à revendiquer mon identité. 

Plus je voyageais à travers l’Afrique, plus l’idée du panafricanisme me fascinait. J’ai commencé des lectures détaillant la relation de l’Afrique du Nord au reste du continent ainsi que sur le mouvement africain de libération. J’ai été fascinée par la manière dont les pays sont devenus indépendants les uns à la suite des autres grâce à la solidarité, à l’idéologie de se rassembler en tant qu’Africains pour se libérer. C’est de cette manière qu’est née mon identité actuelle, qu’elle s’est renforcée et qu’elle est devenue politique. Je crois sincèrement que nous sommes bien organisés.

Mon entretien avec Aya a bien commencé en effet. Dans la deuxième partie, nous explorons plus ses réflexions sur le panafricanisme, et on en apprend plus sur ces expériences en tant que première Envoyée de l'UA pour la jeunesse. Cliquez ici pour lire la partie 2.

Note d’Eyala: Cet entretien a été enregistré pour la première fois par Françoise Moudouthe en juillet 2019. Nous avons effectué des mises à jour en avril 2022 pour refléter les changements et les progrès dans la vie d’Aya depuis ce premier entretien. 

Faites partie de la conversation

On a hâte de savoir ce que vous en avez pensé. Vous pouvez écrire un commentaire ci-dessous, ou on pourrait se causer sur Twitter, Facebook ou Instagram @EyalaBlog.

Pour les actualités de Aya, c’est sur Twitter @aya_chebbi

« Me réveiller un jour sans me sentir rebelle, c’est inimaginable » - Dr Tlaleng Mokofeng (Afrique du Sud) - 1/4

Dr Tlaleng Mofokeng, (ou Dr T. comme tout le monde l’appelle) vit plusieurs vies à la fois, les unes toutes aussi fascinantes que les autres. Médecin sud-africaine, Dr T. dirige DISA, une clinique basée à Johannesburg qui se spécialise sur la santé des femmes. Elle est également à la tête du cabinet de conseil Nalane, qu’elle a fondé pour promouvoir la justice reproductive en Afrique du Sud et dans le monde. Le tout en plus de son travail comme Vice-présidente de la Coalition pour la justice sexuelle et reproductive d’Afrique du Sud et comme Co-présidente de l’antenne sud-africaine de Global Doctors for Choice. Et c’est sans compter les émissions télé, les chroniques radio, et surtout son travail d’autrice où elle milite pour la santé et la justice reproductive et sexuelle des femmes et des enfants. Cette femme est une icône!

Je nourrissais donc de grandes attentes pour notre causerie, et laissez-moi vous dire, c’était beaucoup plus inspirant que ce à quoi je m’attendais. Dr T. m’a parlé du parcours qui l’a amenée à choisir l’activisme au lieu de se contenter du confort d’une carrière privilégiée mais silencieuse (1ère partie, ci-dessous). Nous avons parlé de sa voix, et pourquoi il est important qu’elle se présente sans ambages en tant qu’une sud-africaine noire (2ème partie). Puis nous avons décortiqué plusieurs des déclarations choc qu’elle fait dans son livre - Dr T: A Guide to Sexual Health and Pleasure  (3ème partie – à ne rater sous aucun prétexte !). Je ne pouvais laisser Dr T. partir sans parler de féminisme -  rendez-vous dans la partie 4 pour lire sur sa vision et pratique féministe.

Attachez vos ceintures!

Bonjour Dr T., et merci d'avoir accepté mon invitation. Je suis ravie d’avoir cette occasion de parler de ton livre, que j’ai adoré, mais aussi de ton parcours et tes combats. On va commencer par une question simple : comment aimes-tu te présenter lorsque tu rencontres quelqu’un pour la première fois ? 

Je dis : "Bonjour, je m'appelle Tlaleng. Je suis une travailleuse du sexe" (Rires).

Je ne l'ai pas vue venir, celle-là ! Sérieux, tu te présentes vraiment comme ça ?

Ça m’arrive, oui. Je trouve toujours cela comme une question assez bizarre parce que d'habitude, quand les gens demandent « Que faites-vous dans la vie ? », la question qui est vraiment posée c’est : « Quel niveau de respect dois-je vous accorder ? » C’est pour ça que je ne donne pas toujours mon nom complet ni mon titre. Je me contente de dire « Bonjour, je suis Tlaleng » et me fondre dans la masse. En général, après un moment il y a toujours quelqu'un qui vient me demander : « Attendez, vous ne seriez pas Dr T. ? » Et là je réponds : « Oui, c'est bien moi. »

Je trouve très intéressant de voir comment les gens vous traitent quand ils ne savent pas que vous êtes Dr T. et quand ils le savent. Dès qu’ils savent qui vous êtes, le changement est immédiat. Tout d’un coup, telle personne veut une consultation, ou veut parler des douleurs qu’elle a dans le dos depuis dix ans. 

Ça n’a pas l’air drôle. En même temps, quand on est une personnalité publique en Afrique du Sud et dans le monde entier, il faut s'y attendre… Non ? 

Oui, j’imagine que se mettre en scène fait partie du jeu. Mais ce que j'aime, c’est rencontrer les gens, et observer leurs interactions. Je pense d’ailleurs que c'est ce qui fait de moi un bon médecin.  Je n'ai pas besoin d'être constamment au centre de l’attention ; je préfère être un peu à la marge et juste observer.

A cause de cette hypervisibilité, ce n’est pas toujours possible d’être moi-même et de me détendre lorsque je suis en société. Trop de personnes veulent simplement utiliser votre capital social et la proximité qu’elles ont avec vous. La visibilité et la notoriété et tout le reste, pour moi, c’est un prix terrible qu’il faut payer pour pouvoir faire son travail. Je ne me suis pas lancée dans l’activiste en me disant : « Je veux être une activiste pour être connue ».

La visibilité et la notoriété et tout le reste, pour moi, c’est un prix terrible qu’il faut payer pour pouvoir faire son travail.

Pourquoi as-tu choisi l'activisme ? Les médecins que je connais se contentent de traiter leurs patient.e.s…

Depuis toujours, ma mère m'a encouragée à exprimer ce que je pensais. Elle ne m'a jamais punie pour avoir posé des questions ou donné mon avis. Du coup, une fois en faculté de médecine, je me retrouvais à dire des choses du type : « Je sais que vous êtes le professeur, mais je vois bien que dans vos cours sur les IST (infections sexuellement transmissibles) vous n’utilisez que des images des organes génitaux de personnese Noires, alors que pour parler de santé et de bien-être, vous utilisez toujours un homme Européen de 70 kg comme référence. ».

Pendant longtemps, j'ai pensé que c'était normal de m’exprimer ainsi. Mais en faculté de médecine, je me suis rendue compte que mes camarades internes et même les médecins craignaient d’être réprimandé.e.s pour avoir dit ce qu'ils/elles pensaient, pour avoir été en désaccord avec le professeur, ou simplement pour avoir voulu pousser la discussion un peu plus loin. Je leur demandais toujours : « Attendez, vous avez vu ce truc ? » Et tout le monde répondait « oui ». Et j’essayais de comprendre : « Alors pourquoi tout le monde se tait ? Sommes-nous en train de dire que ce qui se passe là est bon ? Pourquoi suis-je la seule à réagir ? »

As-tu trouvé la réponse à cette dernière question ? Pourquoi toi tu prends la parole alors les autres se taisent ?

C'est comme ça que je suis, tout simplement. Tout comme je ne peux pas dissocier Tlaleng du Dr. T, je ne peux pas dissocier mon travail de médecin du fait de m’exprimer haut et fort. Me réveiller un jour sans me sentir rebelle, c’est inimaginable. Accepter les choses telles qu'elles juste parce qu'elles ont toujours été ainsi, c’est inimaginable. Ce sont des sentiments qui me sont complètement étrangers. 

Je pense que devenir médecin m'a donné l'expertise dont j'avais besoin pour confirmer ce que je revendiquais depuis longtemps. Je ne me contentais pas de dire « Je n’aime pas telle ou telle autre chose parce que ça me met mal à l’aise », mais j’avais des preuves scientifiques pour appuyer mes propos. Ça m’a permis d’argumenter avec plus de pertinence, avec plus de clarté, avec plus d'obstination et aussi avec l'arrogance dont j’avais besoin pour répondre aux gens qui me disaient « Tu te prends pour qui ? ». Eh bien maintenant je peux leur répondre : « Alors, je suis médecin et ça fait 12 ans que j’exerce ce métier et c’est exactement ce que je suis. »

Ceci dit, le fait qu’on exige toujours des femmes noires – et des personnes noires en général – qu’elles corroborent ce qu’elles disent de leurs propres expériences de vie avec de la recherche et des diplômes, c’est de la discrimination pure et simple. Ce que je dis depuis que je suis médecin, et ce que j’ai écrit dans le livre, c’est ce que je dis depuis cinq, six, huit, dix ans. Mais maintenant, les gens se disent, « maintenant c’est bon! On peut la considérer comme une experte. » Pendant ce temps, tu as ces hommes et femmes Blanc.he.s médiocres qui se proclament expert.e.s des pays du Sud.

Le fait qu’on exige toujours des femmes noires - et des personnes noires en général - qu’elles corroborent ce qu’elles disent de leurs propres expériences de vie avec de la recherche et des diplômes, c’est de la discrimination pure et simple.

C’est clair. Ceci dit, se faire entendre est une chose et être activiste en est une autre. Pourquoi as-tu choisi de franchir ce cap plutôt risqué.

Je savais que me faire entendre et m'exprimer était tout aussi important pour moi-même que pour la communauté et les personnes autour de moi qui ne pouvaient pas le faire, pour quelque raison que ce soit. En tant que médecin, je suis confrontée quotidiennement aux visages des gens, à leurs émotions et à leur vie privée. Ça n'a rien d'académique. Ce sont des hommes et des femmes de la vraie vie : des personnes en crise, des personnes suicidaires, des personnes violées, des femmes qui ont besoin d'un refuge pour leurs enfants, leurs biens et elles-mêmes.

Les gens tweetent souvent sur la façon dont ils se sentent accablés et bouleversés par les titres de l'actualité. Imaginez donc être ce médecin qui va recoudre un enfant de trois ans souffrant de blessures dues à un viol. Pour moi, ce sont des gens de la vraie vie. Et donc, le sentiment d'urgence et l'entêtement que j'apporte au monde viennent du fait que je vois ces personnes tous les jours.

Par ailleurs, je n'ai pas tellement le choix. Je me souviens avec émotion d'avoir prêté le serment d'Hippocrate, et je sais qu'il va au-delà de la prévention des maladies et du traitement des personnes. Le serment d'Hippocrate parle aussi de défendre les droits de vos patients, et c'est un aspect que je prends au sérieux. Je pense que beaucoup de praticien.nes ont oublié que la défense des droits des patient.e.s fait aussi partie de leur pratique médicale. Récemment, j'ai vu des questions sur Twitter et dans les médias demandant si les universités devraient former des médecins qui se battent aussi pour la justice sociale. Cela me fait rire. Je me demande: que faisiez-vous depuis le début?!

Selon moi, être militante fait partie de ma pratique médicale, de mon rôle de médecin, de guérisseuse. Il s'agit d'améliorer le cadre de vie des gens. Partout dans le monde, les médecins sont très réputés dans la société. Il est important que j'utilise ce titre pour faire quelque chose qui ait un sens pour la société.

Quelle belle manière d’entamer cette conversation. Dans la 2e partie, j’ai demandé à Dr. T. de m’en dire plus sur l’intention derrière la façon dont elle se présente - cheveux afro, rouge à lèvres vif et tout! Sa réponse est un appel retentissant pour toutes les femmes noires dans chaque espace, et chaque jour. Cliquez ici et soyez inspirée!

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« Le peuple est le véritable protecteur de la nation » – Faten Aggad (Algérie) – 4/4

Quelques mois après avoir discuté avec Faten de sujets tels que l’identité, le féminisme et le droit des femmes, des manifestations populaires ont éclaté dans les rues algériennes. Cela a conduit le président Bouteflika à rendre sa démission après vingt années passées au pouvoir. Je ne voulais pas publier l’entretien de Faten sans y inclure ses réflexions sur la situation actuelle dans son pays, et elle a généreusement accepté de répondre à davantage de questions.

Dans les mois qui ont suivi notre discussion, le peuple d’Algérie, ton pays, est descendu dans les rues pour exiger un changement de régime. Et il y est parvenu ! Je sais que le combat est loin d’être terminé et que les Algérien.ne.s font pression pour sécuriser un gouvernement civil, mais je voulais te demander ce que cela représentait pour toi. Quelle a été ta première réaction lorsque tu as appris qu’il y avait des manifestations ? 

Pendant la semaine qui a conduit au 22 février – le jour où la première grande manifestation a eu lieu – j’étais inquiète. Je ne savais pas quelle serait la réaction à un mouvement de masse. Je crois que tous les Algérien.ne.s attendaient de voir ce qui allait arriver. 

Il n’y a eu aucun incident majeur, mais j’étais toujours inquiète. Je me suis dit, c’est le calme avant la tempête. Puis le deuxième vendredi de manifestations est arrivé, puis le suivant. Regarder tout cela se dérouler en étant en dehors du pays était émouvant. Je ne pourrai pas te dire le nombre de fois où j’ai regardé les vidéos et pleuré.

En tant qu’Algérienne vivant à l’étranger, as-tu pris part d’une manière ou d’une autre à ce processus ? Comment penses-tu participer personnellement à ce nouveau chapitre de l’histoire de ton pays ?

En mars, j’ai réservé un billet d’avion pour passer le week-end en Algérie juste pour la manifestation. C’est ce que je fais depuis : je participe aux manifestations en Algérie le week-end et je passe la semaine aux Pays-Bas pour vaquer à mes occupations habituelles. 

C’est un moment de l’histoire du pays que je ne pouvais pas manquer. Mais comme tu dis, ce n’est pas fini. Le combat continue. La jeunesse du pays a montré sa détermination et surtout sa maturité, même si elle été qualifiée de « génération perdue » pendant si longtemps.

La jeunesse du pays a montré sa détermination et surtout sa maturité, même si elle a été qualifiée de « génération perdue » pendant si longtemps.

Qu’espères-tu que les livres d’histoire retiendront de cette période de l’histoire nationale ?

J’espère qu’ils écriront sur le moment où, lors des premières semaines de manifestation dans la ville de Khanchela, dans l’est du pays, les manifestants criaient sur une personne qui avait réussi à grimper sur le toit de la mairie. Elle voulait enlever un grand poster à l’effigie de Bouteflika, qui était affiché à côté d’un énorme drapeau. Les manifestants ont crié : « enlève le poster de Bouteflika, mais laisse le drapeau ». Pour moi, cela a été un moment symbolique qui m’a émue aux larmes parce qu’en gros ils disaient : « nous pouvons te renverser mais nous ne toucherons pas à l’intégrité de notre pays ». Le peuple est le véritable protecteur d’une nation. 

Les Algériennes ont été déterminantes dans le mouvement en cours. Quel a été leur rôle et pourquoi penses-tu qu’elles ont été si actives ?

Je suis contente que tu ne m’aies pas demandé « quel rôle ont-elles joué ? » –  une question que l’on me pose souvent… Les femmes ont évidemment joué un rôle déterminant de plusieurs manières, certaines plus grandes que d’autres. Il était clair depuis le début qu’il était important que les femmes manifestent pour garder le « silmiya » : le caractère pacifique du mouvement. Beaucoup de testostérone aurait été un moyen plus facile de justifier la violence, mais pas lorsque des femmes et des enfants se trouvent parmi les manifestant.e.s. Les gens en étaient conscients dès le départ.

Les femmes sont également au cœur des débats politiques en cours. L'une des questions clés auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui est la suivante : quelle est notre vision de la société dans une Algérie démocratique ? Le rôle des femmes est essentiel, et les organisations de défense des droits des femmes ainsi que certaines personnalités publiques ont pu mettre la question sur la table. En fait, une soi-disant réunion d’une société civile s'est soldée par un échec, notamment en raison de son refus de reconnaître l'égalité des sexes comme un fondement de toute transition démocratique.

Quel est le plus grand changement que tu espères que ce moment apportera aux femmes algériennes ?

Je pense que le mouvement actuel a brisé de nombreux tabous concernant le rôle des femmes dans la société. Il a également permis de mettre en avant les questions liées au genre. La réforme du Code de la famille est considérée comme un indicateur de progrès. À mon avis, il devrait être révisé.

Mais ce n’est pas tout. Un changement politique doit s’accompagner d'une modification fondamentale de la perception du rôle des femmes par la société. Pour moi, cela commence par l’acceptation du fait que toutes les femmes ne suivront pas toutes la même voie. Par exemple, depuis quelques années, il y a cette idée qui prend le terrain, et c’est que la décence de la femme n’est assurée que si elle porte le hijab. Mais je suis optimiste. Il existe un débat solide jamais vu auparavant. Et maintenant que les politiques sont hors de scène, je peux voir davantage de tolérance envers la diversité.


Merci Faten d’avoir partagé ce message puissant. Nous te soutenons toi et tous nos frères et sœurs Algérien.ne.s. Les ami.e.s, j’ai hâte de savoir ce que vous en pensez. Commentez ci-dessous, ou rejoignez la discussion sur Twitter, Facebook ou Instagram @EyalaBlog.

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« Nous devons donner aux femmes l’occasion de décider par elles-mêmes » – Faten Aggad (Algérie) – 3/4

Troisième partie de mon entretien avec Faten Aggad, experte algérienne en gouvernance et en développement international. Après avoir décortiqué les éléments de son identité d'Africaine (partie 1) et de féministe (partie 2), je suis prête à être plus concrète. Je lui ai demandé comment ses idéaux féministes se manifestent dans sa vie de tous les jours : au travail, à la maison et lorsqu'elle parcourt le monde.

En te présentant tout à l’heure, tu m’as dit que tu adorais voyager. Est-ce que tu voyages aussi souvent que tu aimerais le faire ?

Oui, j'adore voyager. J'ai de la chance parce que mon travail me permet de le faire, mais je voyage également en dehors du cadre professionnel. On part en famille environ quatre fois par an ; certains voyages sont plus courts que d’autres. Nous avons beaucoup visité l'Afrique et l'Asie. Et j’ai déjà été dans la moitié des pays africains.

Parcourir le monde, c’est un rêve qui reste inaccessible pour beaucoup de femmes africaines – même si on voit de plus en plus d'initiatives pour nous y encourager (je pense à l’initiative Afro-Trotters Diaries par exemple). Pourquoi le voyage occupe-t-il une place si importante dans ta vie ? 

Je viens d’une famille un peu nomade. On a beaucoup bougé, surtout quand j'étais enfant. Au-delà de ça, j’étais fascinée par mon très cher grand-père maternel, qui était travailleur migrant saisonnier dans le secteur de la construction. Il allait travailler à l’étranger (souvent en Tunisie, au Maroc ou en France) et revenait les valises pleines de bonnes choses. 

A cette époque-là, l'Algérie était un pays socialiste qui peinait à être autosuffisant, donc les bouteilles de Coca-Cola, les chocolats de bonne qualité ou même les bananes que mon grand-père ramenait étaient des produits de luxe. Quelle petite fille ne serait pas curieuse de connaître les pays mystérieux d'où venaient ces friandises ? 

Tu as beaucoup voyagé en Afrique. Qu'est-ce qui t’a le plus marquée en ce qui concerne les femmes africaines que tu as rencontrées sur le continent ?

Je trouve que les femmes africaines ont en commun une certaine présence, et comme une aura de pouvoir. Malgré la diversité de nos contextes, ou dans notre manière de s’habiller, cette aura reste une caractéristique commune à toutes les femmes africaines que j'ai rencontrées.

Par exemple, va voir dans n’importe quel marché du continent. La présence de la femme africaine est là, tu la sens diriger les choses, commander, même. Je ne ressens pas la même chose lorsque je me trouve en Europe. Les gens parlent souvent de la femme africaine comme d’une petite chose fragile qu'il faut aider et protéger. Mais c’est faux ! Il faut prendre le temps de bien observer la femme africaine. Elle a plus d’une chose à nous apprendre. 

Les gens parlent souvent de la femme africaine comme d’une petite chose fragile qu’il faut aider et protéger. Mais c’est faux

Je comprends ce que tu dis au sujet de la force des femmes africaines, mais nous ne pouvons nier qu'il existe de nombreux défis qui rendent les femmes vulnérables sur le continent également. En tant que féministe, sur lequel de ces défis concentres-tu ton énergie en ce moment ?

Oh wow, c'est une bonne question. Je pense que c'est la réglementation et la représentation des femmes sur le lieu de travail. Dans nos pays, les femmes représentent le groupe le plus impliqué dans le travail informel, parce qu'il est si difficile pour les femmes d'accéder à un emploi formel tout en équilibrant tous les aspects de leur vie. 

Pourtant, le travail informel rend les femmes très vulnérables. Et lorsque les femmes sont vulnérables, elles ont tendance à choisir des solutions qui leur conviennent de façon pratique à un moment donné, mais pas nécessairement celles qui leur donnent le contrôle sur leur propre vie. Dans de nombreux cas, les femmes se retrouvent piégées dans une mauvaise relation parce que les conséquences économiques de quitter leur partenaire sont trop difficiles ou parce qu'elles ne peuvent pas accepter un emploi plus sûr parce qu'il y a peu de flexibilité pour aller chercher leurs enfants à l'école ou même avec la planification familiale si vous êtes d'un certain âge. 

Nous devons donner aux femmes l'occasion de décider par elles-mêmes la façon dont elles utiliseront leur expertise comme outil pour atteindre leur indépendance et, plus généralement, pour faire des choix dignes d'elles. Nous ne pouvons pas nous contenter de souhaiter que les défis disparaissent ou d'attendre des femmes qu'elles les relèvent. Bien sûr, avec le temps, davantage de femmes oseront faire leurs propres choix, mais nous devons aussi structurer l'environnement de travail de manière que les femmes aient les mêmes chances que les hommes, par exemple. 

Comment on fait ça ?

Prenons l'exemple de la réglementation en matière de garde d'enfants. Beaucoup de mes amies à travers le continent sont bien éduquées mais choisissent de ne pas avoir un emploi très prenant parce que l'envoi de leurs enfants à la garderie coûte trop cher et que compter sur des grands-parents âgés n'est plus viable. Nous devons réduire ce fardeau pour les femmes en impliquant à la fois les employeurs et l'État, par exemple par le biais de systèmes de garde d'enfants, d'avantages fiscaux pour les parents qui travaillent, pour ne citer que quelques options. 

Parlons de la façon dont tu essaies d'incarner tes valeurs féministes à la maison. Je sais que tu as un fils de six ans. Quelle est ta règle élémentaire de maman féministe ?

Je vais te raconter une histoire. Quand je dis quelque chose de surprenant à mon fils, il me demande souvent : « Comment sais-tu cela ? » Et je lui dis que les mamans savent tout. Alors l'autre jour, il a répondu : « Non, les papas savent tout », et j'ai dit « Non, ce sont les mamans qui savent tout ». On a fait des allers-retours jusqu'à ce qu'il s'effondre en pleurant. Il a dit : « Quand je serai grand, je deviendrai papa, et je ne saurai pas tout alors ». J'ai réalisé que j'étais peut-être allée trop loin dans ce jeu, alors je l'ai rassuré en lui disant que les papas et les mamans en savaient beaucoup. C'est juste une histoire drôle, mais ce que je veux dire, c'est que ma règle élémentaire est de le questionner de temps en temps sur son image des femmes et des hommes, en étant toujours ouverte mais de ramener les choses à son niveau pour qu'il puisse les comprendre. 

Mais pour moi, il s'agit autant des conversations que j'ai avec mon fils que de celles que j'ai avec mon mari. Nous devons être sur la même longueur d'onde quant aux types de messages que nous voulons transmettre à notre enfant, afin que nous puissions tous deux prêcher par l'exemple.

Je te comprends. Ma dernière question, Faten, est la suivante : quelle est ta devise féministe ?

Si je suis honnête, je dois dire : "Moi d'abord". Cela peut paraître égoïste, mais je crois qu'en tant qu'individu, si vous ne pouvez pas réaliser vos propres rêves et faire les choses qui vous rendent heureuses (heureux) et être à l'aise avec qui vous êtes, vous ne pouvez pas être un meilleur être humain pour les gens qui vous entourent. 

Finalement, ça n'était pas ma dernière question pour Faten après tout ! Quelques mois après cet entretien, des manifestations populaires ont éclaté dans les rues d'Algérie, conduisant le président Bouteflika à démissionner après vingt ans de règne. Je voulais connaître le point de vue de Faten sur la situation actuelle dans son pays. Ne manquez pas ses réflexions fascinantes sur le rôle de la femme algérienne dans la transition politique en cours : cliquez ici.

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« Je vois un arc-en-ciel de féminismes » – Faten Aggad (Algérie) – 2/4

Nous sommes à la seconde partie de mon entretien avec Faten Aggad, experte en gouvernance et développement d’origine algérienne. Après une discussion fascinante sur son identité africaine (vous avez raté ça ? Cliquez ici) nous avons parlé de sa vision du féminisme. Et voici ce qu’elle dit.

Tout à l’heure tu m’as dit que tu étais une « panafricaniste et féministe qui s’assume ». Qu’est-ce que ça veut dire, pour toi, d’être féministe ?

Pour moi, ça se joue sur les choix que je fais au quotidien, et sur comment ils s'intègrent à mon système de valeurs et à mes croyances. En gros, comment j’évolue dans cette société moderne en tant que femme : en tant que mère, épouse, professionnelle avec une carrière à succès, fille, sœur, belle-fille et belle-sœur, mais aussi amie de personnes dont les croyances et les modes de vie sont très divers.

J'appartiens à des « sociétés » et à des environnements différents que ce soit au travail ou dans la sphère privée. Chacun de ces environnements vient avec des attentes sur la façon dont une femme doit mener sa vie, et je dois faire face à ces attentes chaque jour. J’ai le pouvoir d’influencer ces environnements autant qu'ils m'influencent.  

Pourquoi c’est important pour toi d’assumer cette étiquette de féministe et d’en être fière ?

C’est une étiquette qui s’attire une certaine stigmatisation, et il faut que cela cesse. En ce qui me concerne, je suis plutôt à l’aise de la porter. À mon avis, la plupart des gens qui stigmatisent le féminisme y voient une lutte anti-patriarcat, certes, mais aussi une lutte anti-hommes. Ils s’opposent à ce type de féminisme. Moi aussi, d’ailleurs.

D’autre part, les gens considèrent que le féminisme est importé de l'Occident et qu'il est porté par des femmes blanches. Ils y voient un féminisme qui célèbre le modèle de la « femme indépendante », par exemple. Il fut un temps en Algérie où il fallait s’habiller comme une Occidentale pour montrer qu'on était féministe. Il fallait porter la jupe la plus courte possible, des talons hauts, et bien sûr enlever son foulard. Quand le féminisme s’attache plus à l'apparence d'une femme qu’à son essence, c'est très problématique.

Quand le féminisme s’attache plus à l’apparence d’une femme qu’à son essence, c’est très problématique.

Tu peux élaborer un peu sur ce point ?

Ce que je veux dire c’est que porter une minijupe ne suffit pas à faire d’une femme une féministe. Tes actions font de toi une féministe, pas ce que tu portes. Tu peux porter le foulard si c’est ton choix. « Choix » étant le mot le plus important : c’est pour moi le mot qui définit l’essence du féminisme.

Le féminisme, c'est la capacité d'une femme à décider par elle-même de ce qu'elle veut, sans subir les contraintes du patriarcat. Et les choix des femmes ne sont pas les mêmes d’un endroit à l’autre car le féminisme est contextuel.

« Le féminisme est contextuel » : ça veut dire quoi, exactement ?

Je ne vois pas le féminisme comme une seule entité, mais plutôt comme un arc-en-ciel de féminismes. Nos parcours personnels et nos contextes jouent un rôle important. Ce qui semble parfaitement ordinaire ici peut paraitre beaucoup moins normal ailleurs : une femme qui travaille aux Pays-Bas, ce n'est pas la même chose qu'une femme qui travaille au Yémen. 

En ce qui concerne le féminisme africain, il y a pas mal de choses à déconstruire. D’ailleurs, on parle de féminisme africain, le féminisme ne se manifeste peut-être pas de la même manière en Afrique du Sud qu’en Libye ou au Sénégal. De même, je pense qu’il faut déconstruire cette idée de la femme indépendante.

Alors, ça fait plusieurs fois que tu mentionne la notion de « femme indépendante ». On en parle ?

Il y a un argument féministe assez traditionnel qui voudrait que toutes les femmes deviennent indépendantes à tout prix. C'est pourquoi nous encourageons nos filles à étudier et à construire une carrière. Je suis d'accord, évidemment. Mais pour moi, la carrière n'est pas une fin en soi : c'est un outil qui permet aux femmes d’atteindre l'indépendance financière dont elles ont besoin pour choisir par elles-mêmes ce qu’elles souhaitent faire de leurs vies. 

Il y a aussi cette idée qu’être indépendante signifie se détacher émotionnellement des hommes. Dans le contexte africain, beaucoup en déduisent qu’être féministe implique être contre le mariage, par exemple. Pas moi. Bien au contraire, j’adore pouvoir compter sur mon mari. Je ne vois aucune contradiction entre le fait d’être une femme forte et le fait de se montrer vulnérable au sein de sa relation avec une personne qui vous aime, avec laquelle vous bâtissez une vie et une famille. 

Encore une fois, je vois l'indépendance comme cet outil qui nous permet de faire des choix et de garder le contrôle sur nos vies. Pour reprendre l’exemple des relations amoureuses, garder son indépendance devient un moyen de s’assurer qu’on ne restera pas coincé dans une relation très patriarcale. 

Qui sont les femmes que tu admires et qui ont inspiré ton engagement féministe ?

Sans hésiter : ma tante Mimi.  Chaque jour de sa vie, elle a remis en question nombre d’idées reçues sur la place des femmes dans la société. Elle n’a pas fait beaucoup d’études, mais à l’âge de 20 ans, elle a divorcé de son mari alors qu'elle était enceinte. À cette époque, la société algérienne n’était pas tendre avec les femmes divorcées, mais ma tante savait parfaitement ce qu'elle voulait dans la vie et ce qu'elle ne voulait pas. Elle a reconstruit sa vie avec les ressources limitées dont elle disposait. Pour moi, elle incarne la résilience de la femme africaine. 

Ma tante ne dirait jamais qu’elle est féministe, mais pour moi elle l'est, à tous points de vue. C'est une femme qui se soucie de son identité et qui a du respect pour elle-même. Elle m'inspire plus que toute féministe célèbre, peut-être parce que j'ai pu observer de près les choix et les sacrifices qu'elle a dû faire.

Ma tante ne dirait jamais qu’elle est féministe, mais pour moi elle l’est, à tous points de vue.

Elle a l'air extraordinaire. Il faut beaucoup de courage et de détermination pour appliquer les principes féministes dans nos vies quotidiennes. Et parfois, ces principes nous attirent des ennuis ! C’était quand, la dernière fois que ça t’est arrivé ? 

Il y a peu de temps, je parlais avec quelqu’un qui se plaignait parce que son conjoint essayait de la contrôler financièrement. Je lui ai répondu : « Mais c’est aussi ton choix » et ça l’a tellement offensée que je me suis demandé ce qui m’avait pris de l’ouvrir. (Elle rit) Le message que je voulais faire passer est que dans la vie, tout est une question de choix. Certains choix sont très difficiles et d'autres très faciles. Si tu choisis de rester dans cette relation et d’en accepter les contraintes, c’est un choix – pour revenir à la situation de cette femme.

J’imagine le malaise ! Qu’est-ce que tu as appris de cette conversation ? 

J'ai compris que je devrais faire l’effort d’admettre qu’il est difficile de faire certains choix.  Et aussi qu’il y a des façons un peu moins brusques d’exprimer mes arguments !

Se taper la honte, il n’y a pas mieux pour retenir sa leçon ! Je voulais en savoir plus sur la vision du féminisme selon Faten et comment il se manifeste dans sa vie de tous les jours. Cliquez ici pour une conversation qui mêlent grandes idées et moments pratiques de vie de la plus gracieuse des manières.

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« L’Afrique du Nord est en pleine crise d’identité » – Faten Aggad (Algérie) – 1/4

Il en faut beaucoup pour m’impressionner, mais j'étais bien stressée avant mon interview avec Faten Aggad. J’étais en admiration devant ses compétences en tant qu'experte dans les domaines de gouvernance et de développement international, et je n'étais pas certaine de pouvoir créer une connexion assez intime avec elle. Il ne m’a fallu que quelques secondes pour que mes doutes se dissipent : juste le temps d’écouter la voix chaleureuse de Faten et d’apprécier son franc-parler. J’ai très vite su que ce serait une belle conversation. 

Faten m'a raconté comment le fait de passer à l’âge adulte en Afrique du Sud après une enfance en Algérie a influencé ses choix de carrière, et comment les débats sur l'identité bouleversent l'Algérie et l'Afrique du Nord dans son ensemble (partie 1, ci-dessous). Nous avons ensuite parlé de féminisme : ce que cela signifie pour elle, la féministe qui l’inspire, et les idées qui la dérangent le plus dans le discours féministe classique (partie 2) ; mais aussi si et comment elle vit ses principes féministes dans sa vie quotidienne (partie 3).

Quelques mois après notre conversation, un mouvement populaire a commencé en Algérie, menant à la démission du Président Bouteflika après vingt ans de règne. J’ai voulu en parler avec Faten et avoir son analyse de la situation actuelle de son pays. Ne manquez pas ses réflexions passionnantes sur le rôle de la femme algérienne dans la transition politique en cours (partie 4). 

C’est parti !

Bonjour Faten, et merci d’être sur Eyala. Peux-tu te présenter ?

Salut, je m’appelle Faten. Je suis Africaine et originaire d’Algérie, le pays où je suis née, où j’ai grandi et où se trouvent mes racines familiales et culturelles. À mes 17 ans, notre famille a déménagé en Afrique du Sud, que je considère comme mon deuxième pays : c'est ce pays qui m'a façonnée entre la fin de mon adolescence et mon entrée dans l'âge adulte. Enfin, je suis Hollandaise par alliance, je vis dans les belles et calmes plaines hollandaises avec mon fils et mon mari depuis neuf ans.

Je suis une panafricaniste et une féministe qui s’assume. Je crois au pouvoir des femmes africaines. Je suis une rebelle (généralement) tranquille et j’ai des idées très claires sur ce que je veux, ce que j'aime et ce que je n'aime pas. Je suis aussi photographe amateure et une passionnée de voyages. Dernier point et pas des moindres, j’ai très peur des serpents !

Je suis une panafricaniste et une féministe qui s’assume, et je crois au pouvoir des femmes africaines.

Parle-moi un peu de ton travail.

Depuis l'année dernière, je travaille comme consultante. Je faisais notamment partie du groupe d’expert.e.s techniques qui ont accompagné le Président Kagamé dans le processus des réformes de l'Union africaine qu’il a mises en place. Et depuis, je travaille comme conseillère du Haut Représentant de l'Union Africaine pour les relations avec l'Union Européenne. 

Je conseille par exemple sur la manière dont nous pouvons élever le partenariat au-delà de l’aide ; comment éviter que l'Europe ne sous-traite la question migratoire à l'Afrique, ce qui restreindrait la circulation des citoyens africains d’un pays à l’autre de leur continent ? Comment s’appuyer sur l’accord commercial récemment obtenu, la Zone de libre-échange continentale africaine, pour aborder nos partenariats internationaux d’une position de force ? Des choses comme ça.

Tu as précédemment travaillé sur les relations politiques entre l’Afrique et l’Europe, mais tu étais employée par un think tank européen. Qu’est-ce qui t’a poussé à changer de camp et conseiller l’Afrique plutôt que l’Europe ?

Il arrive un moment dans une carrière où le travail n’a plus seulement pour vocation de payer les factures. On se pose des questions sur l’empreinte qu’on souhaite laisser sur le monde, et on essaie d’écouter son cœur et de suivre ses valeurs. Ça ne se passe pas en un claquement de doigts, évidemment : c’est tout un processus. Dans mon cas, ce processus m'a permis de prendre conscience, très clairement, qu’il est impératif que nous, Africain.e.s, surtout nous dans la diaspora, qui croyons au projet panafricain, mettons notre expertise au service des institutions africaines. 

Mon parcours professionnel, que ce soit en Afrique ou en Europe, m’a permis de développer une connaissance approfondie du fonctionnement de certaines institutions africaines. J'ai également vu comment fonctionnent les institutions ailleurs, en particulier en Europe. Cela m'a aidée à mettre les choses en perspective et m'a donné des idées qui pourraient servir à soutenir l’avancement de notre continent. 

Plus le temps passe, plus je suis convaincue que l'enfance et l'adolescence d’une femme ont une grande influence sur la personne qu’elle devient une fois adulte. Avec ça en tête, ce que je trouve le plus marquant dans ton parcours est que tu as vécu ces périodes formatrices aux deux extrémités du continent – au sens littéral du terme – et cela t’a façonné une identité africaine si forte que tu as aujourd’hui consacré ta carrière à servir le continent. Ça veut dire quoi, pour toi, d’être Africaine ? 

Ayant grandi en Algérie, mon identité première était simple : j'étais Algérienne. Il n'y avait aucune discussion sur l'identité, et encore moins sur l'identité africaine. C'est seulement après mon arrivée en Afrique du Sud que j'ai commencé à réfléchir à qui j'étais et à ma place dans le monde. Les années que j'ai vécues en Afrique du Sud m'ont beaucoup marquée ; je pense que la personne que je suis aujourd’hui est peut-être beaucoup plus influencée par l'Afrique du Sud que par l'Algérie. 

J'ai étudié à l'Université de Pretoria, aux côtés d'étudiant.e.s qui, comme moi, venaient d'autres pays africains, mais aussi d’ami.e.s sud-africain.e.s. C’est par mes relations avec des étudiant.e.s aux profils divers que j’ai découvert le continent. Et bien sûr, comme j'étudiais les relations internationales, j'ai commencé à m'intéresser à l'histoire de l'Afrique. J'ai découvert les mouvements menés par Nkrumah et d'autres, et j'ai fait un lien entre leurs idées et mes propres expériences. 

Tout cela dans une université qui baignait encore dans la culture afrikaans, du moins quand j’y suis arrivée : en fait, ma faculté a été l'une des premières à offrir la possibilité d'étudier en anglais plutôt qu'en afrikaans. C’est seulement lorsque j’ai atteint le niveau licence que mon département a cessé d'enseigner en afrikaans.  

Non, c’est pas vrai?! C’était si récent ? On parle de quelle année ?

Je suis très sérieuse ! C'était en 1999. L'université était en pleine transformation à cette époque. C’était vraiment une période fascinante. 

Tu sais, en Algérie la plupart des gens veulent que leurs enfants étudient en Europe, mais mes parents ont choisi de nous emmener vers le Sud plutôt que vers le Nord, et je leur en suis reconnaissante. Vivre en Afrique du Sud m’a apporté beaucoup plus que si j'avais fait mes études à Paris. 

En Algérie la plupart des gens veulent que leurs enfants étudient en Europe, mais mes parents ont choisi de nous emmener vers le Sud plutôt que vers le Nord, et je leur en suis reconnaissante.

Je me demande à quoi ressemblait la vie d'une étudiante algérienne en Afrique du Sud à cette époque-là. À ton avis, quels sont les aspects insoupçonnés de ton expérience ? 

Qu’il y a sur le continent des institutions prêtes à soutenir les étudiant.e.s africain.e.s. Comme j'étais déterminée à être indépendante de mes parents, j'ai cherché des moyens de financer mes études. 

J'ai pu bénéficier du soutien du CODESRIA (le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique) qui m’a permis de faire mon Master, et j'ai obtenu un petit poste junior dans un think tank panafricain, ce qui m'a permis de payer mon loyer et de finir mes études en Afrique du Sud. C’est formidable, toutes ces organisations panafricaines qui font apportent quelque chose de bien aux étudiant.e.s.

Tout à l'heure, quand tu parlais de ton enfance en Algérie, tu as dit que rien ne te connectait à une quelconque identité africaine. Penses-tu être un cas isolé, ou s'agit-il d'un phénomène plus large ? Je pose cette question parce que, comme tu le sais, j’ai déménagé depuis peu au Maroc et je suis choquée du nombre de personnes qui parlent de l'Afrique comme d'une terre lointaine dont ils ou elles ne feraient pas partie parce que leur peau n’est pas noire. J'ai l'impression que tout le pays vit dans un déni total !

Ce qui est certain, c’est que l'identité n'était pas dans mon radar personnel d’enfant ou d’adolescente. Mais de façon plus large, je suis d'accord avec toi. Je pense que l'Afrique du Nord est en pleine crise d'identité. Je ne connais pas très bien le Maroc, mais en Algérie, c’est clair que la question de l’identité fait débat. 

Pendant très longtemps, on nous a dit que nous étions arabo-musulman.e.s. Cette identité était la fondation du projet de construction de la nation, si je peux m'exprimer ainsi. Mais avec le temps et la situation politique, tout cela commence à s'effriter. Les gens se réapproprient leur identité, en particulier en tant que descendant.e.s des habitant.e.s indigènes d'Afrique du Nord. 

La question raciale existe également. Quand on parle d'Afrique du Nord, les gens pensent qu’il s’agit de personnes vivant dans les régions nord de nos pays. Il ne faut pas oublier que nos pays regorgent de personnes de toutes couleurs de peau. L'autre jour, je regardais une émission de télé et j’ai vu une dame interpeller quelqu’un en lui disant : « Pourquoi appelez-vous ces migrant.e.s Africain.e.s ? Nous sommes aussi des Africain.e.s. Et puisque vous colportez tous ces stéréotypes sur les migrant.e.s, j’imagine que vous êtes d'accord avec les Français.e.s qui sont racistes envers les Algérien.ne.s. » Les gens ont besoin d'être incités à réfléchir. 

Au moins, ça prouve que les gens se posent des questions. Ça te donne de l'espoir ?

J'espère, du moins pour l'Algérie, que la boîte de Pandore est enfin ouverte, et que les gens parlent ouvertement de comment définir leur sentiment d’appartenance. Il me paraît difficile de refermer cette porte. Cependant, je pense qu'il y a beaucoup d'autres questions que les gens devraient se poser, car l'identité est une question complexe. Nous ne sommes pas juste une chose. Nous sommes beaucoup de choses. 

Cette conversation comporte des éléments d’ordre religieux. Il y a aussi la question de la langue, car tous.tes les Algérien.ne.s ne parlent pas l'arabe. Certain.e.s font de la langue un symbole de résistance contre les fausses identités qu'on leur impose (dans ce cas, contre l’idée que les Algérien.ne.s seraient purement Arabes). C’est un processus qui sera long mais il est nécessaire. 


Avec le recul, les paroles de Faten semblent presque prophétiques. En effet, quelques mois après notre conversation, des manifestations pacifiques ont commencé dans les rues d'Algérie, en réaction à l’annonce par le Président Bouteflika de sa volonté de briguer un cinquième mandat. Sous la pression du mouvement populaire, il a fini par démissionner, mais les manifestant.e.s sont toujours dans la rue aujourd’hui, réclamant des changements profonds dans le système politique. Je ne pouvais donc pas publier cette interview sans retourner vers Faten pour recueillir ses réflexions sur la situation actuelle dans son pays. Nous y arriverons (c'est la quatrième partie de cette série), mais pour l'instant, cliquez ici pour découvrir comment Faten conçoit le féminisme. 

Faites partie de la conversation

J’ai hâte de savoir ce que vous en avez pensé. Vous pouvez écrire un commentaire ci-dessous, ou on pourrait se causer sur Twitter, Facebook ou Instagram @EyalaBlog.

Pour les actualités de Faten, c’est sur Twitter @FatenAggad

« Elever les femmes noires est la pièce maîtresse de tout ce que je fais » : Stéphanie Kimou (Côte d'Ivoire / États-Unis) - 1/4

📷: THE WING

Stéphanie Kimou est en mission. Activiste américano-ivoirienne travaillant sur les questions des droits des femmes, elle crée un espace pour que les femmes noires soient des décideuses et non seulement des bénéficiaires dans le secteur du développement international. A travers son cabinet de conseil Population Works Africa, elle conseille des organisations non gouvernementales (ONG) internationales et des fondations privées sur la manière de rendre leurs programmes et leurs processus plus équitables pour les personnes qu'elles affirment vouloir servir.  

Je ne peux décrire combien je suis contente de partager cet entretien avec vous. Pas seulement parce que Stéphanie est mon amie. Pas seulement parce que je suis une fière conseillère stratégique dans son cabinet mais parce que Stéphanie a trouvé le moyen d’amener certaines des organisations les plus influentes œuvrant dans la santé des femmes africaines à entendre les messages que la plupart de nous essayons de faire passer depuis des années. Elle doit être protégée à tout prix!

C’était un réel plaisir de discuter avec Stéphanie de sa mission de vie à “élever les femmes noires” et des initiatives qu’elle a mises en place pour réaliser cela. Nous avons également parlé de ce qui l’a inspiré: de ses hauts et de ses bas au début de sa carrière dans le monde du développement international (partie 2) et de ses identités hybrides - 100% américaine et 100% africaine (partie 3).  Notre conversation a pris fin sur une exploration du rapport de Stéphanie au féminisme (partie 4). Spoiler: elle ne se considère pas comme une féministe. On y va!



Bonjour Stéphanie, merci d’avoir accepté mon invitation. Tu peux te présenter?  

Je m'appelle Stéphanie Kimou, je suis une Américaine originaire de Côte d’Ivoire et je travaille dans le domaine des droits de la santé reproductive. Je suis la fondatrice de Population Works Africa, un cabinet de conseil dont la mission consiste à bouleverser l’espace historiquement perçu comme blanc dans le secteur du développement international.  

En voilà une mission bien audacieuse! Mais qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? 

Mon travail avec PopWorks a deux composantes principales. Premièrement, je travaille avec les grandes organisations et fondations internationales qui dirigent ou financent des interventions sanitaires en Afrique - principalement en Afrique de l’Ouest et de l’Est. Je les accompagne dans leur réflexion sur la meilleure approche visant à s’assurer que leur travail ne perpétue pas le racisme et le sexisme qui prévalent dans le secteur du développement international.  

Et donc quand je travaille avec des organisations telles que Care International, la fondation Hewlett ou la fondation Gates, mon rôle consiste essentiellement à analyser leur travail et de poser des questions: Qu’est-ce qui pourrait être perçu comme raciste ici? Ou problématique? Qui prend les décisions ici? Comment pouvons-nous améliorer ceci? Mon objectif est de rendre le secteur développement international dans son ensemble plus diversifié, plus inclusif, mais qu'il cède également le pouvoir, principalement aux femmes africaines. Puisque nous sommes les bénéficiaires de la plupart des programmes de développement international, je veux m'assurer que les jeunes femmes africaines puissent accéder aux espaces où les décisions sont prises sur leur propre vie.

Ce qui est parfaitement logique. Quelle est la deuxième composante?

La deuxième composante est axée sur le mentorat et le développement des compétences des femmes noires travaillant dans le secteur du développement international. J’offre mon expertise aux jeunes femmes africaines qui œuvrent pour la défense des droits et la santé sexuelle et reproductive. Je le fais par le biais d'ateliers, de formations, de webinaires et de coaching individuel. Je les aide à déterminer le changement qu'elles souhaitent voir dans leur pays et quels outils et tactiques qu’elles peuvent utiliser afin que ce changement s’opère.

Tu es également à l’origine de la communauté #BlackWomenInDev, qui a démarré sous la forme d'un groupe Facebook. Cela me fait dire que tu ne te concentres pas uniquement que sur l’accès, mais également sur la solidarité. Est-ce bien exact?

Tout-à-fait. J'ai lancé #BlackWomenInDev comme un moyen simple et rationalisé de donner de la visibilité aux femmes noires qui travaillent dans le secteur du développement international et de leur offrir un espace de rencontre. Les femmes noires sont présentes dans tous les espaces de ce secteur: nous travaillons sur les questions de genre, de la santé reproductive, d’éducation, de l’eau et de l’assainissement et bien d’autres. Pourtant, le leadership et la prise de décision sont généralement assurés par des femmes blanches, des hommes blancs ou parfois des hommes noirs.  

Beaucoup de femmes noires de ce secteur finissent par devenir invisibles et se sentent isolées. Je voulais donc mettre sur pied #BlackWomenInDev en tant que simple plateforme, non seulement pour documenter et partager les histoires de femmes noires qui travaillent dans le secteur, mais également pour nous permettre de nous connecter afin que nous ne nous sentions pas seules.

Je suis fière de me compter parmi les membres de la communauté #BlackWomenInDev et je ne saurais trop te remercier pour la création de cet espace ! Je me souviens lorsque tu m'avais parlé de ton idée pour ce groupe, tu n’y mettais pas trop d’emphase. C’était juste une idée et tu l'as mise en pratique. Ce qui est fantastique, c’est la rapidité avec laquelle cette communauté a grandi: à peine un an et demi, et nous comptons déjà plus de 2 000 membres dans le groupe! On a des rencontres en personne, quelques sous-groupes nationaux sont en train de se former… Qu'as-tu appris de ce processus? Qu’en ressort-il de plus important?

Clairement la croissance rapide me dit qu'il y a toujours un besoin de créer des espaces où les femmes noires peuvent se réunir, et qu’il n’y avait pas un tel espace pour les femmes qui œuvrent dans le secteur du développement international.   

Mais mon observation en regardant des interactions sur #BlackWomenInDev est que les femmes noires sont vraiment solidaires les unes des autres. Lorsque j'ai créé le groupe Facebook, je craignais de me retrouver toute seule à initier et faciliter toutes les conversations, fournir toutes les opportunités de carrière et répondre à toutes les questions. Cela ne m’a pas empêché de le faire : tu sais comment je suis à avoir les yeux plus gros que le ventre. (Elle rit). Mais c’était un point d’inquiétude pour moi. 

Mais en fin de compte, je n’ai pas à faire grand-chose dans ce sens. Chaque fois que quelqu'un pose une question ou publie des commentaires sur des micro-agressions par exemple, les réponses affluent. Quand quelqu'un publie sur une opportunité de travail ou un emploi, d'autres identifient un.e ami.e susceptible d’être intéressé.e. Lorsqu'une personne publie qu'elle se rend dans un autre pays, certaines se rendent disponibles pour la rencontrer. 

Ce que je retiens, c’est que lorsqu’on réunit des femmes africaines dans un espace où elles se sentent en sécurité, elles prennent la  responsabilité d’entretenir cet espace. Et ça c’est quelque chose de magnifique ! C'est presque spirituel. Tu vois ce que je veux dire ?

Lorsqu’on réunit des femmes africaines dans un espace où elles se sentent en sécurité, elles prennent la responsabilité d’entretenir cet espace.

Totalement ! Et cela me remplit de joie. Tu sais, une chose que j’apprécie le plus chez toi, c’est que bien que tu sembles avoir une multitude de choses à gérer, tu as une vision claire de ce que tu entreprends. Tu es une consultante mais ton agenda n’est pas dicté par ce qui est disponible sur la marché de l’emploi. Tu fais du mentorat, tu animes une communauté, tu écris même sur des produits de maquillage parfois! Mais tu n’es pas éparpillée. Donc quel est cet élément clé qui sous-tend toutes les pièces du puzzle?

C’est une très bonne question, Françoise. Je n’y ai jamais pensé de cette façon. Je dirais que dans l’ensemble, élever la condition des femmes noires est au cœur de tout ce que j’entreprends: mon travail, ma vie personnelle, mes amitiés, toute mon existence. C’est tout ce qui m’importe: bouleverser la dynamique du pouvoir afin que les femmes noires aient leur place dans les espaces de pouvoir, qu’elles s’y sentent comme chez elles et qu’elles soient prêtes à changer les choses une fois qu’elles y sont. 


Musique à mes oreilles! Vous vous demandez ce qui a poussé Stéphanie à critiquer un système dont elle faisait autrefois partie intégrante? Cliquez ici pour la deuxième partie de notre conversation.

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